Un document destiné à repérer des germes de tension préélectorale tout en relevant les acquis en matière de paix sociale et de démocratie. Un diagnostic institutionnel et démocratique du pays (1/3)
En février 2024, le Sénégal organisera une élection pour choisir son cinquième président depuis l’indépendance acquise en 1960. Cet événement se prépare dans un contexte extrêmement chargé, en raison d’une pluralité d’hypothèques qui pèsent sur son bon déroulement.
Le présent rapport d’analyse a pour objet de présenter cette situation générale, et de formuler des recommandations en vue de prévenir les crises qui pourraient naître de la situation que le pays vit au moment où ces lignes sont écrites.
Mais il n’est pas seulement question de repérer des éléments de tension ou de conflit préélectoral ; l’analyse doit également faire état d’éléments positifs, d’acquis en termes de paix sociale et de démocratie puisqu’il s’agit de poser un diagnostic sur le système institutionnel, démocratique et électoral du pays.
Au terme de cet exercice composé d’une série de rapports d’analyse d’ici février 2024, des pistes de réflexion seront dégagées pour quelques transformations structurelles du système, l’objectif étant, en dernière analyse, de renforcer le système démocratique sénégalais.
Il s’agit en somme de traiter le relèvement des défis qui se posent au Sénégal aujourd’hui dans une double perspective : conjoncturelle – comment organiser une élection apaisée dans trois mois – et structurelle – sur quels points agir pour que le système démocratique et électoral du pays soit amélioré et ne soit plus soumis aux aléas et risques qu’il traverse actuellement.
Pour parvenir aux objectifs que voilà, l’approche méthodologique est la suivante :
Identifier les acquis, les questions résolues ou dépassées dans la perspective de l’élection de février 2024 :
_Recenser les points qui posent problème, c’est-à-dire les sujets de désaccords entre les parties prenantes à l’élection (compétiteurs électoraux, administration électorale, organes de régulation, instances juridictionnelles) ;
_Esquisser les scénarios possibles et proposer des solutions de sortie de crise.
– Les acquis : questions résolues à court terme –
L’élection de février 2023 est une élection capitale, pour la raison qu’il s’agit de choisir le président de la République, qui est l’organe constitutionnel le plus puissant dans le régime politique sénégalais.
Le système institutionnel est en effet marqué par son caractère clairement présidentialiste, le choix du chef de l’État est l’élection-mère, celle qui polarise les attentions et influe assez fortement sur les autres scrutins.
A cette donnée qui touche l’essence même du système politique, et qui est donc permanente, il faut ajouter une donnée conjoncturelle, aujourd’hui au Sénégal : c’est la possibilité qu’à la suite de l’élection présidentielle, soient organisées des élections législatives dont l’enjeu serait de clarifier le jeu politique et de donner à un président nouvellement élu une majorité nette et confortable.
L’organe législatif sénégalais – l’Assemblée nationale- est en effet caractérisée, aujourd’hui, par un équilibre presque parfait des forces, l’écart du nombre de sièges entre la majorité et l’opposition ne dépassant pas un ou deux.
Tout président élu dans un tel contexte, soucieux de mettre en œuvre son programme, aurait probablement à cœur de solliciter du peuple une majorité moins aléatoire.
S’agissant de l’actuelle opposition, une clarification par de nouvelles élections serait également nécessaire puisqu’elle a, depuis, perdu son unité. Cela signifie que dans tous les cas de figure, une dissolution de l’Assemblée pourrait avoir lieu.
Pour ces deux séries de raison, le prochain scrutin a très tôt suscité des débats.
Un premier point de débat a été la possibilité pour le président sortant de se représenter. C’est donc la fameuse question du « troisième mandat » qui s’est de nouveau posée. On rappelle qu’elle s’était déjà posée en 2011-2012 au Sénégal, sous la présidence d’Abdoulaye Wade.
Ce débat a passablement dégradé l’atmosphère politique, jusqu’au 3 juillet 2023, date à laquelle le président Macky Sall a exclu de prétendre à un troisième mandat. Dans l’immédiat, la question est donc réglée, et il s’agit, à court terme, d’un acquis. Il ne faut cependant pas considérer que le débat autour de cette question est définitivement clos, le président sortant ayant lui-même déclaré qu’il a bien « le droit » de briguer un troisième mandat, et que sa renonciation ne tient absolument pas à une impossibilité juridique.
Cela signifie que la controverse existe à l’état endémique et qu’il faut, dans la perspective de réformes ou d’ajustements ultérieurs, traiter cette question pour éviter qu’elle soit à nouveau source de problèmes ou de tensions.
Un consensus au moins provisoire semble également acquis relativement au parrainage.
Il convient de rappeler qu’immédiatement après son instauration par la loi constitutionnelle du 11 mai 2018, cette règle a pu être perçue, par certaines formations d’opposition, comme entravant délibérément la liberté de candidature, et son abrogation a été en conséquence suggérée. Aujourd’hui, et cinq ans après son instauration, il semble que plus personne n’en conteste le principe même.
Tous les prétendants à l’élection sont, au moment où ces lignes sont écrites, en campagne de moisson de « parrainages » dans le pays.
On rappelle qu’il s’agit là d’une condition de recevabilité des candidatures à l’élection : obtenir le « parrainage », c’est-à-dire la signature d’électeurs représentant au minimum 0,8% et au maximum 1% du nombre des personnes inscrites sur le fichier électoral et répartis dans au moins sept régions à raison de deux mille au moins par région (art 29 de la constitution).
Au cours de la seconde phase (juin 2023) du dialogue politique national initié depuis 2019 par les autorités, et qui a vu la participation de diverses formations politiques (à l’exception notable de certains partis d’opposition, s’agissant de cette seconde phase), le parrainage a effectivement fait l’objet d’un large consensus puisque le rapport final mentionne au moins quatre (4) points d’accord sur le « parrainage citoyen » et deux (2) pour le « parrainage des élus »[1].
En tout état de cause, comme on l’a mentionné plus haut, le principe même de cette modalité d’écrémage des candidatures ne semble plus remis en question aujourd’hui.
Sur ces deux points qui ont cristallisé des tensions ou controverses, il convient donc de considérer que le débat est clos, au moins dans l’immédiat. Deux hypothèques qui étaient susceptibles de grever l’élection présidentielle sont donc écartées.
En dehors de ces points d’accord, il existe des points de désaccord. A l’heure actuelle, trois (3) gros points de désaccord obèrent le climat préélectoral au Sénégal.
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