Le débat sur la nationalité exclusive d’un candidat à la présidence de la République a mis fin aux ambitions de deux candidats à la course à la magistrature suprême : Karim Wade et Rose Wardini. Cette exigence de la Constitution doit être préservée dans l’intérêt supérieur de la Nation, estiment des juristes et analystes politiques qui expliquent son bien-fondé.
Le débat sur la binationalité de certains candidats à l’élection présidentielle a pollué le processus électoral avec la décision prise, le 19 février dernier, par la candidate Rose Wardini de se retirer de la compétition électorale.
Alors que la Constitution exige des candidats une nationalité exclusivement sénégalaise, il a été découvert qu’elle était Sénégalo-Française.
Elle avait été même arrêtée pour divers délits, dont « inscription tendant à dissimuler une incapacité, souscription à une déclaration inexistante sur son inégalité et sur sa présence sur une liste », avant de bénéficier d’une liberté provisoire le 6 février.
Elle a pris l’option de se retirer de la course à la présidence pour se conformer aux règles du jeu.
Rose Wardini qui avait épousé un ressortissant français est affectée du même syndrome que Karim Wade dont la candidature a été déclarée irrecevable par le Conseil constitutionnel. De père sénégalais et de mère française, sa renonciation à la nationalité française n’avait été officialisée que le 17 janvier dernier, donc bien avant le dépôt de son dossier de candidature le 23 décembre 2023.
Sécuriser la fonction de Président
Selon les juristes et analystes politiques, l’article 28 de la Constitution ne cible pas une personne, mais une seule fonction : celle du Président de la République. Tous les systèmes démocratiques ont mis des verrous pour sécuriser la fonction de Chef d’État, mais aussi l’octroi de la nationalité, précise l’expert en droit parlementaire Alioune Souaré.
« On ne doit pas désacraliser la fonction de Président de la République et laisser n’importe qui occuper cette fonction qui est sacrée. C’est une charge lourde qui doit être sécurisée. Dans toutes les démocraties, un système de filtre est mis en place pour cette haute institution », renseigne M. Souaré.
La preuve en est que « les binationaux, qui sont des footballeurs, Ministres ou artistes, devront se conformer à cette décision constitutionnelle s’ils aspirent à diriger ce pays ».
La nationalité exclusivement sénégalaise « prouve que vous êtes fortement lié à votre Nation et que vous ne défendez que les intérêts de votre Nation », estime l’analyste politique Mamarame Seck, Enseignant-chercheur à l’institut fondamental d’Afrique noire (Ifan).
La fonction de Président de la République procure des avantages que les autres n’ont pas. D’où la nécessité de renforcer le processus de vérification de la nationalité et « sanctionner ceux qui parjurent », pense M. Seck.
Plurinationalité et patriotisme
Il est tout aussi important de mettre en avant la question de la recevabilité en cas de problèmes judiciaires. « Quand un binational est poursuivi au Sénégal, il peut se réfugier tranquillement dans son autre pays », prévient M. Seck.
Le Pérou a été confronté à une situation similaire lorsque son Président d’alors, Alberto Fujimori, destitué par le Parlement pour corruption, avait fui, en 2000, au Japon, sa seconde patrie, qui n’extrade pas ses citoyens.
C’est seulement lors de son déplacement au Chili, en 2005, qu’il a été extradé par les autorités de Pérou.
« La binationalité remet en cause la notion de patriotisme et risque de créer une vulnérabilité de nos institutions », juge l’analyste Mamadou Albert Sy. Il considère qu’il n’y a aucun avantage à élire un binational ou un plurinational, bien au contraire.
« Une fonction unique confiée à une seule personne »
Dans une contribution en date de 2016, le Ministre Serigne Mbaye Thiam, qui avait siégé au sein de la Commission technique chargée de la revue du Code électoral, a tenté de lever des équivoques. Selon lui, cette disposition n’avait aucune visée politique.
Elle n’était pas de circonstance et n’avait pas pour finalité d’éliminer des citoyens du jeu électoral, ajoutait-il.
Mais, M. Thiam note, dans son texte, que « l’importance de l’institution présidentielle dans notre système politique et la sensibilité de la question de la nationalité, au regard de ses incidences sur la vie politique et sur la cohésion nationale, imposent deux défis à prendre en compte dans le traitement de cette problématique ».
Il exhorte, comme d’autres, à ne pas s’engouffrer dans cette brèche pour faire l’apologie de la « ‘’sénégalité’’ ».
À son avis, « ce n’est pas la « plurinationalité » du citoyen lambda qui est en cause –bien que cette « plurinationalité » ne soit pas légalement possible sauf pour la personne ayant deux nationalités d’origine- mais il s’agit bien de celle du Président de la République », « une fonction unique que le peuple souverain confie à une seule personne par le suffrage universel ».
Ni ostracisme ni xénophobie
Exclure les détenteurs d’une ou de plusieurs nationalités que sénégalaise ne peut être vu que comme un rejet, un ostracisme à l’encontre de certains citoyens. Il ne s’agit ni d’une « sénégalité » en référence au concept d’ « ivoirité », qui avait empoisonné la vie politique de la Côte d’Ivoire, encore moins de xénophobie, estiment des analystes politiques.
Mamarame Seck trouve exagéré d’avancer la thèse de l’ostracisme dans la mesure où tout le monde ne peut pas postuler à cette fonction suprême très spécifique.
« On ne peut pas parler de xénophobie dans notre pays parce qu’il n’existe pas, chez nous, une guerre contre la nationalité », rappelle Mamadou Sy Albert. Cependant, il appelle vivement à éviter toute politisation du sujet.
« Les pays dits de grande démocratie ont des dispositions similaires dans leurs Constitutions.
« Aux États-Unis, on ne peut pas prétendre à l’exercice de la fonction de Président ou de Vice-président sans être citoyen de naissance et y avoir résidé pendant 14 ans », précise l’expert en droit parlementaire Alioune Souaré.
De son côté, l’analyste politique Mamadou Albert Sy propose qu’au lieu d’exiger la nationalité exclusivement sénégalaise à l’étape de la candidature, « c’est plus intelligent d’attendre que la personne soit élue pour la lui imposer ».
Cette exigence doit être appliquée au lendemain de la présidentielle, « car des candidats qui renoncent à leur nationalité étrangère peuvent subir un préjudice après une défaite lors des joutes électorales », ajoute-t-il.
Une obligation qui remonte à 1997
Le débat sur la plurinationalité n’est pas nouveau dans notre pays. C’est en 1997, trois ans avant la présidentielle de 2000, que l’exigence de la nationalité exclusivement sénégalaise a été proposée, rappelle l’expert en droit parlementaire Alioune Souaré.
La Constitution du 7 mars 1963 se limitait à exiger que « tout candidat à la présidence de la République doit être de nationalité sénégalaise ».
La loi, promulguée sous le n° 97-16 du 08 septembre 1997, modifie le Code électoral en introduisant, pour la première fois dans le corpus juridico-électoral, le terme « exclusivement ».
L’article LO 88 prévoyait « une déclaration sur l’honneur par laquelle le candidat atteste que sa candidature est conforme à l’article 3 de la Constitution, qu’il a exclusivement la nationalité sénégalaise », explique M. Souaré.
Cette nouvelle donne, estime-t-il, avait des relents politiciens.
« On avait fermé les yeux et maintenu les choses en leur état pour pouvoir mettre les bâtons dans les roues des opposants dont certains avaient des épouses étrangères, comme Abdoulaye Wade, feu Amath Aansokho… », déplore Alioune Souaré.
Mais, une nouvelle Constitution est adoptée à la survenue de la première alternance. « Les dispositions de l’article 23 de la Constitution du 7 mars 1963 et l’expression « exclusivement de nationalité sénégalaise », issue de la loi électorale 97-16 du 08 sept 1997, ont été mises en cohérence dans cette nouvelle Constitution de 2001, notamment en son article 28 ».
Le texte fondamental, adopté en 2000, avec la survenue de la première alternance, reprend la notion de nationalité exclusive, selon le spécialiste du droit parlementaire.
En 2011, lors d’une séance plénière du 9 décembre 2011, le projet de loi 23/2011 abrogeant et remplaçant la loi 92-16 du 7 février 1992 portant Code électoral est adopté. Elle était marquée par l’adoption de l’amendement proposé par le député Alioune Souaré.
Il était question de réécrire, d’ajuster et de renforcer le dispositif du point 6 de l’article LO116 (ex-LO 88 dans le Code de 1997) concernant le dépôt des pièces pour la candidature à l’élection présidentielle, explique M. Souaré.
II exigeait une nationalité exclusivement sénégalaise…
C’est cette version qui reste d’actualité sous l’article L121 de la loi n° 2021-35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral, explique-t-il. La pertinence de garder ce verrou est plus que nécessaire au regard des charges spécifiques qui incombent au Président de la République, croit M. Souaré.
lesoleil
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