On n’avait pas connu une telle situation depuis vingt ans, soit trois années après l’introduction de l’euro.
La baisse de l’euro, revenu dans la zone de 1 dollar, fait couler beaucoup d’encre. En soi, l’événement n’est pas d’une importance capitale. Mais il est le reflet d’une évolution de l’économie mondiale qui a de quoi inquiéter.
La magie des chiffres ronds opère toujours. Que l’euro revienne à 1 dollar, avec même quelques transactions au-dessous, et les projecteurs de l’actualité se tournent vers le marché des changes comme si le passage de ce seuil revêtait une importance particulière. Il est vrai qu’on a plutôt l’habitude de voir l’euro évoluer entre 1,10 et 1,25 dollar, et que ses passages à 1 dollar ou en dessous sont rares. Cela fait vingt ans qu’on n’avait pas connu cette situation, alors que l’histoire de l’euro est très courte et ne remonte qu’au 1er janvier 1999.
Lors de sa première cotation, l’euro s’était établi à plus de 1,17 dollar. Mais il avait rapidement fléchi. À cette époque, l’écart de croissance entre la zone euro et les États-Unis plaidait en faveur de ces derniers; et surtout, les succès remportés par les firmes américaines dans le développement d’internet et de la «nouvelle économie» attiraient les capitaux du monde entier vers Wall Street.
Entre 0,82 et 1,60 dollar
En octobre 2000, l’euro enregistrait le cours le plus bas de son histoire face au dollar (juste au-dessus de 0,82 dollar), et en juin de l’année suivante, il retombait encore à 0,83 dollar.
À l’opposé, on a vu l’euro atteindre des sommets en 2008, autour de 1,60 dollar, juste avant la crise financière qui devait éclater à l’automne de cette année. En réalité, la crise couvait depuis plusieurs mois déjà. L’économie américaine, plombée par les difficultés du secteur immobilier, envoyait des signaux inquiétants, tandis qu’en Europe, le niveau élevé de l’inflation laissait présager une nouvelle hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE), ce qui attirait les capitaux en quête d’une rémunération élevée.
Les États-Unis et l’Europe ne sont pas du tout dans la même situation face à la montée du prix des hydrocarbures.
De fait, la BCE a procédé à une ultime hausse de ses taux directeurs, au début de juillet 2008, ce qui a été beaucoup reproché à Jean-Claude Trichet, alors président de la BCE, qui a dû rétropédaler très vite ensuite lorsque la crise financière a éclaté et a entraîné une chute brutale de l’activité. Petit détail qui mérite d’être rappelé: une des plus vives critiques du président de la BCE avait été Christine Lagarde, alors ministre française de l’Économie, aujourd’hui présidente de la BCE et elle-même critiquée pour la faiblesse de réaction de la Banque centrale alors que la hausse des prix a atteint 8,6% en juin dans la zone euro…
Écart croissant des taux d’intérêt
Ce rapide rappel des bas et des hauts de l’euro est une parfaite illustration du fonctionnement du marché des changes. Deux points essentiels peuvent expliquer les mouvements de capitaux vers une monnaie plutôt que vers une autre: les écarts de croissance et les écarts de taux d’intérêt. Certes, le PIB des États-Unis a reculé au premier trimestre et, pour l’ensemble de l’année, les prévisions de croissance sont orientées à la baisse par rapport aux prévisions initiales, pour eux comme pour les autres pays. Mais le rythme de hausse des prix y reste préoccupant: 1,3% pour le seul mois de juin, 9,1% sur les douze derniers mois.
La Réserve fédérale va indiscutablement continuer à relever ses taux directeurs. La seule question qui se pose dans les milieux financiers est de savoir si la hausse des taux qui interviendra à la fin du mois de juillet, la quatrième, sera «seulement» de 0,75 point de pourcentage comme en juin –ce qui semble le plus probable– ou si la décision sera prise d’accélérer encore le mouvement et de porter la hausse à 1 point.
Pendant ce temps la BCE devrait procéder à sa première hausse ce jeudi 21 juillet et celle-ci devrait être limitée à 0,25 point. Quant à la croissance de la zone euro, elle est aussi orientée à la baisse; si l’on en croit les dernières prévisions de l’OCDE, elle pourrait rester légèrement supérieure à celle des États-Unis cette année et l’an prochain, mais l’écart n’est pas très important et, surtout, ces prévisions sont fragiles. La menace d’un arrêt total des livraisons de gaz russe continue de peser sur le continent.
Sorties de capitaux
Un point particulier doit être souligné: les États-Unis et l’Europe ne sont pas du tout dans la même situation face à la montée du prix des hydrocarbures. Les premiers sont de gros producteurs, les seconds sont très dépendants des approvisionnements extérieurs. La forte hausse du prix des carburants pèse sur les consommateurs américains, mais elle profite aux producteurs nationaux; il y a des gagnants et des perdants, mais, pour l’essentiel, le transfert financier s’effectue entre Américains. En Europe, cette hausse se traduit par une sortie de capitaux au profit de la Russie et des autres fournisseurs, et donc par un appauvrissement relatif.
La hausse des taux d’intérêt va compliquer la tâche des États, déjà lourdement endettés et en déficit.
De janvier à mai 2021, la zone euro avait enregistré un excédent de son commerce extérieur de 83,7 milliards d’euros; de janvier à mai 2022, elle a enregistré un déficit de 113 milliards. Et ce n’est pas fini… Un cercle vicieux est engagé: l’Europe est vulnérable, cela fait baisser le cours de sa monnaie, celle-ci ne faisant alors qu’aggraver les effets de la hausse des prix du pétrole et du gaz, libellés en dollar. En 2008, le cours du baril était monté bien plus haut qu’aujourd’hui, mais à cette époque, l’euro était à son pic, ce qui rendait la situation beaucoup plus supportable.
Casse-tête politique
Pour les responsables politiques et monétaires, c’est un vrai casse-tête. La BCE n’avait évidemment plus le choix: elle ne pouvait plus garder son principal taux directeur à 0% avec une inflation à 8,6%, mais jusqu’où doit-elle le relever et à quel rythme? Si elle n’agit pas assez fermement, l’inflation s’installera et, du fait de l’écart de taux d’intérêt avec les États-Unis, l’euro restera faible, ce qui contribuera à renchérir nos importations et alimentera la hausse des prix.
Mais si elle fait son travail –statutairement, le maintien de la stabilité des prix est sa mission principale–, la hausse des taux d’intérêt va compliquer la tâche des États, déjà lourdement endettés et en déficit, à un moment où on leur demande d’intervenir davantage pour aider l’Ukraine, renforcer la défense nationale, faciliter la transition énergétique et soutenir les plus démunis face à la hausse des prix (sans même parler des mesures à prendre pour le système de santé ou encore l’éducation).
La tendance à la hausse de la devise américaine se fait sentir face à l’ensemble des grandes devises depuis un peu plus d’un an.
Les gouvernants ont au moins une certitude: les prochaines années vont être compliquées, avec un environnement international défavorable, des taux d’intérêt plus élevés et des opinions publiques mobilisées pour défendre leur pouvoir d’achat. En Italie, on voit Mario Draghi en difficulté pour maintenir un gouvernement d’union nationale, au moment où son pays risque d’être une des principales victimes de la hausse des taux d’intérêt et où il s’annonce difficile de maintenir la cohésion de la zone euro. En France, Emmanuel Macron et le gouvernement Borne vont avoir le plus grand mal à trouver des alliés ponctuels pour voter avec eux la majorité des mesures qui risquent fort de ne pas être très populaires.
Le dollar, valeur refuge
Cela dit, ce serait une erreur de penser que la faiblesse de l’euro face au dollar est le signe de difficultés propres à l’Europe. La tendance à la hausse de la devise américaine se fait sentir face à l’ensemble des grandes devises, avec une tendance à l’accélération depuis un peu plus d’un an. La remontée des taux d’intérêt aux États-Unis la rend plus attrayante et, comme dans toute période de tensions internationales et d’incertitudes économiques, c’est encore vers le dollar que les investisseurs cherchent un refuge.
L’année 2022 sera dure et il est possible que l’année 2023 le soit encore davantage, avec un risque accru de récession.
Comme le disent les économistes de l’OCDE, «le monde paie au prix fort la guerre menée par la Russie en Ukraine». Et ce n’est pas du côté de la deuxième économie mondiale qu’il faut chercher une issue de secours: freinée par les mesures de confinement, l’économie chinoise enregistre un ralentissement sévère. Au deuxième trimestre, le PIB a reculé de 2,6% et, sur un an, la croissance n’est plus que de 0,4%, comme est bien obligé de le reconnaître le Bureau national des statistiques tout en faisant des commentaires destinés à enjoliver la réalité.
Alors, oui, c’est vrai, la faiblesse de l’euro face au dollar est réelle. Mais l’euro n’est pas seul en cause, et les problèmes se posent au niveau mondial. L’année 2022 sera dure et il est possible que l’année 2023 le soit encore davantage, avec un risque accru de récession, prévient Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI.
slate
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