Infanticides au Sénégal : le profil des meurtriers
African Population and Health Research Center (APHRC) en callabocation avec Population Council et lbis Reproductive Health ont présenté, ce 29 novembre 2023, des résultats d’une étude axée sur le thème ‘’Ethnographie de l’infanticide au Sénégal : expériences et mécanismes de pénalisation’’ . Le rapport éclaire ce phénomène.
L’étude, Intitulée « Ethnographie de l’infanticide au Sénégal : expériences et mécanismes de pénalidation », a été réalisée entre Mai 2021 et Janvier 2022 dans la région de Dakar et avait pour objectif de documenter les expériences vécues de femmes et de filles ayant été associées à des faits d’infanticide
- 22,13% des causes d’emprisonnement sont dues à l’infanticide
Selon le document, l’infanticide figure parmi les cinq premiers motifs d’incarcération des femmes dans les prisons sénégalaises, soit 22,13% % des causes d’emprisonnement. 19 femmes rencontrées dans les lieux de privation de Liberté notamment à la prison du camp pénal de Liberté 6 et de la maison d’arrêt et de correction de Rustique ont été enquêtées, pour une moyenne d’âge comprise entre 25 et 30 ans.
Les conclusions de l’étude sont aussi que les femmes qui tombent enceintes et qui finissent par commettre l’infanticide sont en majorité non instruites ou ont un cycle limité aux études primaires.
Leur travail est très souvent informel. Elles sont vendeuses ambulantes, élèves ou étudiantes qui dépendent de leurs familles ou simplement des sans-emplois. Selon l’étude, à cause de leur précarité économique, les femmes mènent des transactions qui découlent assez souvent sur une grossesse.
L’étude a associé 19 femmes et. Elle a aussi permis de recueillir des renseignements auprès de 11 proches et partenaires de victimes ainsi que 26 acteurs des milieux institutionnels (palais de justice, commissariat de police, structures sanitaires).
- 8 victimes sur 19 ont moins de 30 ans
Sur les caractéristiques sociodémographiques des femmes suivies, le rapport a révélé une fréquence de 8 femmes et filles âgées entre 25 et 30 ans associées à des faits d’infanticide, 7 comprises entre 18 et 24 ans et 4 autres ayant une tranche d’âge allant de 31 ans à plus de 40 ans.
Sur leur niveau d’étude, il est relevé que la plupart (12) s’est limitée aux enseignements primaires, 4 ont fait l’école coranique et 3 ont réussi à suivre des études supérieures. Relative à leur situation matrimoniale, les résultats de l’étude ont montré que la majeure partie n’a jamais été dans les liens du mariage. C’est un nombre de 13 filles et femmes contre 6 seulement dont 4 en situation de divorce.
- A l’origine des grossesses non désirées
Sur les déterminants sociaux de leurs grossesses non désirées, l’étude a démontré qu’une fragilité des liens sociaux et familiaux chez la plupart des participantes issues de familles de polygame où régnaient une grande rivalité et des conflits récurrents élevées dans des familles mono parentales du fait de divorces et ou décès d’un des parents – seules trois sur les 18 femmes ont connu la présence des deux parents.
Ce sont des femmes qui sont également victimes de violences sexuelles et maltraitances qui optent souvent pour le silence et dans la dénonciation des violences.
Le document renseigne, par ailleurs, d’un faible recours aux méthodes contraceptives de ces femmes et filles du fait de l’absence ou l’insuffisance d’informations sur les méthodes de contraception avec une crainte des effets tels que la stérilité, stigma associé à l’utilisation de la contraception par les jeunes, manque de moyens financiers pour accéder aux méthodes contraceptives, entre autres.
Sur l’expérience de l’accouchement, l’étude indique que les participantes étaient partagées entre solitude et peur.
Les résultats renseignent qu’elles accouchent généralement seules et sans assistance à domicile, ou seules dans les centres de santé. Sur les poursuites judiciaires auxquelles ces 19 victimes d’infanticides sont contraintes, 15 ont fait l’objet d’une détention dont 11 en attente d’un procès.
Du lot 10 ont purgé une peine allant de 2 à 4 ans, 4 incarcérées pour moins de 2 ans, 1 seul acquittement et 2 ont bénéficié d’une grâce à la suite d’une condamnation de 5 à 10 de réclusion criminelle. Dans leur vie carcérale, les victimes ont témoigné d’un vécu jugé lourd et difficile à porter avec souvent une rupture des liens et sentiment d’abandon par les proches parfois même avec des épisodes de dépression.
Pour African Population and Health Research Center (APHRC) et ses partenaires, les normes patriarcales et stigmatisation des grossesses pre/extramaritale plongent les filles et les femmes confrontées à des grossesses non désirées dans l’isolement social et économique et créent les conditions qui conduisent à l’infanticide.
En conclusion du document que ces organisations ont produit sur les cas d’infaticides au Sénégal, ils considèrent que la restriction de l’avortement et la stigmatisation (parfois internalisée) font de l’infanticide l’unique option pour sortir de la « disqualification sociale » et se réinsérer dans leur réseau.
Or l’infanticide aggrave cette disqualification, les faisant passer de « déviantes » à « criminelle » avec toutes les sanctions juridiques et sociales y afférentes pour les victimes comme pour leurs proches.
- 224 femmes détenues dans 14 établissements pénitentiaires
Selon une étude menée entre septembre et octobre 2023, par le comité de plaidoyer pour l’accès à l’avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste (Task force) avec l’appui de l’ONG Planned Parenthood Global (PPG), les résultats ont montré qu’au moment de l’étude, sur les 37 établissements pénitentiaires que compte le pays, seuls 14 établissements pénitentiaires abritaient des femmes incarcérées pour infanticide ou avortement clandestin.
Que sur les 244 femmes détenues dans l’ensemble de ces établissements pénitentiaires, 59 (24,18 %) ont été concernées par l’objet de l’étude. Parmi ces dernières, 54, soit 91,5 %, sont poursuivies pour infanticide et cinq, soit 8,5%, pour avortement clandestin.
- Plus de 30 000 cas d’avortement par an
‘’Le nombre de femmes détenues pour ces deux infractions est cependant faible par rapport aux données des autorités étatiques (Direction de la Santé de la mère et de l’enfant du ministère de la Santé et de l’Action sociale) : plus de 30 000 cas d’avortement par an (2020). Également, le nombre de femmes incarcérées pour ces deux faits ne représente que 18,51 % de la population féminine en milieu carcéral’’, lit-on dans la même source.
- Les IST, les grossesses et mariages précoces en chiffres
La santé durant l’adolescence a un impact à toutes les étapes de la vie. Le directeur général de santé de la mère et de l’enfant (DSME) a donné les statistiques qui tournent autour de la problématique de l’adolescent-jeune. En effet, les dernières enquêtes démographiques et de santé (2017 et 2019) révèlent que le taux de mariages d’enfants et d’adolescents est de 30.5%), le taux de grossesse précoce reste élevé et il estimé à 13, 8, la prévalence des infections sexuellement transmissibles est assez élevé avec 16, 5% chez les adolescents âgés entre 15-19ans et 29,3% chez les jeunes 20-24ans.
Sur le même sillage, le taux de Prévalence Contraceptive est de 7,6% chez les adolescentes de 15-19 ans mariées et de 12,8 % chez les 20-24 ans mariées, la prévalence des Violences domestiques ou sexuelles chez les filles de 15-24 ans est de 28%.
En effet, pour ce qui est des mères adolescentes âgées de 10 à 19 ans, elles font face à des risques plus élevés de complications que les jeunes femmes âgées de 20 à 24 ans.
Il faut noter que le risque de mortalité liée à la grossesse chez les adolescentes est environ de 30% plus élevé que celui des jeunes femmes âgées de 20-24 ans, la précocité de la fécondité chez les adolescentes (1,4 % des adolescents de 15 ans ; 17, 9% des adolescents de 18 ans et 32,8 % chez les adolescents de 19 ans).
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