Il a des rastas. Il chante avec sa guitare. Il a l’art de faire ce qu’il veut de sa voix. Il a le soufisme comme voie. Il s’appelle Tafa. On l’appelle Diarabi. On l’a baptisé Moustapha. Il aurait pu être philosophe. Après une année de fac, il a choisi.
Moustapha d’une part et, d’autre part, sculpteur de « xërëm ». Quel sacrilège ! Et, que c’est tôt, de dévier. Dévier, en n’étant qu’au collège. Mais, le collège n’est-il d’ailleurs pas un lieu qui dévie, qui a dévié mille âmes, qui a fait perdre espoir mille parents ? Moustapha, avait dévié…vers l’art…au collège, déjà. Collège d’enseignement moyen David Diop, un môme.
Devant le collège, une pierre.
Un coup d’œil. Puis deux. Puis d’autres. Puis quelque chose qui s’est dessiné dans l’esprit du gamin. Puis, une image qui gratte les doigts du gamin. Puis, le gamin qui commence à gratter sur la pierre. Quelque chose qui se forme. Le polissage des formes se poursuit.
Quelque chose jaillit : un « xërëm », dit papa. Pas ça, papa ! Papa, Tafa est un esprit précocement artiste qui, déjà au collège, sur la pierre, peint les formes qu’il se sculptait intérieurement ! Papa, Tafa est artiste-né.
Lui qui, passés les 40 ans, se rappelle (rappelle à Pape Cheikh Diallo qui l’accueillait sur son plateau pour parler de son deuxième album) que déjà très, très, très jeune, il parlait avec papa de son voeu d’aller à l’école des Arts. Papa négocia l’entrée en sixième ! Papa négocia le Bac. Tafa négocia avec la Fac : la négociation ne durera qu’un an.
Et voilà que Moustapha disait au revoir à Socrate et Platon.
Celui qui deviendra Diarabi commence à philosopher dans l’amphithéâtre de sa chambre. Guitare, le concept. Voix, la méthode. Doigts sur les cordes, le raisonnement. Musique, le système philosophique.
Il arrive un moment de son existence où il arrive à l’homme d’expérimenter quelque chose de crucial : se rendre compte que « choix », à partir d’aujourd’hui, cesse d’être un mot défini dans un dictionnaire. « Choix » devient ainsi une attitude. On se l’applique et sa vie se voit alors changée à jamais. Les autres et les leurs ! Tafa et le sien, d’arrêter l’université.
Dans son entourage immédiat, on se rappelle ce moment.
« Quand il a décidé d’arrêter les cours pour la musique, c’était des moments très difficiles ». C’est une voix dans la famille Diouf, Baba, le petit frère du chanteur, qui s’exprime. Difficile donc, cette période, « puisque mes parents n’étaient pas d’accord avec cette décision ».
Difficile pour Tapha, cette période, et difficile pour son Baba de petit frère.
Difficile : « même si j’étais encore très jeune et que je ne comprenais pas trop cette décision », poursuit Baba, « j’étais très sensible et connecté à tout ce qu’il faisait et à sa personne ».
« Tafa a toujours été un artiste »
Guitare, voix, doigts. Tafa aime à rappeler qu’il voit quelque chose de magique dans des cordes qui vibrent. Dans le « tingsa ngalam » bien avant dans la guitare. Sûrement, tout le Sénégal a aussi senti qu’il y a quelque chose de magique quand les cordes vocales de Tafa Diarabi vibrent et émettent. « Aani yo Diarabi yoo, Diarabi, Diarabi yoo ni Diarabi naa ». (Lisons en ayant en boucle sa voix) ! Et en 2013, l’album « Couleurs » se fit.
Tafa y dévoila une philosophie de musique épurée : rare, qui rappelle un certain Wasis Diop. Ils sont peu. Celui qui était prédestiné à faire du Bachir Diagne fit quelque chose qui effaça son nom originel dans son nom d’artiste. Qui sait que Tafa Diarabi s’appelle Moustapha Diouf ?
Mais, ainsi en est-il des oeuvres excellemment réussies.
On dit un Picasso, un Rimbaud, un Céline (il est fan de l’écriture de Céline). Et « Couleurs » est si bien peint qu’on en pourrait en dire que c’est un Tafa Diarabi. « Yaw sama xol, bul ma sori Kaay jege maa. Sol del Amor estoy aqui ya esperar ». (Imagine this, with Tafa’s voice !).
Et sacrilège encore, que d’affirmer qu’il était predestiné à faire du Nietzsche.
Il était tout bonnement prédestiné à être ce qu’il est. « Tafa a toujours été un artiste ». C’est encore Baba, qui remonte le temps pour rapporter les signes qui allaient effacer Moustapha Diouf et laisser émerger Tafa Diarabi.
« Il aimait les dessins » et « il faisait des tableaux d’art et la sculpture ».
Aussi, puisqu’être artiste suppose être altruiste, M. Diouf a assez tôt montré son sens du partage avec les proches bien avant celui avec son public. À Liberté 6, dans le quartier, aux frères et soeurs et aux autres du voisinage, Tafa donnait des cours.
Dessiner, sculpter, « enseigner » : la culture a toujours été là avec Tafa…
Culture, ancrage, tout est toujours là avec celui qui a sorti en 2024, après un long silence, « Jahrahmah », son deuxième album. Le clip de la chanson « Xobay » regorge de références qui renvoient au national.
Mais l’esprit des artistes étant réfractaire à la sédentarisation, Moustapha est allé puiser ailleurs.
Moustapha est allé jusqu’aux États-Unis. Moustapha est allé jusque dans les ghettos. Moustapha est allé jusque dans le répertoire de Candi Statone. « Jahrahmah » contient un titre « In the ghetto », sûrement un hommage à Candi. La version de Tafa sera interprétée en anglais, bien sûr, comme une partie du morceau « Burial Day » contenu dans son premier album.
Mais, plutôt que de rester chez l’Oncle Sam, Tafa a transposé l’histoire quelque part à Thiaroye.
Des rues, des difficultés, un revolver, un garçon qui meurt, une mère désemparée qui pleure, la voix mélancolique de Tafa pour accompagner tout ça. « In The ghetto », poignante chanson, aussi poignante que cette balle qui percute la poitrine d’un individu, quelque part dans une rue de Thiaroye.
La plage de Mermoz, les zikrs, les livres
« Raw naa sama xol dugg naa sama xel » … qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que ça veut dire, comme si on lisait un certain philosophe. C’est peut-être ça Tafa : l’Ucad quitté, la philosophie toujours en bandoulière !
Que de la philosophie ?
Quelque chose de mystique, wesh ! C’est en tout cas ce qui s’entend, lorsque dans « Xobay », M. Diouf à Ndiokhobaye parle d’effacement d’une présence avec l’avènement d’un « xaal ». « Xaal », état de transe, pour plus d’explications et pour qui veut, un tour chez les soufis…
Soufi, c’est ce que Moustapha Diouf est.
Ce fait traverse la plupart de ces textes. Faites une pause, convoquez votre mémoire auditive, laissez jaillir une voix quelquefois haute, quelquefois basse chanter Cheikh Ibra Fall. C’est celle du polisseur de pierre au collège qui est devenu peintre de notes musicales. Après la pause, projetez votre esprit vers la plage de Mermoz. Baba, le petit frère du grand Diouf, vous y accompagnera de ses souvenirs.
Il souffle ceci : « Comme il aimait la solitude, il s’enfermait toujours dans sa chambre avec sa guitare ». On devine qu’il continue d’expliquer la période difficile d’après université.
Et, au cas où il n’était pas enfermé dans sa solitude et en compagnie de sa guitare, il se rendait « à la plage de Mermoz. Il a toujours été intéressé par la spiritualité. Aussi il faisait des zikrs ». Et lisait beaucoup, chute Baba. Solitude, plage, zikrs…Moustapha Diouf est Baye Fall et tout s’explique.
Tout s’explique dans ce cas, mais, tout ne s’explique pas dans le texte de Diarabi.
Ce dernier dit des choses plus profondes que les choses déjà profondes et entendues à la surface. À la première écoute de ses morceaux. L’animateur Pape Cheikh Diallo a plus d’une fois touché, essayé de toucher cette dimension des chansons du Monsieur.
À la télévision, mais, rien !
Qui est ce « Róog Seen » que l’artiste dit avoir rencontré dans un champ en plein jour, et qui lui tendit une calebasse et l’invita à boire ? Qui ou quoi ?
Jah is Rahma
Qui, quoi, on ne le sait. On sait seulement que le texte reflète le personnage. Il a dans sa solitude rencontré son « Róog » (du moins dans le texte), et cette idée de solitude revient dans ce que son Baba de petit frère témoigne de lui. « Moustapha n’a pas changé. Il est resté le même, dans la foi de sa motivation personnelle et de tout ce qui l’anime.
Il aime toujours être seul, c’est un solitaire ».
C’est un solitaire qui a cependant su accompagner les siens, qui a aussi su se trouver une famille culturelle. Cette dernière a ses tentacules déployés jusqu’en Jamaïque. Très attaché à la culture reggae qu’il était et en amoureux de la poésie qu’il est, « il reprenait les poésies de Mutabaruka.
Il reprenait les morceaux de Bob Marley aussi ».
Très attaché à la culture reggae qu’il était ? Non ! Très attaché à la culture reggae qu’il est toujours ! Vous le verrez, par exemple, faire une vidéo sur le réseau social TikTok, à la date du 11 mai, pour dire combien important est pour lui Bob…
Dernière remarque : le titre du deuxième album de Tafa, à la lecture, peut être wolofisé pour donner « jaaraama », mot que Tafa dit presque tout le temps. Seulement, à l’écrit, il se décompose en Jah (influence reggae) et Rahmah (de l’Arabe, qui renvoie à Miséricorde).
Là, reviennent les influences, deux des influences, qui font l’artiste Tafa. « Jaaraama », que Tafa dit souvent en souriant, c’est Dieu qui est Miséricorde.
lesoleil