A l’occasion de la Journée Mondiale de la Population célébrée ce jeudi 11 juillet 2024, le Dr Cheikh M. Faye, Directeur Régional du Bureau de l’Afrique de l’Ouest de l’African Population and Health Research Center (APHRC) et parallèlement Directeur de CountDown 2030, a accordé une interview exclusive à AllAfrica.
Au cours de cet entretien, M. Faye s’est exprimé sur la croissance démographique au Sénégal, mais surtout en Afrique, car c’est un phénomène complexe à cause multiple que le continent subit actuellement.
A l’issu du dernier recensement de 2023, la population résidente totale du Sénégal est estimée à 18 126 390 personnes. Quels sont les enjeux et les impacts de ce nouveau chiffre sur le développement démographique du pays ?
Le recensement de 2023, qui estime la population résidente totale du Sénégal à 18 126 390 personnes, présente plusieurs enjeux et impacts significatifs sur le développement démographique du pays. A titre d’exemples :
Il y a d’abord une plus grande pression sur les infrastructures et les services publics, particulièrement une demande croissante de logements, d’écoles, de structures de santé et de routes. La capacité du Gouvernement à répondre à ces besoins sera cruciale pour garantir un développement harmonieux.
Ensuite, il faut considérer les problématiques de Santé : Assurer la couverture maladie universelle va devenir de plus en plus une tâche ardue.
Il sera nécessaire de renforcer les infrastructures de santé et de garantir l’accès aux soins pour tous, y compris les soins maternels et infantiles, la planification familiale et la lutte contre les maladies infectieuses.
Enfin, il faut intégrer l’éducation et l’emploi : Nous faisons face à une population très jeune, 75% en dessous de 35 ans, il est donc impératif de renforcer les systèmes éducatifs et de créer des opportunités d’emploi pour atténuer le chômage et réduire l’exclusion sociale. Les investissements dans l’éducation et la formation professionnelle restent essentiels pour préparer les jeunes au marché du travail.
S’agissant des impacts, nous pouvons évoquer les défis environnementaux, et l’urbanisation rapide (d’ailleurs, il est projeté que près de 65% de la population sénégalaise vivra dans les villes d’ici 2050, actuellement on est autour de 45%).
Nos ressources naturelles sont davantage pressées, notamment l’accès à l’eau, à l’énergie et aux terres arables. Il est essentiel de promouvoir des pratiques durables pour protéger l’environnement et garantir la résilience climatique.
Donc, les résultats du recensement de 2023 offrent une opportunité de réévaluer et de renforcer les politiques de développement démographique du Sénégal. Ils appellent à des actions concertées et à des investissements stratégiques pour transformer ces défis en opportunités de développement durable.
Quel est l’urgence démographique à laquelle le Sénégal est confronté, particulièrement à Dakar, Thiès et Diourbel où près de la moitié de la population y est concentrée mais aussi dans la zone rurale qui fait face à un problème aigu de l’exode ?
Le Sénégal est confronté à plusieurs urgences démographiques, notamment dans les régions de Dakar, Thiès et Diourbel, où près de la moitié de la population est concentrée, ainsi que dans les zones rurales, qui font face à un exode massif. Ces urgences peuvent être abordées sous plusieurs angles :
L’urgence de gérer cette urbanisation rapide et la surpopulation urbaine. Les services publics tels que l’eau, l’électricité, le logement, la santé et l’éducation sont souvent insuffisants pour répondre à la demande croissante.
L’expansion des bidonvilles et des habitations précaires dans ces régions a déjà augmenté les risques sanitaires et la vulnérabilité sociale. Donc, il est urgent de repenser la planification urbaine et le développement d’infrastructures adéquates pour améliorer les conditions de vie.
Notre système de santé doit s’adapter pour mieux répondre à ces besoins. Le défi ici consiste à s’assurer que les populations vulnérables vivant dans ces bidonvilles et zones péri-urbaines, aient accès aux soins de santé de base et ne soient pas exposées aux maladies liées à l’insalubrité, la promiscuité, etc…
La question du transport et de la mobilité urbaine afin de réduire le temps passé dans les embouteillages. Si le BRT et le TER semblent jouer un rôle positif dans ce sens, ces services sont limités à Dakar et des efforts énormes restent à faire.
La pollution de l’air et de l’eau ainsi que la gestion inadéquate des déchets. Il est crucial de mettre en place des politiques de développement durable pour protéger l’environnement.
Le Sénégal gagnerait à adopter une approche intégrée de gestion de ces urgences, particulièrement dans les régions de Dakar, Thiès et Diourbel. Cela inclut la planification urbaine durable, le renforcement des infrastructures et des services publics, la revitalisation des zones rurales, et la mise en œuvre de politiques environnementales solides. Une collaboration entre le gouvernement, les communautés locales et les partenaires internationaux est essentielle pour relever ces défis et assurer un développement équilibré et durable du pays.
En tant que Directeur de l’Initiative Countdown to 2030, est ce que vous avez des actions à proposer au nouveau gouvernement sénégalais pour la couverture universelle de la santé des femmes et des enfants ?
L’Initiative CountDown to 2030 dont je suis le Directeur, est un partenariat mondial entre universitaires, agences des Nations Unies, institutions régionales et nationales et de la société civile visant à accélérer les progrès vers la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) liés à la santé, en particulier ceux liés à la santé maternelle, néonatale et infantile (SMNI). Il s’appuie sur une initiative précédente CountDown to 2015, qui s’était concentrée sur le suivi et le plaidoyer en faveur des progrès vers les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).
Nous travaillons à maximiser les évidences et à renforcer les capacités des pays à analyser, interpréter et utiliser des données empiriques, allant des enquêtes aux données des établissements et systèmes de santé, pour suivre les niveaux de couverture, les tendances et les inégalités.
CountDown 2030 s’appuie sur des équipes de collaboration nationales composées d’un établissement de santé publique ou universitaire du pays et d’analystes de la SRMNEA-N du ministère de la Santé, travaillant en collaboration avec le GFF et d’autres parties prenantes au niveau mondial.
Nos recherches ont permis de proposer plusieurs actions clés que nous pensons utiles pour aider les gouvernements, y compris celui du Sénégal, à atteindre la couverture universelle de la santé des femmes et des enfants. De manière spécifique, nous proposons :
Le renforcement des systèmes de santé : Il est crucial d’améliorer les infrastructures existantes et de construire de nouvelles installations de santé, surtout dans les zones rurales. Cela inclut les centres de santé, les hôpitaux et les cliniques spécialisées pour les soins maternels et infantiles.
La formation et le recrutement du personnel de santé : Augmenter le nombre de professionnels de la santé qualifiés, y compris les sages-femmes, les infirmières et les médecins. Des initiatives pour retenir le personnel de santé dans les zones rurales sont également essentielles.
Élargir les programmes d’assurance santé pour couvrir toutes les femmes et les enfants, afin de réduire les barrières financières à l’accès aux soins de santé.
Mettre en place des programmes pour offrir des soins de santé gratuits ou à coût réduit pour les femmes et les enfants, en particulier pour les groupes vulnérables. Cela inclut les services de santé maternelle, néonatale et infantile, ainsi que la planification familiale.
Renforcer les programmes de vaccination pour s’assurer que tous les enfants reçoivent les vaccins essentiels. Cela contribue à réduire la mortalité infantile et à prévenir les maladies évitables.
Mettre en œuvre des programmes de nutrition pour les femmes enceintes et les jeunes enfants, afin de lutter contre la malnutrition et d’assurer un développement sain. Cela inclut la promotion de l’allaitement maternel exclusif pendant les six premiers mois.
Lancer des campagnes de sensibilisation sur l’importance des soins de santé pour les femmes et les enfants. Utiliser les médias traditionnels et les réseaux sociaux pour atteindre un large public et promouvoir des comportements sains.
Intégrer l’éducation à la santé dans les programmes scolaires pour enseigner aux jeunes l’importance de la santé reproductive et infantile, ainsi que les pratiques de prévention des maladies.
Et,
Encourager la collaboration entre le Gouvernement, le secteur privé, les ONG et les partenaires internationaux pour mobiliser des ressources et partager des expertises. Les partenariats peuvent aider à étendre la portée des initiatives de santé et à améliorer leur efficacité.
La Journée internationale de la population sera célébrée ce 11 juillet. Selon vous, quelles sont les causes et les conséquences de la croissance démographique que l’Afrique est en train de subir et quels sont les impacts socio-économiques liés à cela ?
La croissance démographique rapide en Afrique est un phénomène complexe avec des causes multiples et des conséquences profondes.
Parmi les causes, il est à noter :
Le taux de natalité élevé : L’Afrique a l’un des taux de natalité les plus élevés au monde. Les familles nombreuses sont courantes, souvent en raison de facteurs culturels et sociaux qui valorisent les grandes familles dans certains pays.
La baisse de la mortalité infantile combine à une augmentation de l’espérance de vie : Les améliorations dans les soins de santé, la vaccination et la nutrition ont conduit à une diminution significative de la mortalité infantile, augmentant ainsi le nombre de survivants, ce qui est une bonne chose d’ailleurs. Aussi, les progrès dans les soins de santé ont également augmenté l’espérance de vie, contribuant à la croissance de la population.
L’accès limité à la planification familiale : Dans de nombreuses régions d’Afrique, l’accès aux services de planification familiale et aux contraceptifs est limité, ce qui contribue à des taux de natalité élevés.
S’agissant des conséquences de la croissance démographique, il convient de noter que la pression sur les ressources naturelles est réelle, y compris sur l’eau, la terre et les énergies.
La surexploitation de ces ressources peut entraîner une dégradation environnementale. Le chômage élevé et le sous-emploi peuvent entraîner une instabilité sociale et économique. Les systèmes de santé, d’éducation et de logement sont souvent surchargés, incapables de répondre à la demande croissante. Enfin, la migration des zones rurales vers les zones urbaines augmente, entraînant une urbanisation rapide et la formation de bidonvilles avec des conditions de vie précaires.
En ce qui concerne les impacts, le marché du travail devient plus complexe, particulièrement pour les jeunes pas suffisamment formés, posant ainsi la problématique de l’employabilité des jeunes. Garantir aux enfants et aux jeunes l’acquisition des compétences nécessaires pour participer à l’économie, devient de moins en moins chose aisée.
En somme, la croissance démographique en Afrique présente à la fois des défis et des opportunités. Il est crucial que les gouvernements et les partenaires au développement mettent en place des stratégies intégrées pour gérer cette croissance de manière durable, en investissant dans l’éducation, la santé, les infrastructures, et en promouvant une croissance économique inclusive.
En ce qui concerne la santé publique, avez-vous des programmes pour une bonne prise en charge des questions qui touchent les populations africaines ?
L’African Population and Health Research Center [APHRC] est une institution de recherche et de politique de premier plan, générant des données probantes, renforçant la recherche et les capacités connexes dans l’écosystème africain de Recherche & Développement et engageant les politiques pour éclairer l’action en matière de santé et de développement.
En tant que Centre de recherche mondial dirigé par des Africains et investi dans la création d’un impact durable, notre travail se concentre sur trois domaines programmatiques :
La Recherche : nos équipes orientent leurs programmes de recherche sur les priorités de développement mondiales et continentales. Nous apportons des preuves indépendantes en amont des décisions afin de soutenir l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et de programmes en Afrique.
L’Engagement avec les décideurs : Le Centre établit des relations avec des instances de décision et des personnes clés aux niveaux local, national, régional et mondial afin de s’assurer que les données fournies sont opportunes et pertinentes pour des interventions et des politiques publiques adaptées aux besoins des pays et des populations.
Le renforcement des capacités de Recherche : Grâce à des partenariats stratégiques, le Centre s’efforce de développer un leadership africain en faveur de la recherche en renforçant les capacités institutionnelles et individuelles et en constituant une masse critique de chercheurs capables de s’engager de manière significative avec les acteurs politiques dans l’élaboration, l’examen et la mise en œuvre de politiques et de programmes pertinents pour le développement du continent.
A titre d’exemple, il y a notre programme de bourse doctorale CARTA https://cartafrica.org/ et une multitude de cours de courte durée que nous offrons aux jeunes chercheurs et étudiants africains sur des thématiques telles que :
_Méthodologie de recherche et analyse de données ;
_Ecriture scientifique et la levée de fonds ;
_Systèmes d’information géographique (SIG) et analyse spatiale ;
_Plaidoyer politique et communication ;
_Recherche sur les systèmes de santé, entre autres.
allafrica
3 commentaires
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