Le Sénégal est à la croisée des chemins. Le pays a traversé des périodes sombres de 2021 à 2024, avec les mouvements insurrectionnels menés par le parti Pastef. Notre démocratie a été balafrée, comme jamais auparavant.
L’histoire de la construction de la Nation sénégalaise et de l’Etat de Droit a vu notre pays traverser des moments qui pouvaient le mener à chaque fois dans le précipice, avec des conséquences désastreuses et incalculables.
Cependant, le Peuple sénégalais a toujours su raison garder, pour ne pas franchir la ligne rouge, c’est-à-dire pour ne pas saborder les acquis de la construction nationale et de la démocratie.
Nous avons connu d’illustres hommes politiques tels que Lamine Guèye, Léopold Sédar Senghor, Mamadou Dia, Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Ly, sans oublier les générations qui les ont suivis. Ces illustres personnalités politiques se sont opposées souvent sans concession, sans pour autant remettre en cause les fondements de l’Etat de Droit et de la cohésion nationale.
Un Etat en désintégration
Nous assistons, avec l’avènement du nouveau régime incarné par le parti Pastef, à la nomination à des postes stratégiques de militants porteurs du fameux «Projet», et tous sans exception sont des partisans de «l’Anti-système». Pour autant, ils sont pour la plupart d’entre eux des produits du système qu’ils prétendent combattre.
Alors, c’est dans cette logique, et consciemment, qu’ils sont en train de remettre en cause les institutions, socles de l’Etat de Droit.
L’on peut dire que s’il y a continuité de l’Etat aujourd’hui, c’est uniquement du contenant dont il s’agit, mais non du contenu. Ils ont extirpé toutes les substances constitutionnelles de nos institutions.
Nous assistons à des nominations fantaisistes, qui ne respectent pas les normes établies, le Premier ministre refuse de faire sa Déclaration de politique générale (Dpg), conformément à l’article 55 de la Constitution (il avait même menacé de faire sa Dpg devant un jury populaire), sans oublier la proposition d’édification d’une mosquée dans l’enceinte de la présidence de la République. Des magistrats sont affectés sans motifs valables, tout au moins c’est cette perception qui se dégage dans l’opinion publique.
Pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, un parti au pouvoir prend sur lui de ne nommer que ses militants et partisans dans l’Administration et ses démembrements.
Nous constatons une dyarchie ou un bicéphalisme qui ne dit pas son nom au sommet de l’Etat. Nous ne savons pas exactement qui incarne la première institution aujourd’hui au Sénégal. C’est la désacralisation de l’Etat, incarné par ses institutions.
D’ailleurs, c’est dans la logique de leur combat depuis qu’ils étaient dans l’opposition, particulièrement durant la période allant de 2021 à 2023.
Ils se sont évertués à désacraliser toutes les institutions, à commencer par le président de la République, sans oublier les institutions militaire et judiciaire.
C’est le lieu de rappeler aussi que c’est durant la 14ème législature que nous avons assisté à des sessions parlementaires avec des députés sans aucune posture républicaine. Ils veulent déconstruire l’Etat, pour le remplacer par l’Etat du «Projet». Mais, ont-ils compris ce que c’est un Etat ? On ne peut pas réinventer la roue.
Une Nation en dislocation
La Nation se caractérise par la conscience de son unité et la volonté de vivre ensemble. C’est une communauté politique établie sur un territoire défini et personnifiée par une autorité souveraine.
En Afrique en général, la Nation s’est consolidée après les indépendances.
C’est le cas du Sénégal où le Président Léopold Sédar Senghor en avait fait son cheval de bataille. Nous avons dans notre pays le cousinage à plaisanterie, qui permet justement le raffermissement des rapports fraternels entre les différentes ethnies.
Le wolof s’impose comme langue nationale, librement accepté et usité par la quasi-totalité de la population sénégalaise, toutes ethnies confondues.
Cela a contribué indubitablement à l’unification de la Nation. Le dialogue inter-religieux, notamment le dialogue islamo-chrétien, est un label bien sénégalais.
Cette tradition du dialogue est saluée au-delà de nos frontières.
Les Sénégalais ont toujours dialogué entre eux, pour trouver des accords consensuels dans tous les secteurs. C’est cela la chance du Sénégal, parce que dans d’autres pays, les contradictions se règlent par les armes.
Malheureusement, la Nation est en dislocation aujourd’hui.
Les confréries religieuses sont attaquées sans raison, dans le but de couper les relations plus qu’anciennes entre elles et leurs disciples. Il faut dire que c’est prévu dans le «Projet» de Pastef de faire disparaitre les confréries. C’est un des points essentiels du « Projet», et ils ne s’en cachent pas.
Récemment, le Premier ministre s’en est pris à l’école catholique, par rapport à l’interdiction du port du voile.
Au demeurant, il est bon de rappeler que ce problème a été posé en 2019, et avait trouvé une solution consensuelle. C’est avec l’avènement du parti Pastef que nous assistons à des divisions aussi bien au niveau de la cellule familiale qu’entre amis, entre collègues, pour dire simplement dans toutes les sphères de la société sénégalaise.
Toutes ces actions sont faites consciemment, c’est prévu dans le fameux «Projet» d’abattre le système. Nous l’avons toujours dit, le parti Pastef est porteur d’un projet salafiste.
Une Patrie en fissuration
Le patriotisme n’est pas l’apanage d’une partie de la classe politique au détriment des autres. Faut-il rappeler qu’à travers le monde, il existe des partis politiques d’Extrême-droite qui se réclament patriotes.
Ici au Sénégal, nous avons connu beaucoup de générations de patriotes tels que Léopold Sédar Senghor, Lamine Guèye, Mamadou Dia, Abdoulaye Ly, Cheikh Anta Diop, Majmouth Diop, Seydou Sissokho, Abdoulaye Wade, Abdou Diouf, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Landing Savané, Macky Sall, etc. La liste est loin d’être exhaustive.
Les derniers à venir sur la scène politique ont l’outrecuidance de se réclamer patriotes exclusivement, et se permettent de vouer aux gémonies toute voix (ou voie) discordante.
Comme nous l’avons dit (voir supra), le parti Pastef ne nomme à des postes importants que des militants porteurs du fameux «Projet». Et pourtant, ils avaient promis de faire des appels à candidatures, pour identifier les compétences pouvant avec efficience contribuer au développement du pays. En fin de compte, ils se sont reniés, comme c’est souvent le cas.
Tous les Sénégalais avec des compétences avérées sont exclus, s’ils ne sont pas porteurs du fameux «Projet».
Nous avons aujourd’hui deux Sénégal, d’une part celui des «patriotes» porteurs du fameux «Projet» (qu’on tarde d’ailleurs à implémenter), et d’autre part tous ceux qui ne sont pas porteurs du fameux «Projet». La Patrie est fissurée.
Nous pouvons être en désaccord sur beaucoup de sujets, sauf en ce qui concerne la Patrie. Elle représente le ciment qui unit tous les citoyens.
L’on oppose souvent la notion de Patrie, par rapport à ce qui vient de l’extérieur. La fibre patriotique est le sentiment qui pousse chaque citoyen à vouloir défendre la République et ses institutions, la Nation et le pays tout entier contre toute menace d’où qu’elle vienne.
Quand bien même nous avons des contradictions en notre sein, nous ne devons pas nous exclure mutuellement de la Patrie, pour enlever le patriotisme à un citoyen. Si cela doit se faire, il y a des voies et moyens d’y arriver légalement. L’on ne peut pas, et l’on ne doit pas s’autoproclamer censeur, pour désigner qui est patriote et qui ne l’est pas.
En conclusion, il faut rappeler que l’humilité est une des vertus que doivent avoir l’intellectuel, l’homme politique, et toute personne qui a un pouvoir de décision sur l’avenir de sa communauté.
Lorsqu’on est non sachant sur un certain nombre de sujets, il faut s’armer de courage pour reconnaitre ses insuffisances, et passer par l’étape de l’apprentissage. Un chef, un décideur ne doit pas gouverner avec le bâton, il doit avoir le sens de l’écoute, il doit savoir rassembler, il doit faire prévaloir l’inclusion.
Un homme politique notamment ne doit pas être prolixe dans le discours, il doit parler quand c’est nécessaire, sinon il se tait. In fine, le Sénégal n’est pas en ruine, c’est sa société qui est en délitement.
Professeur Serigne Ousmane BEYE beyeouse@live.fr
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