Le Sénégal, longtemps marqué par une classe politique ancrée dans ses habitudes, a vu émerger un nouveau paysage, après l’élection présidentielle de février 2024 et les Législatives anticipées du 17 novembre dernier. Ce double examen, déterminant pour l’avenir du pays, a marqué une transition générationnelle inédite, confirmant la montée en puissance de nouvelles figures politiques et le déclin de barons historiques.
Le paysage politique sénégalais a subi une transformation majeure, après ces deux examens. Cette recomposition ne s’est pas limitée à un simple changement d’élites, mais a marqué la fin de l’hégémonie de figures emblématiques et la montée en puissance d’une nouvelle génération.
La chute des vétérans : une fin annoncée
Idrissa Seck, ancien maire de Thiès et candidat malheureux en 2007, 2012 et 2019, a essuyé un échec cuisant à la Présidentielle de mars 2024, avec seulement 0,90 % des suffrages. Cette contre-performance a brutalement mis un terme à une carrière jadis prometteuse.
À 70 ans en 2029, ses chances de revenir sur le devant de la scène s’amenuisent.
Khalifa Ababacar Sall, autre poids lourd de la politique sénégalaise, a également vu ses ambitions freinées. Après avoir été empêché de se présenter en 2019 en raison de démêlés judiciaires controversés, sa candidature en 2024 a été éclipsée par une dynamique de changement portée par un électorat jeune.
À 72 ans en 2029, l’ancien maire de Dakar pourrait ne jamais connaître l’apogée espérée de sa carrière politique.
D’autres vétérans tels qu’Abdoulaye Wade, Moustapha Niasse ou Aminata Mbengue Ndiaye, voient leur retrait progressif illustrer la recomposition en cours. Leurs partis respectifs, jadis puissants, peinent à s’adapter à un électorat de plus en plus exigeant et numérique.
Pour des personnalités comme Abdoul Mbaye, Thierno Alassane Sall et Karim Wade, la tâche s’annonce encore plus ardue.
Bien que présents sur la scène politique, ces dirigeants peinent à s’imposer face à une dynamique profondément modifiée par l’émergence de Pastef et ses dirigeants.
Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre et candidat aux multiples examens, reste une figure intellectuelle respectée, mais son image élitiste et son manque de proximité avec les jeunes générations limitent sa portée politique dans un contexte où l’électorat demande plus d’engagement populaire.
Thierno Alassane Sall, malgré sa réputation d’homme intégré et sa lutte contre la corruption, n’a pas su capitaliser sur ses combats pour séduire un grand électorat. Ses discours, souvent techniques, manquent de l’attrait émotionnel qui mobilise la jeunesse.
Quant à Karim Wade, dont la figure est marquée par l’héritage paternel et les affaires judiciaires, il reste en exil. Bien qu’il conserve une base fidèle au Parti démocratique sénégalais (PDS), la faiblesse de cette formation et son éloignement géographique diminue sa capacité à peser dans la recomposition actuelle.
Parti Démocratique Sénégal : la mauvaise spirale
Le Parti Démocratique Sénégalais (PDS), autrefois pilier du paysage politique sénégalais, semble s’enfoncer dans une spirale descendante, marquée par une perte constante de son électorat. Les résultats des élections législatives récentes confirment cette tendance, révélant un recul significatif du parti de Karim Wade et de ses alliés.
Lors des dernières législatives, la coalition Takku Wallu Sénégal, à laquelle appartient le PDS, a obtenu 531 466 voix, représentant 14,67 % des suffrages.
Pourtant, une analyse des dynamiques internes montre que la majorité de ces voix proviennent des bastions traditionnels de Macky Sall dans le nord du Sénégal, un phénomène qui souligne la perte d’influence du PDS dans ses propres fiefs.
En comparaison en voix 2022, lors des législatives, le PDS, allié à Yewwi Askan Wi, avait capitalisé 471 517, mais pour certains observateurs, cette performance était masquée par l’intercoalition.
Alors qu’en 2019, 7 ans après la perte du pouvoir, il avait choisi de boycotter la présidentielle, laissant Macky Sall en position de force. Ce choix stratégique, interprété par certains comme le fruit d’un « protocole de Conakry », a contribué à éloigner une partie de sa base militante.
Par ailleurs, en 2017, lors des législatives sous la bannière de la Coalition Gagnante/Wattu Sénégal, le parti avait obtenu 552 095 voix.
Ce recul électoral est d’autant plus frappant qu’il intervient dans un contexte où le PDS, autrefois hégémonique, s’efface face à la montée de nouvelles forces politiques comme Pastef.
L’érosion de ce parti traditionnel s’explique également par des facteurs internes : une base militante vieillissante. Le parti peine à renouveler ses cadres et à séduire une jeunesse désormais tournée vers des formations comme Pastef.
Par ailleurs, il fait face aussi à une absence de vision claire, les dirigeants semblent naviguer sans cap précis, alternant entre boycott, alliances stratégiques et participation limitée aux examens.
La montée en puissance d’un électorat jeune
La montée fulgurante de Pastef, sous l’impulsion d’Ousmane Sonko et de figures comme Bassirou Diomaye Faye, a bouleversé l’ordre établi. Les jeunes Sénégalais, qui représentent plus de 72 % de la population, sont devenus le moteur de ce renouvellement.
Élevés dans un environnement numérique, ils privilégient les réseaux sociaux pour s’informer et interagir politiquement. Ils ne se légitiment plus dans les discours des élites politiques classiques perçues comme déconnectées de leurs réalités et préoccupations.
Cette nouvelle génération d’électeurs a été un acteur clé de la victoire de Bassirou Diomaye Faye en mars 2024. Âgé de seulement 44 ans, Faye est devenu le plus jeune président de la République du Sénégal. Sa campagne, axée sur des problématiques contemporaines telles que l’emploi des jeunes, la transformation numérique et la lutte contre la corruption, a résonné fortement auprès de cette frange majoritaire de la population.
Le parti Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) dirigé par Ousmane Sonko, a été le principal artisan de ce bouleversement. En injectant une nouvelle dynamique dans la politique sénégalaise, le parti a non seulement conquis la présidence, mais également renforcé sa présence au sein des institutions.
Lors des Législatives anticipées du 17 novembre dernier, le Pastef a confirmé sa domination en investissant de jeunes candidats qui ont profondément renouvelé l’Assemblée nationale. Avec une moyenne d’âge inédit, cette 15e législature est l’une des plus jeunes de l’histoire du Sénégal.
À 41 ans, Malick Ndiaye, élu président de l’Assemblée, est devenu le plus jeune à occuper cette fonction. Son élection symbolise une nouvelle ère où jeunesse et compétence remplacent expérience et longévité.
Un paysage politique en recomposition
Le basculement observé lors des examens de 2024 a entraîné une recomposition des forces politiques. La coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY), qui dominait encore l’Assemblée nationale avec une majorité relative avant les élections, a été balayée par une dynamique de changement irréversible.
Les alliances traditionnelles, comme celle entre le PDS et BBY, ont perdu leur influence face à une opposition rajeunie et mieux organisée.
Ce renouvellement ne se limite pas à un simple changement de visage. Il traduit une mutation profonde des pratiques politiques, portée par une volonté populaire de rupture avec les systèmes établis.
Babacar Ndiaye, directeur de recherche au think tank Wathi, résume : »Nous entrons dans une période de changement systémique avec l’émergence de nouveaux leaders. L’effacement des barons traditionnels ouvre la voie à une politique plus en phase avec les réalités du XXIe siècle. »
L’avènement de figures comme Bassirou Diomaye Faye ou Malick Ndiaye ne se limite pas à un changement générationnel.
Ces nouveaux dirigeants incarnent une approche politique différente, centrée sur l’inclusivité et l’efficacité. La réforme annoncée de la carte nationale d’identité pour en faire également une carte d’électeur est une illustration de cette volonté de moderniser les institutions et d’encourager une participation citoyenne accrue.
De plus, la limitation des mandats présidentiels à deux termes consécutifs, désormais inscrits dans la Constitution, garantit une alternance régulière, mettant fin aux ambitions de pérennité au pouvoir qui ont marqué les régimes précédents, consolidant ainsi une démocratie plus mature et résiliente.
Si l’alternance générationnelle marque une rupture saluée par de nombreux observateurs, elle s’accompagne d’attentes élevées. Les nouveaux dirigeants, conscients des défis économiques, sociaux et environnementaux, répondront aux aspirations légitimes de justice sociale, de transparence et de développement durable.
Pour plusieurs militants, cette mue doit dépasser le cadre d’un simple changement de visage.
Elle incarne une demande profonde pour un renouvellement systémique. L’électorat jeune, moteur de cette transition, attend des réponses concrètes à ses préoccupations : emploi, éducation, justice sociale et environnement.
Cette mutation offre une opportunité unique aux acteurs politiques désireux de bousculer la hiérarchie établie.
Mais pour cela, il faudra plus que des discours : un projet clair, une proximité authentique avec les citoyens et une capacité à proposer une alternative crédible au système Pastef.
L’enjeu pour cette nouvelle génération sera de prouver qu’elle est à la hauteur de ces espoirs. Avec un électorat jeune et connecté, les marges d’erreur sont minces. La politique sénégalaise entre dans une phase où le renouvellement des idées et des pratiques sera tout aussi cruciale que celui des hommes et des femmes.
L’année 2024 restera gravée dans l’histoire politique du Sénégal comme celle d’un tournant générationnel.
La montée en puissance des jeunes leaders, couplée au déclin des figures traditionnelles, ouvre un chapitre inédit dans l’évolution démocratique du pays. Si cette transition est porteuse de promesses, elle impose également des responsabilités accumulées aux nouveaux dirigeants.
Le Sénégal, par cette alternance générationnelle, se donne les moyens d’écrire une nouvelle page de son histoire politique, où innovation et jeunesse seront au cœur des préoccupations.
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