Alla Faye et Mbaye Ndour étaient deux cambistes, dévoués à la tâche. A la «Rue Raffenel » de Sandaga, ils avaient réussi à se faire un nom dans leur domaine. Le 08 janvier 2008, un coup de fil fait basculer leur vie et celle de leurs familles.

Les agents, qui pensaient avoir touché le gros lot après l’appel téléphonique de clients qui disaient vouloir échanger d’importantes sommes d’argent, n’auraient jamais imaginé qu’ils étaient en train de vivre leurs derniers instants sur terre.

Piégés, drogués, tués et abandonnés dans le coffre arrière d’un véhicule de marque Mercedes, de couleur blanche, garée  devant une maison à la Sicap Liberté 6, Faye et Ndour ne seront découverts que deux (2) jours plus tard. Seneweb vous replonge au  fond de cette sombre affaire d’assassinat, vieille de quinze (15) ans, orchestrée par le chinois Zhou Qi Qianq.

Qui, avec l’aide de son principal complice Cheikh Ndiaye, est passé par la Gambie pour prendre la fuite. 

De l’espoir au désespoir

Tout est parti d’un coup de fil. Le 08 janvier 2008, le cambiste Alla Faye reçoit  l’appel téléphonique d’un client. Derrière le combiné, l’homme dit vouloir faire un change en euros d’une importante somme d’argent. Le père de famille de 47 ans, marié à quatre femmes, voit en cette transaction une affaire en or.

Mais il n’a pas la somme requise. Assisté de son collaborateur Mbaye Ndour, avec qui il travaille depuis des années, Alla demande à quelques-uns de ses collègues de la «Rue Raffenel» de «Sandaga», de lui filer le montant manquant. Il était impératif de réussir cette opération avec ce client, si important..

Le doute n’est pas permis. Surtout qu’il connaît ceux qui l’ont appelé. 

Des étoiles brillantes au fond de ses yeux,  Alla part avec Mbaye qui, lui aussi, n’a rien vu venir. C’est la dernière image que les cambistes de Sandaga auront des deux hommes. Durant quarante-huit heures, personne ne sait où ils sont. Aucune nouvelle d’eux ! Alla et Mbaye ne reviendront plus jamais. Et ne feront plus  signe de vie. 

La découverte macabre

A la rue Raffenel où ils officient, c’est la grande inquiétude. La disparition soudaine des cambistes fait naître des soupçons. Où peuvent-ils bien être ? Ont-ils été kidnappés avec l’argent ? Sont-ils en danger ?

Qu’ont-ils fait avec l’argent ? Tant de questions qui  taraudent l’esprit de leurs collègues  de Sandaga. Au moment où la psychose gagne parents et connaissances des deux hommes, une découverte macabre se fait de l’autre côté de la ville.

Les habitants du quartier  « Liberté 6 » ont failli s’étrangler d’horreur.

Durant des jours, ils sont passés devant cette  Mercedes version 190 de couleur blanche, immatriculée TH-7033-C, stationnée sous les fenêtres d’une banale maison. Une voiture comme les autres. Mais, lorsqu’une odeur fétide  commence à se dégager du véhicule avec le suintement d’un liquide de la malle arrière, les riverains comprennent qu’il y a quelque chose de louche avec cette voiture.

Ils appellent les Sapeurs-pompiers qui constatent que deux  corps sans vie et en état de putréfaction très avancé,  ventre ballonné et dépigmenté, sont dans la malle arrière. C’est le choc. L’horreur de cette vue suscite la stupeur. Et des questionnements sur l’identité des défunts s’enchaînent.

Les sapeurs-pompiers, après s’être assurés de sécuriser le périmètre afin de bien faire leur travail, sortent les corps avant de les acheminer à la  morgue de l’hôpital Aristide Le Dantec. 

L’énigme 

Leur travail bouclé, les policiers prennent le relais. La responsabilité de traquer les coupables est confiée à la Division de la Sûreté  Urbaine (Su) et au Commissariat de Dieuppeul. Chargés de diligenter l’enquête, tout renvoie à un assassinat. Un acte « crapuleux », selon les premiers éléments de l’enquête. La police scientifique relève les différentes empreintes trouvées dans la voiture.

Et des traces sont aussi  trouvées sur le corps des deux cambistes, tués par une arme « pénétrante. » Le puzzle se met en place. 

Les limiers, continuant à rassembler les indices concordants menant à une hypothèse qui pourrait les orienter vers un semblant de piste, sont toujours dans le flou. Après plusieurs jours d’investigations, les éléments du Commissariat central semblent faire face à une énigme. 

Les enquêteurs ont  toutefois une lueur d’espoir. Depuis un mois, ils enquêtent sur un cambriolage au préjudice de  ressortissants chinois, le 6 décembre 2007 dans leur appartement de la Rue Tolbiac. Les deux affaires pourraient avoir un dénominateur commun. Qui ? Quoi ? Ils réussiront à le trouver. 

L’appel téléphonique «miracle» 

Le mystère de ce double assassinat peine à se résoudre. Quelques jours après, le miracle se produit. Un certain Cheikh Ndiaye appelle Ndèye Souadou Diouf pour la courtiser. Cheikh Ndiaye, dont le vrai nom est  «Kane», commet l’erreur qui le fait tomber. En appelant cette fille qui fait battre son cœur, il utilise un téléphone volé lors du cambriolage à Tolbiac.

Les limiers découvrent des choses intéressantes. Le malfrat dispose d’un troisième compte bancaire ouvert le 11 janvier et crédité de…onze (11) millions Francs Cfa. Trois armes à feu et des cartouches sont aussi retrouvées sur lui. Ainsi que des documents comme des cachets portant les inscriptions du ministère de l’Intérieur, de responsables de la Police nationale. 

Interrogés sur la paternité de ces objets, il l’impute à Zhou Qi Qianq.

Il avoue, par contre, le cambriolage, mais également le meurtre des deux cambistes. Il cite son ami chinois et les nommés Serigne Babacar Diène et Youssouph Badji comme étant ses acolytes. Les premières arrestations effectuées, la police fait une sortie médiatique.

Par la voix du Commissaire Modou Diagne, patron de la SU, elle dit avoir arrêté deux personnes de nationalité sénégalaise, d’environ 45 ans, et être à la recherche d’une troisième, un étranger qui aurait regagné son pays. 

Les individus sont, précise-t-il,  soupçonnés d’être les auteurs de l’assassinat des deux cambistes. Leur  complice est, d’après ses déclarations, un Asiatique qui a pu rejoindre son pays via la Gambie. M. Diagne ajoute,  par ailleurs,  que le double crime peut  avoir un lien avec l’affaire de la casse de la BCEAO à Korogho en Côte d’Ivoire. 

Le piège 

Tout est parti d’un piège. Et c’est le ressortissant chinois, Zhou Qi Qianq, qui l’a orchestré. L’homme qui fréquentait le cybercafé, géré par Abdoulaye Diop, à Hamo, avait contacté Cheikh Kane pour qu’il appelle les cambistes Alla Faye et Mbaye Ndour. Comme les cambistes connaissent ceux qui les ont appelés, ils n’ont aucune raison de se méfier.

Le chinois se fait passer pour un richissime homme d’affaires établi à Dakar qui s’active aussi dans le trafic des visas d’entrée en Europe et aux Usa pour ses compatriotes asiatiques, désirant émigrer. Il a l’habitude de faire des opérations de change atteignant des montants de 300 millions Francs Cfa et même plus chez les cambistes de Raffanel.

Raison pour laquelle, dès la réception de l’appel, Alla Faye et Mbaye Ndour n’hésitent pas  à faire la collecte auprès de leurs collègues avec qui ils officient à la rue Raffenel pour réunir la somme demandée. 

Le demi-milliard en euros rassemblé, ils se rendent à la station Mobile du Point E, plus précisément sur la terrasse du fast-food « Nandoo» où les attendent le Chinois et Cie. 

Ensemble, ils prennent la route des Almadies en passant par Ouakam. Les deux cambistes Alla et Mbaye sont dans leur Mercedes. Le groupe du chinois dans un autre véhicule.

Arrivés à une buvette en bordure de route, ils décident de se désaltérer sur invitation du boss,  le chinois. Un appât qui marche. Rusé, il réussit à introduire dans leur boisson le produit toxique qu’il avait caché sous sa bague. Une drogue tueuse. Arrivés à la pointe des Almadies, précisément derrière le Club-Med, près de la plage, ils commencent le décompte des devises à bord de la Mercedes de Mbaye Ndour.

Les minutes passent, le produit se dilue dans le sang des victimes jusqu’à produire son effet mortel. 

Alla Faye et Mbaye Ndour piquent un malaise et meurent subitement. Entassés dans la malle arrière de la Mercedes, les corps ont été transportés et abandonnés à la Sicap Liberté 6 où ils sont découverts quelques jours plus tard.

L’exfiltration du Chinois par la Gambie  

Les éléments de la Sûreté Urbaine du commissariat central de Dakar, dirigée à l’époque par le commissaire Modou Diagne, réussissent l’exploit de procéder à une série d’arrestations dont celle de Cheikh Kane, de Youssou Badji, d’Abdouaye Diop, Serigne Babacar Diène. Le cerveau de l’affaire, quant à lui, réussit à filer et en passant par la Gambie. 

Six mois après son acte crapuleux, il est localisé en République populaire de Chine, notamment à Zhengzhou, une ville ferroviaire comme Thiès située au centre du pays, nous révèle-t-on. Mais, il n’est jamais tombé entre les mailles de la justice Sénégalaise.  

Le procès : Cheikh Kane, la terreur 

Quatre (4) ans après les faits, l’affaire marque l’ouverture de la troisième session de la Cour d’Assises de la Cour d’Appel de Dakar. On est en  en 2012. Lors d’un procès qui se termine tard dans la nuit, Cheikh Kane fait face au juge. 

De sa voix rauque dont le timbre fait trembler les quatre murs de la salle 4 du palais de justice de Dakar, l’homme, bâti comme au roc, dont la corpulence impose le respect,  comparaît en compagnie de des autres accusés. 

Et son complice Zhou Qi Qianq, l’absent le plus présent.

Tous nient les faits qui leur sont reprochés. Youssouph Badji, comptable de profession, déclare avoir eu vent de son implication dans cette affaire à travers la presse. «Zhou Qi Qianq m’a dit qu’il avait l’intention de recouvrer ses créances auprès de ses compatriotes.

Il m’a présenté Kane et Diène comme étant des policiers» a-t-il soutenu. Quant à Abdoulaye Diop, son seul tort a été selon lui d’être le gérant du cyber café, fréquenté par le Chinois. Diène aussi  nie être complice de cet assassinat. 

Quant à Cheikh Kane, il parle de torture. Il ne reconnaît que le vol. «On ne les a pas violentés. On a juste élevé la voix et personne n’a été ligoté, ni enfermé dans les toilettes», raconte-t-il à la barre. 

L’accusé, qui a aidé Zhou Qi Qianq à quitter le pays a encaissé la somme de vingt cinq (25) millions Francs Cfa. Se proclamant citoyen modèle, il souligne que s’il savait que le ressortissant chinois avait commis une infraction, il l’aurait conduit à la gendarmerie et non en Gambie.

Pour l’avocat des  cambistes, Me Abdou Aziz Djigo, « droguer des personnes, les enfermer dans la malle d’un véhicule, c’est les asphyxier et les assassiner ».  Réclamant la somme de 500 millions au titre de dommages et intérêts, il se dit convaincu de la culpabilité de Cheikh Kane et de ses acolytes. 

3 condamnations, 2 acquittements  

L’avocat général, Feu François Diouf a su couper la poire à deux. Brillant parquetier, il a su départager les rôles.  Pour lui, Cheikh Kane a tout dit, sauf la vérité dans sa volonté de vouloir mouiller tout le monde.

François Diouf estime que Youssouph Badji et Abdoulaye Diop doivent être acquittés des faits de recels de criminels. Il pense qu’avec les 4 ans et 10 mois de détention préventive, Badji a déjà payé pour sa naïveté. Pour ce qui est de Serigne Badara Diène, il a requis 5 ans de travaux forcés. 

La défense, qui a plaidé l’acquittement, ne l’aura que pour 2 accusés. 

Après délibéré, Cheikh Kane a été reconnu coupable d’association de malfaiteurs, de vols en réunion commis la nuit avec usage de violence, d’arme et de véhicule, d’assassinat, d’usurpation de fonction, de détention illégale d’arme, de contrefaçon du sceau de l’État et de faux et usage de faux. Il est condamné aux travaux forcés à perpétuité.

La même peine a été retenue contre Zhou Qi Qianq, jugé par contumace. 

Youssouph Badji et Abdoulaye Diop sont acquittés. Tandis que Serigne Babacar Diène écope de 5 ans de travaux forcés pour vol aggravé.

Ce procès, suivi par un grand public et relayé par les radios, a pris fin avec une dose d’amertume.

Le principal instigateur de cette atrocité n’a jamais été attrapé. Même si son compagnon de crime, avec qui il a signé cet assassinat a pris le maximum de la peine, la frustration de ne pas voir le chinois subir le même sort était le sentiment le mieux partagé à la salle 4. 

Ainsi se termine cette terrible histoire des cambistes, qui a fait beaucoup de victimes, disloqué des familles et brisé des rêves. 

seneweb

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