Après des années d’accalmie, les départs sont repartis à la hausse cet été. Beaucoup de candidats à l’émigration clandestine sont de jeunes pêcheurs qui ont fini par perdre espoir. Les bateaux étrangers sont accusés d’être à l’origine de cette situation.
Léger vent en provenance de la mer, la température est agréable cet après-midi : du soleil, une légère brise de mer pour apporter un peu d’air, et aucun nuage à l’horizon. Sur le quai de pêche de Yoff, on peut constater l’activité commerciale liée au poisson.
Les embarcations commencent à accoster, les marchands et les commerçants se lancent dans une course effrénée pour récupérer une grande quantité de la ressource halieutique prise fraîchement.
Cette pratique est inhérente à la vie quotidienne de ces acteurs qui tirent leur subsistance de la pêche. Les charretiers et les jeunes footballeurs amateurs s’évitent pour prévenir les accidents, en particulier sur un espace peu étendu.
Les piroguiers accostent de chaque côté de la plage. Ce qui est le plus fascinant, c’est d’apercevoir au loin toutes ces pirogues naviguant entre deux rives sablonneuses : la plage et l’île Teunguène de Yoff. L’île se trouve à seulement 500 mètres du rivage, avec une superficie d’à peine 200 m2, et fait face au village de Yoff à Dakar.
À l’instar des îles de la Madeleine, elle a une origine volcanique. Un phare est installé à son centre et elle est utilisée comme repère pour les pêcheurs.
Après une négociation sur une grande quantité, nous rencontrons Abdou Mbengue mareyeur de son état.
Un peu hésitant à parler de l’impact de la migration clandestine sur le secteur d’activité, la quarantenaire finit par révéler que : « j’ai été une fois en Espagne. Je suis parti en mer. Je fais partie du groupe rapatrié sous le régime du président Abdoulaye Wade en 2007 ».
En effet, durant cette période, l’Etat du Sénégal avait signé avec le pays cité « des accords de rapatriements qui ont conduit des milliers de migrants arrivés par pirogues aux Canaries à être renvoyés dans leurs localités d’origine ».
Après cette aventure, le sieur Mbengue a décidé de se reconvertir en mareyeur et il est convaincu que les jeunes devront faire face à certaines difficultés, mais rien ne les arrêtera. En premier lieu, il place les bateaux de pêche sur le banc des accusés, puis l’Etat du Sénégal.
Selon ses dires, c’est le gouvernement qui s’occupe de la signature des accords de pêche et de l’attribution des licences de pêche. Il estime que cela porte préjudice aux petits pêcheurs sénégalais.
Les bateaux étrangers au banc des accusés
Venus d’Europe ou d’Asie, des navires de pêche industrielle écument les côtes sénégalaises depuis des décennies, jouant un rôle majeur dans la raréfaction de la ressource halieutique.
Un « pillage » qui pose des questions de sécurité alimentaire dans toute l’Afrique de l’Ouest. Les pêcheurs continuent cette pratique dans « nos eaux ».
Revenant d’une partie de pêche, Fara Thiaw de teint noir, la trentaine révolue, le jeune yoffois ne connait que cette pratique, car ayant grandi avec.
Il est aujourd’hui « impuissant face à une agression » de la mer par les bateaux de pêche : « Actuellement, le poisson se fait rare. Ça devient très difficile d’en attraper. A mes débuts, nous parcourons 30 km pour avoir du poisson, mais depuis un moment nous faisons près de 150 km en mer.
Nos pirogues ne peuvent pas atteindre certaines zones marines alors que les bateaux de pêche peuvent naviguer partout ».
Cette flotte étrangère dans les Sénégalaises n’est pas sans conséquences. Ces acteurs de la pêche dénoncent la concurrence de bateaux étrangers et notamment européens qui, selon eux, les privent de poissons. Beaucoup aspirent à rejoindre l’Europe en quête d’une vie meilleure.
Le départ des pêcheurs très ressenti !
Comme Fara, Pape Dia, mareyeur au quai de pêche de Yoff soutient que si « on n’a pas ce qu’on veut chez soi, on ira le chercher ailleurs ». Selon lui, il y a un grand changement dans la marche des affaires dans ce secteur.
Avant d’ajouter : « La rareté du poisson et le manque de pêcheurs se font ressentir. Il y a deux jours, des pirogues transportant des migrants ont accosté au quai avant de reprendre la mer.
Elles étaient venues de Saint-Louis, pour vous dire que la situation devient de jour en jour critique. Les bateaux chinois sont à l’origine de toute cette situation. Les étrangers bénéficient plus de notre mer. Donc, c’est normal que nos jeunes partent.
Si on ne peut pas réussir dans notre propre pays, on ira ailleurs ». L’absence de réglementation commune favorise en outre la pêche illicite.
Le constat est le même au quai de pêche de Thiaroye-sur-Mer dans le département de Pikine. Les départs de pirogues clandestines ont repris de plus belle vers l’Espagne dans cette localité de la banlieue dakaroise. C’est un phénomène bien connu et qui ne faiblit pas. La lumière du soleil reflète sur l’océan laissant apparaître une belle image.
C’est sous ce soleil de plomb que nous retrouvons Ndeye Khady Seye à l’état civil.
Étudiante en deuxième année en soin, Dykha comme l’appellent les plus intimes, la vingtaine et teint clair, déplore cette situation.
Elle révèle que partir en aventure est sur les lèvres de plusieurs jeunes de la localité. « On a perdu plusieurs de nos jeunes notamment à Thiaroye sur mer. Comme tu as pu le constater, il n’y a que des mères au quai de pêche. Tous les jeunes sont partis.
Il y a quelques jours, on nous informe qu’une pirogue partie de Thiaroye était introuvable, donc sa nouvelle », regrette-t-elle.
Une saison de pêche salvatrice attendue
Pour elle, la conjoncture actuelle est à l’origine de ce fait. Elle dit être plus choquée par le fait de voir des filles qui prennent autant de risques pour de meilleures conditions de vie : « On peut passer des années à étudier sans avoir une issue heureuse. On dépose partout nos CV en vain. La pirogue est le seul espoir de ces jeunes. Quand on suit les débats à Thiaroye, tous disent qu’ils veulent partir.
Si tous les hommes partent, je regrette que ce ne soit nous les dames qui allons faire la pêche ».
Seulement l’espoir est permis chez certains. C’est le cas d’Abdoulaye Dièye, pompiste et gérant en même temps d’une petite station-service sur le quai de Thiaroye.
Coiffé d’un bon, le vieux Dieye, très nuancé, estime que la situation que peut présenter plus de peur que de mal. Pour lui, tout va dépendre de la prochaine saison de pêche. S’il y a une forte ressource halieutique, rassure le pompiste qu’il y aura autant de travailleurs.
« La campagne va bientôt s’ouvrir et là, on pourra évoluer. S’il y a plus de poissons en mer, on ne va pas sentir le départ des jeunes.
Il faut rappeler que Thiaroye est au cœur de la banlieue dakaroise, donc elle polarise plusieurs localités comme Pikine, Keur Massar entre autres. Des jeunes vont venir de ces zones et compléter le gap. Tout le monde n’est pas parti et il reste encore des jeunes entre 15 et 20 ans à Thiaroye.
En plus, il y a les saisonniers qui viennent de Saint-Louis, de Kayar, de Fass Boye pour s’installer dans la localité pendant toute la période de la campagne », explique Abdoulaye Dièye.
En 2006, le village de pêcheurs sénégalais faisait la Une de l’actualité à la suite d’une grande vague de départs clandestins vers les Canaries. Dix-huit ans plus tard, et malgré le travail de sensibilisation des associations, des pirogues partent à nouveau de ces plages.