L’éducation financière permet de savoir comment gérer au mieux son argent et de faire des choix financiers éclairés en fonction de ses objectifs de vie et de son contexte économique et financier. Elle est d’autant plus essentielle dans un monde en pleine transformation numérique qui confère une grande autonomie au client.
Situation de l’éducation financière des sénégalais : Diagnostic, initiatives et défis
De ce point de vue, la digitalisation multiplie les opportunités pour les usagers, en matière de suivi de compte, de paiement, de financement ou encore d’investissement, mais celles-ci ne sont pas exemptes de risques.
L’éducation financière fait aujourd’hui partie des préoccupations croissantes des pouvoirs publics au niveau national et international. Elle figure parmi les huit compétences clés indispensables pour protéger et améliorer le bien-être financier du client, selon le G20,
Le journal de l’économie sénégalaise (Lejecos) s’intéresse dans ce numéro à la problématique de l’éducation financière au Sénégal
L’Education Financière, une notion à définitions multiples.
Le Conseil de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) définit l’éducation financière comme le processus par lequel des consommateurs et/ou investisseurs améliorent leurs connaissances des produits, concepts et risques financiers et acquièrent, au moyen d’une information, d’un enseignement ou d’un conseil objectif, les compétences et la confiance nécessaires pour d’une part, devenir plus sensibles aux risques et opportunités en matière financière, et faire des choix raisonnés, en toute connaissance de cause, et d’autre part , savoir où trouver une assistance financière et ainsi prendre d’autres initiatives efficaces pour améliorer leur bienêtre financier.
Selon l’Institut pour l’Education Financière du Public de France, l’éducation financière s’étend à l’ensemble de la population, et pas seulement aux consommateurs et aux investisseurs.
Elle inclut, en outre, une dimension culturelle moins pragmatique, à savoir la compréhension, par chaque individu, de l’environnement économique et financier. Cette définition va au-delà du caractère utilitariste de la définition anglo-saxonne retenue par l’OCDE. Selon cet Institut, l’éducation financière vise à transmettre à tous les citoyens un corpus de connaissances et de savoir-faire leur permettant de faire des choix pertinents dans le domaine financier, c’est-à-dire d’être en mesure d’analyser quels types de crédits et de placements sont les plus adéquats pour eux.
D’après l’Alliance pour l’Inclusion Financière (AFI), l’éducation des consommateurs est nécessaire pour assurer un équilibre dans l’accès à l’information entre les consommateurs et les fournisseurs de services financiers. Elle consiste ainsi à sensibiliser les consommateurs sur les méthodes et techniques leur permettant une meilleure gestion de leurs revenus et de leurs dépenses, afin de prendre les décisions d’épargne, d’emprunt et d’investissement en toute connaissance de cause. De ce fait, elle constitue un moyen efficace de lutte contre le surendettement.
Pour le Groupe Consultatif d’Assistance aux Pauvres (CGAP), l’éducation financière est un service non financier qui « enseigne les connaissances, les compétences et les attitudes requises, permettant d’adopter les bonnes pratiques de gestion de l’argent ». Ainsi, les personnes formées en éducation financière sont capables d’acquérir des informations et outils de base pour gérer, dépenser, budgétiser, épargner et emprunter de l’argent. Elles peuvent faire les meilleurs choix financiers pour progresser vers leurs buts financiers et améliorer leur bienêtre économique.
Au regard des spécificités de l’Union Economique Monétaire Ouest Africain (UEMOA) , la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) définit l’éducation financière comme le processus par lequel les populations sont informées, sensibilisées et formées sur les concepts financiers, dans le but d’améliorer leur connaissance, afin de leur permettre de faire des choix avisés en matière financière, à chaque étape de leur vie.
Un bref état des lieux sur le niveau d’éducation financière des sénégalais
L’analphabétisme financier est généralement cité pour expliquer la faible demande des services financiers dans les pays en développement. La mauvaise compréhension des concepts financiers et le manque de compétence en calcul de base pourraient justifier les difficultés rencontrées par les usagers dans le choix de produits financiers et, par conséquent, à ne pas en consommer. De même, les clients pourraient choisir des produits qui ne répondent pas au mieux à leurs besoins ou ne pas les utiliser convenablement.
Par exemple, dans une étude en Inde et en Indonésie, Cole et al. (2009) ont démontré que la littérature financière est un facteur important dans la détermination de la demande de produits financiers, en particulier parmi les personnes non instruites et financièrement analphabètes de la population.
D’autres études dans divers contextes ont également constaté qu’une sensibilisation accrue peut à son tour conduire à une meilleure adoption des produits et services des institutions financières. Aux Etats-Unis, par exemple, des informations sur un régime de retraite ont été fournies au hasard à un groupe d’employés d’une université. Les travailleurs ayant reçu les informations ont été considérablement plus susceptibles d’adhérer au régime de retraite que ceux qui ne l’ont pas reçu.
Ceci suggère que les individus sont plus aptes à utiliser un produit financier une fois qu’ils sont au courant de son existence et de ses avantages (Duflo et Saez, 2003). Dans la même veine, Giné et al. (2011) ont constaté que, dans l’Inde rurale, le manque de compréhension des produits d’assurance est la deuxième raison la plus souvent citée par les ménages pour laquelle ils ne souscrivent pas à un régime d’assurance pluie.
Dans l’UEMOA, la question de l’éducation financière est d’autant plus cruciale que plus des 2/3 de la population vivent en milieu rural et près de 45% des adultes (population âgée de 15 ans et plus) ne sont pas alphabétisés.
Les données de l’enquête sur les capacités financières des ménages sénégalais et l’inclusion financière (Banque mondiale, 2016) indiquent que les usagers qui utilisent des produits financiers formels ont un meilleur score de l’indice de littérature financière que ceux qui n’en utilisent aucun.
Par ailleurs, il est relevé que 46% sénégalais qui épargnent formellement ne connaissent pas les concepts de base en finance. Les usagers qui n’épargnent pas, ou qui épargnent par le biais de sources informelles, ont un score légèrement plus bas, soit environ 50%.
On note une tendance comparable parmi les emprunteurs.
Ces faibles niveaux de compréhension des concepts financiers de base peuvent être préoccupants, en particulier pour les utilisateurs actifs de produits financiers.
Les usagers qui épargnent ou empruntent formellement semblent être très sensibilisés aux produits financiers. Ils sont plus familiarisés avec les diverses institutions financières et leurs produits que ceux qui utilisent uniquement les sources informelles, ou n’épargnent pas ou n’empruntent pas du tout. Cette tendance peut suggérer que les sénégalais détenant plus d’informations sur le secteur financier choisissent de meilleurs produits et institutions que les usagers moins bien informés.
Les prestataires financiers moins connus par les sénégalais sont les banques commerciales et les services financiers postaux, les institutions de microfinance, les compagnies d’assurance, les maisons de courtage et les banques islamiques.
En outre, leur connaissance des produits financiers offerts par les bureaux de change (76%) et les services financiers mobiles (70%) est comparativement plus élevée.
Les résultats de l’enquête réalisée par l’Observatoire de la Qualité des Services Financiers (OQSF, 2017) ne sont guère reluisants puisque 34,3% des clients de la microfinance soutiennent ne pas connaitre les services non financiers (missions de sensibilisation et d’information, éducation financière, etc.) offerts par leur institution de microfinance.
Sur les raisons évoquées concernant la faible connaissance des services offerts par les Systèmes Financiers Décentralisés (SFD), il convient de souligner que cette situation pourrait s’expliquer principalement par le niveau d’analphabétisme relativement important des membres/sociétaires.
Les opportunités d’une meilleure éducation financière
Un niveau élevé d’alphabétisme financier pourrait être bénéfique, notamment en termes de prévention de l’endettement. En effet, les personnes possédant une bonne maîtrise des concepts financiers et des risques sont deux fois plus enclines à prendre des décisions financières éclairées et gèrent mieux leur argent que celles qui n’en possèdent pas.
De même, le niveau d’éducation financière influence de façon positive les comportements financiers des ménages, notamment sur la capacité à planifier un budget à long terme et à assurer la protection des clients tout en améliorant la numérative financière.
A l’échelle nationale, une meilleure éducation financière participe au renforcement de la stabilité financière et à la croissance de l’économie d’un pays. En ce sens, l’éducation financière est un facteur d’efficacité économique et d’équité sociale.
L’éducation financière des concitoyens favorise une meilleure inclusion financière des populations et participe à la facilitation de l’accès au financement.
Les politiques publiques en matière de promotion de l’éducation financière
L’éducation financière constitue de nos jours un axe particulièrement innovant de l’intervention sociale des Etats.
Elle apparaît, aujourd’hui, comme l’un des piliers essentiels de développement de l’inclusion financière dans le monde.
Elle a été érigée au rang de priorité par les Autorités de l’UEMOA
Dans la Stratégie régionale d’inclusion financière, l’axe n°4 du plan d’action de l’UEMOA intitulé « Renforcer l’éducation financière et la protection du client des services financiers », intègre l’élaboration d’un Programme régional d’éducation financière dans l’UEMOA avec l’implication de la BCEAO. L’objectif, défini dans la stratégie régionale, est d’inclure financièrement 75% de la population adulte dans l’UEMOA.
De même, l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), a au cours de la décennie 2000, publié en appui à cette préoccupation les principes et de bonnes pratiques en faveur du développement de l’éducation financière.
Dans le sillage des recommandations de l’OCDE, environ une cinquantaine de pays disposent désormais d’un programme d’éducation financière. A fin 2015, onze (11) pays ont révisé leur stratégie nationale d’éducation financière ou sont en train de la mettre en œuvre. Vingt-trois (23) autres sont en phase de déploiement de leur première stratégie nationale.
Au Sénégal, un programme d’éducation financière a été mis en place en 2012 par le Ministère en charge de la Microfinance. Il cohabite avec un autre programme initié depuis mai 2016 par l’Observatoire de la Qualité des Services Financiers (OQSF/Sénégal) et qui est destiné à des segments plus larges (jeunes, PME, GIE, artisans, secteur informel, particuliers, monde rural, etc.)
Sur le plan décisionnel, dans une démarche inclusive, l’OQSF/Sénégal, acteur en charge de la coordination du Groupe de Travail sur l’éducation financière (GTEF), a lancé en partenariat avec les différents acteurs de l’écosystème, un projet de Stratégie nationale d’éducation financière. L’objectif visé est de renforcer les connaissances économiques, budgétaires et financières du grand public. La mise en œuvre de ce projet repose sur 3 piliers essentiels :
_Le développement des compétences financières des enfants et des jeunes, en intégrant l’éducation financière dans le parcours scolaire dès le plus jeune âge, de l’école maternelle à l’enseignement supérieur ;
_Le renforcement de la culture financière des populations en dehors de l’école pour asseoir les bonnes pratiques en matière de finance responsable ;
_La mise en œuvre de partenariats stratégiques en vue de la mobilisation de ressources.
Les principaux défis à relever pour une éducation financière de masse
Sur la base de l’état des lieux et nonobstant les avancées enregistrées en matière d’accès des populations aux services financiers au cours des dernières années, de nombreux défis doivent être relevé pour réussir l’éducation financière des populations.
C’est d’abord, le développement des compétences financières des enfants et des jeunes, dès leur plus jeune âge
Le renforcement de leur éducation financière est essentielle, afin de leur permettre d’acquérir les compétences et les aptitudes nécessaires pour la prise de décisions éclairées à l’âge adulte. Elle leur permettra de disposer d’une meilleure compréhension des principes de la gestion des revenus, des dépenses, de l’épargne et du crédit.
Le renforcement des capacités des groupes cibles sur les bonnes pratiques en matière de finance responsable
Les actions d’éducation financière devraient viser essentiellement, avec un accent particulier les jeunes, les femmes, les salariés des secteurs public et privé, les personnes âgées, les Petites et Moyennes Entreprises (les Petites et les Très Petites Entreprises) et les populations rurales.
Le recours à la technologie pour l’élargissement des actions d’éducation financière
En effet, les services financiers adossés à la téléphonie mobile sont en pleine expansion avec plus de comptes de monnaie électronique que de comptes bancaires et de SFD. A travers ces canaux, les connaissances essentielles sur ces nouveaux services, les conditions de leur utilisation pourraient être fournies aux populations en vue de les familiariser aux innovations et de prémunir contre les risques liés à la sophistication croissante des produits et services financiers.
L’insuffisance de ressources financières pour la mise en œuvre des actions d’éducation financière
Les actions menées par les acteurs manquent souvent d’engagement, faute de leadership pour la mobilisation des parties prenantes et des ressources financières.
Lejecos Magazine