Fondateur du journal « Le Quotidien » et proche du chef de l’État, Madiambal Diagne est l’un des éditorialistes les plus en vue du Sénégal, qui assume ses amitiés politiques tout en se défendant d’être un laudateur zélé. Portrait.
Peut-on être journaliste et l’ami d’un chef d’État ? À cette question, Madiambal Diagne répond sans ambages. « Franchement, tous les grands hommes d’État du monde ont toujours été liés à des journalistes, avec qui ils ont régulièrement échangé. Pour ma part, je suis libre de mes amitiés et de mes fréquentations. »
En cette fin de matinée du 15 novembre, Madiambal Diagne a la tête ailleurs.
Au Radisson Blu de Boulogne, où il a ses habitudes quand il est de passage à Paris, le patron de presse sénégalais nous explique s’inquiéter pour deux journalistes togolais, Loïc Lawson et Anani Sossou, mis en examen et écroués à la prison civile de Lomé après qu’un ministre a porté plainte pour diffamation. « C’est une agression contre la presse et la liberté d’expression », dénonce-t-il.
S’il est préoccupé par le sort réservé à ses confrères, c’est aussi parce que, depuis la fin de juillet, il dirige l’Union internationale de la presse francophone (UPF), comme il l’avait déjà fait entre 2014 et 2022. Loïc Lawson en préside, lui, la section togolaise.
Dans les coulisses du pouvoir
En ce mois de novembre, le fondateur du groupe de presse Avenir Communication est en France pour faire la promotion de son deuxième livre : Macky Sall, derrière le masque (éd. du Quotidien). Il y raconte la face cachée du président sénégalais et ses douze années au sommet de l’État côté coulisses. Un témoignage fondé sur sa connaissance personnelle du président, qui s’est engagé à quitter le pouvoir en avril 2024.
« Macky Sall a été présenté comme un persécuteur d’opposants ou comme une personne qui cherche à les emprisonner, affirme-t-il. Moi, j’ai plutôt vécu des situations dans lesquelles il a fait preuve d’indulgence et d’empathie. Y compris à l’endroit de son opposant le plus farouche, Ousmane Sonko. »
L’ouvrage – incontestablement hagiographique – regorge d’anecdotes et offre une étonnante plongée dans l’intimité du couple présidentiel, que Madiambal Diagne côtoie. Auprès de Macky Sall, auquel le lie une amitié, qu’il assume, le journaliste ne fait pas qu’observer les intrigues de palais.
Il conseille, donne son avis et joue parfois les entremetteurs. Comme cette fois où il tente de rabibocher Aminata Touré, alors Première ministre, et Marième Faye Sall. « Mimi », à l’époque, reproche à la première dame son omniprésence et, de fait, les deux femmes ne se font pas confiance.
Dîner avec Macky Sall
Cette proximité avec le palais, Madiambal Diagne l’assume aussi. Jusqu’à s’amuser, un soir de juillet 2014, lors d’un dîner avec Macky Sall, à éplucher les profils retenus par ce dernier pour le poste de Premier ministre : « Quand un chef d’État accepte de vous rencontrer, c’est aussi parce qu’il veut avoir votre opinion. C’est la vocation du journaliste d’être à la table [des puissants] pour pouvoir avoir la bonne information et, aussi, une bonne compréhension des situations ».
L’éditorialiste se défend de tout mélange des genres et de toute compromission. Mais, au Sénégal, ses chroniques, le plus souvent favorables à Macky Sall, lui ont valu d’être qualifié de « sniper » voire de « mercenaire » du régime. Une image à rebours de celle qu’il s’était forgée en fondant Le Quotidien, en 2003. Ce journal s’était à l’époque imposé comme un contre-pouvoir au président Abdoulaye Wade.
Bonne fortune
Né en novembre 1963, Madiambal Diagne a d’abord une première vie (greffier au sein de l’administration judiciaire), qu’il quitte à l’occasion d’un plan de départs volontaires. Nous sommes aux débuts des années 1990, les programmes d’ajustement structurel du FMI contraignent l’État sénégalais à faire des choix. En 1996, il travaille pour la branche sénégalaise de l’USAID, l’agence américaine de développement, et rebondit, deux ans plus tard, dans la presse. Le journal Wal Fadjri, auquel il a déjà envoyé des chroniques écrites sous pseudonyme, lui ouvre ses portes.
Il devient journaliste, tout en poursuivant son ancien employeur américain, qui a brutalement mis fin à son contrat.
Coup de chance ! Sa vie bascule, en 1999, quand l’administration américaine, reconnaissant une faute, lui propose un règlement à l’amiable. « Ils m’ont proposé une transaction, qui était à mon avantage, et je suis devenu subitement un homme riche. » Combien a-t-il touché ? Il ne le dit pas. Mais la somme est suffisamment coquette pour qu’il s’offre un immeuble à Dakar (il le louera), se fasse construire une maison et investisse dans la création de son propre journal.
Le Quotidien naît alors qu’Abdoulaye Wade est au pouvoir depuis déjà trois ans.
L’état de grâce est terminé, le journal se permet une ligne critique. « Nous sommes venus avec l’objectif de dire aux Sénégalais la vérité sur ce qu’il se passe dans leur pays et de n’avoir aucun tabou sur aucune question », affirme Mohamed Gueye. Directeur de publication de Quotidien, ce dernier fait partie des premiers journalistes que Madiambal Diagne a débauchés de Wal Fadjri. Le noyau dur.
Critiques récurrentes
Le Quotidien assied sa notoriété en multipliant les révélations. Sa liberté de ton est appréciée, les ventes grimpent. En l’espace de six mois, le journal parvient à équilibrer ses comptes. Plusieurs journalistes et militants de renom y feront leurs classes. Parmi eux, Ousmane Ndiaye, actuel rédacteur en chef Afrique de TV5Monde, ou encore Fadel Barro, fondateur du mouvement Y en a marre.
Le nouveau pouvoir s’agace des critiques récurrentes qui lui sont adressées.
En juillet 2004, Madiambal Diagne est arrêté après la publication de deux articles : l’un dénonce la promotion de « juges dociles », l’autre met en lumière une affaire de corruption à la Direction générale des douanes. Des manifestations de soutien éclatent dans la capitale. Il est relâché après dix-sept jours de détention.
L’épisode renforce l’image et la crédibilité de Quotidien et de son fondateur.
Surfant sur la relative prospérité de son entreprise, Diagne crée coup sur coup, à partir de 2007, un supplément hebdomadaire (Week-end Magazine), un journal satirique (Cocorico) et même une radio (Première FM). Ces initiatives font long feu, mais le titre phare du groupe continue à jouir d’une bonne réputation auprès de personnalités de l’opposition. Parmi elles, un certain Macky Sall, que Madiambal Diagne rencontre pour la première fois en octobre 2004 (les deux hommes ne se rapprocheront véritablement qu’à partir de 2008).
« Libre de dire ce que je pense »
Depuis 2013, le patron de presse s’est retiré de la gestion de Quotidien, et se défend d’être un laudateur zélé du président sénégalais. « Je suis un homme libre, qui écrit ce qu’il pense. Et pas une fois Macky Sall n’a cherché à influencer la ligne éditoriale de mon journal ou mes prises de position, qui peuvent parfois lui convenir, parfois le heurter ou le contrarier. J’ai toujours laissé aux journalistes leur liberté. Ma seule exigence, c’est qu’ils vérifient leurs informations. »
Les temps ont toutefois bien changé, au sein de cette rédaction emblématique.
« Sous la présidence de Wade, nous prenions plaisir à investiguer, à fouiller et à lever des lièvres pour titiller le gouvernement. Mais les choses n’ont plus été les mêmes à partir de 2015, après le licenciement d’un certain nombre de cadres qui avaient l’esprit critique », affirme un ancien journaliste sous le couvert de l’anonymat.
À l’époque, le groupe de presse connaît de sérieuses difficultés. « J’assume avoir sabré les plus gros salaires pour sauver l’entreprise, rétorque Madiambal Diagne. Je la portais à bout de bras, et, malgré cela, les principaux responsables du média, qui n’avaient jamais connu d’arriérés de salaires, sont venus avec des syndicats pour me houspiller. »
Sonko ? « Un danger ! »
A-t-il bénéficié de passe-droits ou de coups de pouce pour maintenir son journal à flot ? « Le Quotidien n’a pas plus de publicité qu’un autre média, au contraire. Notre ligne éditoriale fait que beaucoup d’entreprises publiques ne nous portent pas dans leur cœur. »
Maintenant que Macky Sall a annoncé qu’il allait quitter le pouvoir, Madiambal Diagne verrait bien l’actuel Premier ministre, Amadou Ba, succéder au président en février 2024. Il vient d’ailleurs de lui consacrer un livre intitulé La dernière marche.
À l’en croire, lui aussi est l’un de ses amis. Et l’opposant Ousmane Sonko ? Fidèle à ses habitudes, le journaliste assume : « C’est un danger pour la démocratie et pour la République du Sénégal ».
Jeuneafrique