Après le rapport de la cour des Compte qui a confirmé les craintes du nouveau gouvernement quant au niveau d’endettement du pays – 99,67 % du PIB, bien au-delà des 74 % annoncés par l’ancien gouvernement – tous les regards scrutent les prochaines actions des autorités sénégalaises. La crainte d’une crise économique couve au sein de la population.
Une délégation du Fonds monétaire internationale (FMI) se trouve à Dakar jusqu’au 26 mars. Elle tente de comprendre ce qui a provoqué ce dérapage des comptes publics et quelles leçons en tirer. Entretien avec Edward Gemayel, chef de la délégation.
Agence Ecofin : Quel est l’objectif de la mission de la délégation du FMI qui séjourne actuellement à Dakar ?
Edward Gemayel : L’objectif principal de cette mission est d’examiner les conclusions du rapport de la Cour des comptes et de mieux comprendre ce qui s’est passé ces dernières années.
Nous souhaitons analyser les événements passés, voir comment ils se sont déroulés et, surtout, discuter avec les autorités des réformes qu’elles comptent mettre en place pour éviter que des situations similaires ne se reproduisent à l’avenir.
« L’objectif principal de cette mission est d’examiner les conclusions du rapport de la Cour des comptes et de mieux comprendre ce qui s’est passé ces dernières années. »
Cela dit, il est important de préciser que ces échanges ne commencent pas aujourd’hui.
Notre dialogue avec le gouvernement sur la situation de la dette est en cours depuis longtemps. Il a débuté bien avant la publication du rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) en septembre dernier. Nous avons eu plusieurs discussions en amont, au cours desquelles les autorités nous ont donné un aperçu des éléments à anticiper.
Nous étions déjà à Dakar en septembre, puis en octobre.
Ensuite, les autorités ont participé aux Assemblées annuelles du FMI fin octobre. Nos échanges ont continué de manière virtuelle, et cette mission actuelle s’inscrit dans cette continuité, suite à la publication du rapport de la Cour des comptes. Et bien sûr, ces discussions se poursuivront dans les semaines à venir.
Agence Ecofin : Cela signifie qu’aucun nouvel accord n’est prévu pour le moment, étant donné que le précédent a été suspendu ?
Edward Gemayel : Absolument. Actuellement, il n’y a pas d’accord en place.
La priorité immédiate concerne le misreporting : il est essentiel de comprendre ce qui s’est passé, comment cela s’est produit et quelles mesures les autorités comptent prendre pour y remédier.
La prochaine étape consistera à soumettre un dossier au conseil d’administration du FMI sur cette question.
Ce dernier devra alors prendre une décision parmi deux options : soit accorder une dérogation, sous réserve que les autorités mettent en œuvre des mesures correctrices, soit demander un remboursement.
« Le Conseil du FMI devra alors prendre une décision parmi deux options : soit accorder une dérogation (…), soit demander un remboursement. »
Une fois cette question réglée, nous pourrons entamer des discussions sur un nouveau programme, comme le souhaitent les autorités. Celles-ci ne souhaitent pas poursuivre avec l’ancien programme, négocié par l’administration précédente. Elles préfèrent élaborer un nouveau programme qui reflète leurs propres priorités.
Agence Ecofin : Le FMI estime-t-il que le Sénégal dispose de fondamentaux économiques suffisamment solides pour faire face à la situation actuelle sans compromettre sa croissance et la lutte contre la pauvreté à court et moyen terme ?
Edward Gemayel : Avec la révision du niveau de la dette, la situation s’est probablement complexifiée, du moins sur le plan statistique. Cependant, il est important de noter que cette dette était déjà en cours de remboursement par le pays.
Ensuite, les autorités sont pleinement conscientes des défis actuels.
Elles adoptent une approche prudente en hiérarchisant les dépenses essentielles, qu’il s’agisse des dépenses sociales, des charges courantes ou des investissements. Les projets les plus prioritaires sont maintenus, tandis que d’autres, moins urgents, sont reportés.
Cette gestion témoigne d’une approche réfléchie et pragmatique des finances publiques.
« Les projets les plus prioritaires sont maintenus, tandis que d’autres, moins urgents, sont reportés. Cette gestion témoigne d’une approche réfléchie et pragmatique des finances publiques. »
Enfin, depuis le début de son mandat, l’administration actuelle a affiché une volonté claire de mettre en place des réformes structurantes. Ces réformes sont pertinentes et bien pensées. Le véritable défi réside désormais dans la gestion du misreporting. Il est essentiel de tourner cette page afin d’avancer avec ces réformes, en collaboration avec le FMI, et d’envoyer un signal positif aux partenaires économiques.
Agence Ecofin : Pour le FMI, qui a une expérience avec de nombreux pays ayant rencontré des défis liés à leur dette, quelles devraient être les priorités actuelles du gouvernement sénégalais ?
Edward Gemayel : À court terme, la priorité est de stabiliser l’économie, en tenant compte de la nouvelle réalité d’un niveau de dette plus élevé. Il ne s’agit pas d’une instabilité économique au sens d’une inflation galopante ou d’une baisse marquée de la croissance.
Au contraire, la croissance est estimée à environ 8 % cette année, ce qui en fait l’une des plus élevées de la sous-région et même de l’Afrique subsaharienne. Quant à l’inflation, elle est maîtrisée, autour de 1 % à 1,8 %.
Les fondamentaux économiques restent solides, mais la dette doit être placée sur une trajectoire descendante à moyen terme.
Cela passe par une politique budgétaire et fiscale qui permette de réduire progressivement le déficit. En stabilisant le déficit, on peut enclencher une baisse durable de l’endettement. C’est le principal défi à court et moyen terme.
À plus long terme, il s’agira de redynamiser l’économie et de renforcer le rôle du secteur privé, notamment dans le cadre de la Vision 2050 portée par le gouvernement. Ce programme constitue une bonne base pour le développement économique futur et le secteur privé y jouera un rôle clé.
Enfin, pour clarifier, quand nous parlons de stabilisation, il ne s’agit pas d’une réponse à une crise inflationniste ou à un effondrement de la croissance. Il s’agit avant tout de maîtriser la dette et de l’inscrire sur une trajectoire descendante. Les indicateurs macroéconomiques restent positifs, avec une croissance de 8 % cette année, après avoir dépassé les 6 % l’an dernier. C’est un signal encourageant.
Agence Ecofin : Certains observateurs estiment que le FMI a manqué de vigilance au Sénégal. Comment l’institution compte-t-elle s’assurer qu’une telle situation ne se reproduise pas à l’avenir ?
Edward Gemayel : C’est précisément l’un des objectifs de cette mission : comprendre ce qui s’est passé, comment cela a pu arriver, et en tirer des enseignements. Cela nous permet aussi de réfléchir à la manière dont nous aurions pu être plus vigilants dans notre approche.
« Cela dit, il est important de rappeler que le FMI n’est pas un auditeur.
Nous travaillons en collaboration avec les autorités et nous nous basons sur les informations qu’elles nous fournissent. »
Cela dit, il est important de rappeler que le FMI n’est pas un auditeur.
Nous travaillons en collaboration avec les autorités et nous nous basons sur les informations qu’elles nous fournissent, tout en réalisant nos propres analyses et comparaisons.
Cela ne signifie pas pour autant que nous acceptons aveuglément toutes les données qui nous sont transmises. Malgré cela, certains éléments nous ont échappé, comme ils ont également échappé à d’autres institutions nationales et internationales.
Il y a donc plusieurs leçons à tirer, non seulement pour le FMI, mais aussi pour d’autres organisations internationales et pour les institutions nationales. Cette situation est un rappel de l’importance d’une vigilance accrue à l’avenir, afin d’éviter que de tels événements ne se reproduisent.
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