Une campagne de désinformation visant à décrédibiliser des acteurs politiques a manifestement cours au Sénégal depuis quelques mois. Neuf mois près l’affaire qui avait valu à l’ancien Premier ministre Haguibou Soumaré des heures de garde à vue au commissariat central de Dakar.
Il avait soutenu que le Président Macky Sall avait offert 12 millions d’euros à Marine Le Pen en marge d’un déplacement controversé de cette dernière dans notre pays en janvier 2023-, le scandale présumé d’une « autorisation d’explorer » d’une mine de diamants vers Bakel que le palais aurait accordé à l’industriel Jean-Claude Mimran, ce qui fait la Une des journaux ce lundi 11 décembre et anime les réseaux sociaux, apparaît de la même extraction, confirme une tendance et révèle que la campagne électorale pour l’élection présidentielle du 25 février 2024 a commencé avant l’heure.
Comme Haguibou Soumaré, Me Moussa Diop, avec l’assurance d’une équipe menant 9-0 à une minute de la fin du temps additionnel d’un match de foot, a brandi des documents qu’il a lus devant une forêt de micros.
Comme avec l’ancien Président de la Commission de l’Uemoa, il s’agit de » courriers confidentiels échangés entre le 1er décembre 2016 et le 8 février 2018 par Aly Ngouille Ndiaye (en tant que ministre des Mines et des Énergies), Jean Claude Mimran, homme d’affaires et Macky Sall, Président de la République ».
Pêle-mêle, il y a « une lettre d’invitation » que Macky Sall aurait envoyée à Diagna Ndiaye, l’homme d’affaires proche de Jean-Claude Mimran et administrateurs de plusieurs grandes entreprises, le 08 février 2018 ; une réunion extraordinaire pour « la définition des pourcentages sur l’exploitation minière dans la zone nord sous TF au nom de Mimran, une réunion à Paris, au prestigieux hôtel Georges V, une entreprise nommée Stornaway Diamond Corporation (une entreprise canadienne qui existe réellement mais qui n’a aucun actif en Afrique selon www.costmine.com , la référence en matière de listing des activités minières plébiscitée par les grands quotidiens économiques), en somme le scénario parfait d’une série Netflix, politique, secret, gros sous, diamants, luxe, tout pour faire le buzz et faire saliver.
« Je suis abasourdi », a réagi un proche conseiller de Macky Sall, en faisant remarquer que « s’il y ‘avait du diamant au Sénégal, ça se saurait ».
Depuis quelques temps, voulant exploiter en faveur de leurs clients la prééminence des réseaux sociaux qui rendent l’opinion publique à la fois friable et addict au « scandale quotidien », des spins doctors élaborent des stratégies qui permettent de tenir à la fois le public en haleine, de ternir la réputation d’adversaires en les décrédibilisant.
Comme au billard avec le coup de rappel, ces opérations permettent de toucher plusieurs boules à la fois. Ici, il y a l’accusateur, toujours un opposant, et une cible qui tous deux perdent à la fin. Le premier au mieux s’en sortira ridicule, au pire il se retrouve devant les tribunaux ; l’accusé, lui perdra beaucoup de temps à se justifier et usera ses ressources pour faire dissiper les nuages de suspicion au-dessus de sa tête.
La méthode est d’autant mieux élaborée qu’elle s’évertue à faire du vraisemblable son moteur, généralement, une déclaration ou une allusion déjà évoquée que ces nouveaux communicants mettent en lien avec l’actualité : l y a deux ans, Bougane Gueye Dany, candidat à la présidentielle pour le compte de dla coalition « Geum Sa Bopp », déclarait à Wassangara et Karakaena (dans le département de Saraya, région de Kédougou), ainsi qu’à Kenieba (commune de Medina Fulbé, région de Bakel), que ces zones recelaient du diamant Ce lundi, le quotidien « La Tribune » dont il est le propriétaire pouvait bien titrer « Bougane avait raison »….
Péril sur la démocratie
Le potentiel scandaleux de l’affaire a été proportionnel au flot de démentis qui l’a suivi. D’abord, l’ancien Ministre et candidat lui aussi à la présidentielle, Aly Ngouille Ndiaye a formellement démenti ces accusations.
Son directoire de campagne a indiqué que « c’est en septembre 2013 que Aly Ngouille Ndiaye a quitté ses fonctions de ministre de l’Energie et des Mines pour occuper le poste de ministre de l’industrie et des Mines. Par conséquent, il ne pourrait être l’auteur de cette prétendue lettre signée le 1er décembre 2016 ».
En outre, le poste de ministre de l’Energie et des Mines n’existait plus dans le gouvernement du Sénégal depuis 2013.
Par ailleurs, souligne l’équipe de l’ancien ministre, la terminologie « autorisation d’exploration » ne figure pas dans le Code minier du Sénégal de 2003 et de 2016 et es termes consacrés à ce sujet sont « Autorisation de prospection et de permis de recherche » ; enfin « les deux titres miniers de nature différente ne donnent pas droit à l’exploitation d’une quelconque substance minérale ».
Mais le sous-sol sénégalais récèle t-il du diamant ?
Selon l’ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives) un seul permis de recherche de diamant a été octroyé en 2016 : le « permis de recherche de Assangara à Kédougou (Code A 000577) d’une superficie de 614 km2 octroyé à la société 2SH Saly Sofware et Hardware le 19/01/2016 pour une durée de trois (3) ans ».
Ce lundi 11 décembre, un responsable du ministère des Mines et de la Géologie a indiqué à « Enquêtplus » que « seules deux sociétés minières détenaient des permis de recherche de Diamant.
Il s’agit de 2SH à Wassangara (2016) et de ICT à Ylimalo (2018) à Kédougou.
L’ancien Directeur des mines (2011-2019), le Dr Ousmane Cissé, actuel DG de Somisen S.A Directeur des Mines et de la Géologie est lui aussi venu donner de l’épaisseur aux démentis qui se succèdent alors que plus les heures passent, plus Me Moussa Diop est pris à partie sur les réseaux sociaux certains dénonçant « une légèreté » de sa part, d’autres poussant Aly Ngouille Ndiaye à porter plainte.
« Le Diamant n’est pas exploité au Sénégal, particulièrement dans la zone Nord où malheureusement il n’y a pas de roches diamantifères », a ainsi révélé hier le Dr Ousmane Cissé. A ce jour, il n’est nullement fait état de résultats probants dans tous ces sites…
Alors, à qui profite « le crime » ?
Au-delà des mésaventures personnelles, ces campagnes mêlant désinformation et traquenards médiatiques touchent au-delà de leurs victimes.
Elles ont surtout le don de banaliser le discours politique, en le résumant en de soft faits-divers qui, si elles permettent de tenir en laisse les électeurs, comme Pavlov avec son chien (es réactions acquises par apprentissage et habitude deviennent des réflexes lorsque le cerveau fait les liens entre le signal sonore et l’action qui suit), n’en sont pas moins des indices du péril qui plane sur les démocraties : l’électeur lobotomisé…
Ass Birago DIAGNE
Manipulations, modes d’emploi…
Il existe plusieurs stratégies de manipulation des masses, et des sommités intellectuelles comme l’Américain Noam Chomsky en ont établi les contours. Ces stratégies sont utilisées pour influencer l’opinion publique et orienter les comportements selon les intérêts de ceux qui les mettent en œuvre. En voici quelques-unes :
La distraction : Il s’agit de détourner l’attention du public vers des sujets non pertinents ou banals.
Problème – Réaction – Solution : Cette stratégie consiste à présenter un problème, puis à proposer une solution souvent impopulaire.
La gradualité : Il s’agit d’introduire des mesures impopulaires progressivement, de manière à les rendre pratiquement imperceptibles.
Différer : Cette stratégie consiste à faire croire aux citoyens qu’une mesure est temporairement préjudiciable, mais qu’à l’avenir elle peut apporter de grands bénéfices.
Infantiliser le public : Dans les publicités et les discours politiques, les gens ont souvent tendance à parler aux auditeurs comme s’ils étaient des enfants.
Utiliser les émotions : Les messages qui tentent de manipuler la masse sont basés sur des émotions plutôt que sur la rationalité.
Maintenir le public dans l’ignorance : Un public ignorant est le meilleur allié de la manipulation de masse.
enquete