Il est nécessaire de témoigner, hic et nunc, sur comment la culture administrative et la tradition gouvernementale en matière de planification économique au Sénégal, a donné naissance au PSE (Plan Sénégal Emergent) qui est le parachèvement du Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DRSP, 1 et 2) et la fusion et le croisement fertile des documents de Stratégie Nationale de Développement Économique et Social (SNDES), de la Stratégie de Croissance Accélérée (SCA), du Rapport ‘’Vision Prospective Sénégal 2035’’ et des différents programmes économiques et sociaux des différents partis de la coalition Benno Bokk Yaakaar en 2012.
En matière de conception, d’élaboration, de mise en œuvre et de suivi dans le cadre d’une formulation d’une politique publique, entre la Planification économique et l’Etat du Sénégal, c’est une longue histoire qui date de 1960 jusqu’à aujourd’hui, avec différentes séquences dans son évolution.
La première séquence se situe de 1961 jusqu’en 1978. Déjà en 1961, sous la houlette Mamadou Dia alors président du Conseil.
Le Sénégal allait adopter son premier instrument de planification économique, le Plan quadriennal 1961-1965, qui a vu Mamadou Dia et son gouvernement, mettre en place les structures d’animation et d’encadrement au monde rural (ENEA ‘’Ecole nationale d’économie appliquée’’, les C.E.R.P ‘’Centres d’expansion rurale polyvalente’, OCA ‘’Office de commercialisation agricole’’, CRAD ‘’Centre régional d’appui au développement’’, BSD ‘’Banque sénégalaise de développement’’, etc..).
L’objectif du président Mamadou Dia et de son gouvernement d’alors, étaient de libérer et d’affranchir le monde rural et la paysannerie, de l’exploitation par trois types de bourgeoisie – la bourgeoisie politico-maraboutique, la bourgeoisie compradore et la bourgeoisie politico-bureaucratique d’une part et d’autre part, de corriger le fait que notre économie est organisée vers la capitale Dakar qui elle-même est tournée vers l’extérieur.
En encadrant la paysannerie et en cassant la chaîne d’intermédiaires des bourgeoisies locales, pour un développement auto-centré.
Résultat des courses, en une année, le président Mamadou Dia et son gouvernement, réussirent une prouesse inimaginable : faire passer la production arachidière (représentant à l’époque 85% de nos exportations et 20% de la production intérieure brute commercialisée), de 800.000 tonnes à 1 million 200 mille de tonnes en un an (1962) et les coopératives qui ne collectaient que quelque 15% de la production avant 1960 en ont collecté 70% en 1962.
D’ailleurs, c’est cet exploit et la perspective qu’il dégageait que les lobbys de la bourgeoisie locale, vont se lever pour défendre leurs intérêts, en parvenant à mettre en mal Senghor et Mamadou Dia. Jusqu’à ce qui en suit, en suit.
D’ailleurs, Mansour Bouna Ndiaye, dans ses mémoires (Panorama politique du Sénégal ou les Mémoires d’un enfant du siècle), révéla qu’un million de francs CFA (de l’époque) avait été remis à tout député acceptant de voter la motion de censure contre Mamadou Dia, au domicile de feu Lamine Gueye, alors président de l’Assemblée nationale.
C’est ainsi que se ferme la première séquence de notre histoire et de notre pratique politico-administrative en matière de planification stratégique, comme formulation des politiques publiques.
1962-1978 : de la planification auto-gestionnaire à la planification capitalistique
A partir de 1962, sous le régime ‘’présidentialiste’’ du président Léopold Sédar Senghor, le Sénégal va continuer dans la planification économique mais en changeant complètement de cap et de direction.
Si Mamadou Dia avait voulu bâtir l’économie sénégalaise à partir du secteur primaire qui devait porter les déterminants de notre croissance économique et notre développement social, structuré autour des capitaux nationaux, le président Senghor va changer d’orientation en inscrivant le Sénégal dans l’option d’une économie industrialisée (industrialisation de son économie), portée et ceinturée par les capitaux étrangers.
Ainsi, Senghor emprunta beaucoup d’argent auprès des bailleurs de fonds et autres institutions financières, pour lancer les bases de l’économie industrialisée du Sénégal.
Mais malheureusement, va survenir la fameuse sécheresse des années 70 (de 1973 jusqu’en 1975) qui allait fausser, perturber, dégrader et compromettre sa planification budgétaire et financière.
De sorte qu’en 1978, devant la gravité de la situation socio-économique et sous la pression de la Banque mondiale et du FMI, le Sénégal allait mettre en parenthèse la planification stratégique comme instrument de politique publique, pour entrer de plain-pied dans la phase dite des Politiques d’Ajustement Structurels (PAS).
1978-1994 : la longue parenthèse des Politiques d’ajustement structurels
Comme de 1973 jusqu’en 1979, le double déficit intérieur et extérieur (déficit budgétaire ‘’baisse des recettes et augmentation des dépenses’’ et déficit commercial ‘’hausse des importations et baisse des exportations), s’accumulait année après année, le FMI et la Banque mondiale vont décider que l’Etat du Sénégal va sortir du non marchand, c’est-à-dire que l’Etat du Sénégal ne va plus dépenser un kopeck dans les fondamentaux de base, dans les infrastructures socio-économiques de base.
C’est ainsi que de 1980 jusqu’en 1990, soit 10 ans, l’Etat du Sénégal n’a construit ni maternité, ni dispensaire, ni hôpital ; n’a construit ni route ni piste de production ; n’a construit ni école, ni collège ni lycée ; n’a creusé ni forage ni puit d’eau ; n’a électrifié ni ville ni campagne.
Et mieux, en plus de ne plus rien construire ni rien investir, l’Etat du Sénégal va arrêter les recrutements dans la fonction publique et va lancer le Plan Sakho-Loum entre 1990 et 1993 qui était le plan des départs volontaires (départ à la retraite).
Et ceux qui ne voulurent pas partir à la retraite anticipée, allaient subir une ponction d’office de 15% de leur salaire.
C’est seulement à ce moment-là-mais à quel prix- que le budget du Sénégal va connaître un équilibre après vingt et un (21) exercices budgétaires successifs déficitaires.
Mais pour autant, le problème demeurait toujours parce que la croissance économique du PIB était toujours négative quoique l’Etat ait pu atteindre l’équilibre budgétaire.
C’est dans cette situation que la France va décider, la solution radicale pour tout remettre en ordre et à l’endroit, en procédant à la dévaluation du francs CFA de 50% annoncé mais en réalité ce fut une dévaluation de 100%.
C’est ce qui fait qu’entre 1995 et 2000, le cadre macro-économique était enfin assaini et les agrégats macro-économiques sont revenus au vert.
De telle sorte qu’entre 1995 jusqu’en 2000, le Sénégal a connu une croissance économique du PIB de plus de 5% sur cinq années consécutives. Et c’est là, le point de départ de notre ‘’émergence’’.
Au point que le président Abdoulaye Wade, arrivé au pouvoir en 2000, a trouvé tellement d’argent dans les caisses de l’Etat qu’il ne savait plus quoi en faire….
Surtout qu’en 1997, l’Etat avait privatisé toutes ses entreprises (Sonatel, Sonees, Seras, Sidec, Sicap, SSPT, Sonepi, Sonadis, Hamo) et encaissé énormément d’argent dans ses caisses.
Autre enseignement majeur, de 1960 jusqu’en 1993, notre croissance démographique (en moyenne 2,5%) a été toujours supérieure à notre croissance économique (très erratique sur la période et pauvre en création d’emplois) au point qu’en 2000, c’est cette jeunesse désœuvrée qui allait emporter le président Abdou Diouf et le régime socialiste en 2000, avec pourtant un bilan élogieux dans le domaine purement macro-économique et désastreux sur le plan social et sanitaire.
C’est à partir de 1995 et ceci jusqu’en 2001, que la tendance va s’inverser, en ce sens que notre croissance économique du PIB a été toujours supérieure à notre croissance démographique, sur cette même période.
Il y a eu la parenthèse 2001 et 2002 et depuis 2003 jusqu’en 2019, notre croissance économique a toujours été supérieure à notre croissance démographique (en moyenne 2,5 à 3%). Ce qui signifie en planification économique, une marge de couverture. Et la Covid-19 puis la guerre en Ukraine, sont venues tout perturber.
2003-2010 : l’ère des DSRP
Avec l’avènement du nouveau millénaire (An 2000), les pays du G8 (les huit économies les plus développées au monde) vont lancer l’initiative dite PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) dont l’objectif était pour les pays du G8, de renoncer au paiement de leurs dettes publiques par les pays qui seront éligibles à cette initiative PPTE.
Laquelle dette et ses montants, seront quand même ‘’payés’’ et déposés dans un compte auprès de la Banque centrale et qui serviront à financer des projets et programmes dûment identifiés et planifiés dans un Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP).
C’est ainsi que dès 1999, le Sénégal va entamer, à travers les cadres, les hauts cadres de la fonction publique sénégalaise et de ses élites administratives, un travail colossal et ardu de diagnostic, d’inventaire, d’affinement, de meilleure compréhension et manifestation du concept polysémique qu’est la Pauvreté, et partant, des possibles solutions pour la réduire.
Ce fut une enquête menée à travers le Sénégal, enrichissante et instructive, qui sera à la base et la base de la rédaction du premier DSRP pour la période 2003-2005 et que dès 2004, le Sénégal, à travers un excellent DSRP validé aux assemblées de la Banque mondiale et du FMI de 2014, va bénéficier de l’achèvement de sa dette extérieure publique bilatérale et multilatérale.
Ce qui lui donna son ticket d’entrée comme pays bénéficiaire de l’initiative des PPTE. C’est aussi cette année 2004 qu’aura lieu la toute première RAC (Revue annuelle conjointe).
Ce sont donc les DSRP (1 et 2) qui ont été la matrice de nos politiques publiques sur la période 2003 jusqu’en 2010. C’est d’abord le DSRP 1 (2003-2006) que le Sénégal allait mettre en œuvre.
C’est grâce à ce DSRP que le Sénégal va renouer avec la construction des infrastructures socio-économique de base (les écoles, les collèges, les lycées, les dispensaires, les hôpitaux, les routes, les forages, etc…).
Ce fut l’ère des Grands Chantiers et des Grands travaux du président Abdoulaye Wade.
C’est durant cette période que grâce à la conversion de sa dette extérieure publique en financement publique, le montant des investissements sur ressources propres du Sénégal, vont passer par exemple de 20 milliards FCFA en 1992 à 400 milliards CFA en 2004, en volume financier, mais, avec une efficacité de la dépense publique quasi-nulle, car le taux d’accès à l’eau est passé sur la même période, de 55% en 1992 à 64% en 2004, par exemple.
C’est donc dire…
La politique des Grands travaux du président Wade avait été tellement appétissante et enivrante que le Sénégal allait lancer le DSRP 2 (2006-2010) pour parachever ses investissements dans les services sociaux de base (secteur non marchand), quand la Stratégie de Croissance Accélérée (SCA) se devait elle, de porter la croissance économique du PIB (Agriculture, Industrie, PME, Tourisme) pour générer de la création de richesse et résorber le chômage.
Ce fut un échec patent, cette deuxième phase du DSRP couplé à la SCA, à deux niveaux : d’abord, la SCA n’aura jamais décollé, restée en l’état de jolis slides du Secrétariat général de la SCA. Ensuite, le président Wade aura opté pour des choix fort discutable à l’époque, en mettant énormément d’argent dans la réalisation de ses sept merveilles (Grand Théâtre national, l’Ecole des Arts, l’Ecole d’Architecture, les Archives nationales, la Maison de la Musique, la Bibliothèque nationale et le Musée des Civilisations noires) dont seule une verra le jour (Grand Théâtre) avant que la construction du Monument de la Renaissance Africaine, l’organisation du Fesman et la construction de la Place du Souvenir, n’épuisent tous ses crédits et toutes ses réserves financières, engrangées à la faveur de l’Initiative PPTE.
2012-2035 : Le Plan Sénégal Emergent, le passage de la planification sectorielle vers la planification globale
Dans l’intervalle, en 2010, arrive la fin du DSRP 2 (2006-2010). Devant l’échec cuisant du DSRP 2, le Sénégal va abandonner la logique des DSRP pour se tourner vers une autre approche dans la formulation des politiques publiques.
Ainsi les cadres, les hauts cadres de l’administration publique sénégalaise et les élites administratives, vont élaborer notre première Stratégie Nationale de Développement Économique et Social (SNDES) en 2011, stratégie annexée d’un Rapport ‘’Prospective Sénégal 2035’’.
En 2012, arrive un fait nouveau et majeur, avec l’élection à la magistrature suprême de Macky Sall comme nouveau président de la République du Sénégal.
A partir de ce moment, le tout nouveau président, Macky Sall, appelle les cadres, les hauts cadres de l’administration sénégalaise ainsi que ses élites administratives, pour leur annoncer qu’il reconnaît lui-même toute la pertinence de la SNDES, avant de leur demander de voir comment ses engagements politiques à caractère économiques; pris devant le peuple sénégalais durant sa campagne électorale de 2012, pouvaient être pris en compte dans le document de SNDES qui fut la matrice des politiques publiques.
Et comme le président Macky Sall était arrivé au pouvoir à la faveur d’une large coalition dans laquelle chaque partie prenante avait élaboré son propre programme dans le domaine économique et social, les fonctionnaires, cadres et hauts cadres de l’administration et les élites administratives, vont lancer de larges concertations citoyennes, pour réactualiser la SNDES, à l’aune des documents suivants: le Programme économique et social de Yonnu Yokkuté (Macky Sall), le programme économique et social du parti Rewmi (Idrissa Seck), le programme économique et social de Benno Siggil Sénégal (Moustapha Niass), le programme économique et social de Benno ak Tanor (Ousmane Tanor Dieng), la déclaration de politique générale du premier ministre d’alors Abdoul Mbaye et le document de la Charte des Assises nationales.
C’est donc à l’issue de ses larges travaux de concertation citoyennes que les cadres, hauts cadres de l’administration ainsi que les élites administratives, font fusionner et faire des croisements fertiles, dans une perspective dynamique et stratégique, la SNDES, le Rapport ‘’Prospective Sénégal 2035’’, la SCA (Stratégie de Croissance Accélérée) et les différents programmes économiques et sociaux des différents partis de la coalition gagnante, pour donner naissance à un tout nouveau document: le Document de Politique Économique et Social (DPES) en début 2012.
Et c’est ce DPES de 2012 qui va évoluer pour changer de nom et s’appeler désormais le Plan Sénégal Emergent à fin 2012. Maintenant, fini la SNDES, fini la DPES, fini la SCA et place au PSE qui devient du coup, la matrice et le référentiel des politiques publiques au Sénégal à l’horizon 2035.
C’est en cela que le PSE est le produit des entrailles des sénégalais.e.s.
Le PSE est un document sénégalo-centré et une politique nationale qui s’est voulue trans-partisane, trans-électorale et trans-générationnelle. Et à ce titre, le PSE est (et doit devenir) notre vision nationale partagée, portée, assumée et revendiquée. Pour l’intérêt exclusif du Sénégal.
Monsieur le Premier Ministre Ousmane Sonko, comme toute vision a l’épreuve du Temps qui s’inscrit dans le temps et qui appartient à un passé irrémédiablement dépassé (le monde et le Sénégal de 2012 est très diffèrent du monde et du Sénégal en 2024), nous pensons que le PSE pourrait être une bonne base de travail, qu’il faut juste réarticuler, réajuster, rectifier et relifter dans la perspective d’une Planification auto-gestionnaire, au moins pour le premier mandat (2024-2029).
Nous sommes dans une urgence et quand c’est urgent, c’est déjà trop tard…
En attendant, dans le même cadre et sous le même rapport, que nous passions de la Planification stratégique à la Prospective stratégique, de 2029 à 2059.
Siré SY
Président du Parti politique Goorgoorlu YI
Economiste-Planificateur, Option : Finances et Gestion publiques
MBA en Finance & Administration des Affaires
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