Le premier rassemblement pro-palestinien à Dakar, depuis l’escalade entre Israël et le Hamas, qui devait se tenir samedi a été interdit par le préfet de Dakar “pour non respect des délais” pour déclarer une manifestation.
Une décision qui alimente les critiques d’une partie de l’opinion, qui juge la position de Dakar “trop molle” depuis le 7 octobre alors que le pays est un défenseur historique de la cause palestinienne.
Maillot du mythique club du Deportivo Palestino arboré, keffieh avec l’inscription “victory of Palestine” : Mansour Ndiaye tient à envoyer un message de soutien aux habitants de la bande de Gaza, qui subissent depuis trois semaines des bombardements massifs de l’armée israélienne suite à l’attaque inédite et meurtrière du Hamas le 7 octobre.
Ce militant pro-palestinien, que nous retrouvons devant la Grande Mosquée de Dakar, est dans l’incompréhension suite à l’interdiction du rassemblement pacifique que projetait d’organiser l’Alliance nationale pour la cause Palestinienne du Sénégal. Cette association, créée en 2012 et dont il est membre, prévoyait de manifester un soutien inconditionnel à la Palestine sur l’esplanade de l’Institut islamique de Dakar.
“On avait pris toutes les dispositions nécessaires pour informer les autorités. On a même adressé une lettre d’invitation au ministre de l’Intérieur.
Mercredi, les autorités nous ont appelés pour nous demander de nous rapprocher de la préfecture de Dakar. On a déposé la lettre le jour même en respectant toutes leurs orientations. Vendredi, ils nous ont surpris en décidant d’interdire la manifestation”, se désole Mansour Ndiaye.
“Nous sommes des légalistes”, poursuit-il. Selon le préfet, tout rassemblement doit être déclaré trois jours avant l’événement. “On ne va pas braver l’interdiction, mais dès lundi, on ira déposer une autre demande de manifestation pour le samedi 4 novembre. On attendait une marée humaine ce samedi, mais il y aura encore plus de monde samedi prochain, c’est un recul pour mieux sauter”, se console t-il.
Diplomatie modérée
Mansour Ndiaye fait partie des Sénégalais qui estiment la diplomatie sénégalaise très modérée depuis le 7 octobre. Sur les réseaux sociaux, les critiques se sont multipliées depuis l’interdiction du rassemblement mais aussi depuis la publication du communiqué du ministère des Affaires étrangères sur le sujet le lendemain.
“Le gouvernement de la République du Sénégal condamne les attaques à l’origine de cette nouvelle spirale de la violence et appelle les parties à la retenue”, pouvait-on lire.
En rappelant sa qualité de président du Comité des Nations unies pour l’Exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, le Sénégal avait également appelé à la reprise des négociations pour aboutir à une solution à deux États.
“Ces dernières années, nous constatons que la position officielle du Sénégal est de plus en plus mitigée. Il veut adopter une position neutre. Cette neutralité ne reflète pas l’opinion populaire au Sénégal.
La position du Sénégal doit être du côté des Palestiniens. Il se doit surtout de condamner l’agression israélienne dans la bande de Gaza”, argumente Mansour Ndiaye.
“On parle à Israël, on parle à la Palestine”
Ces critiques sont injustifiées selon Yoro Dia, ministre chargé de la Communication de la présidence de la République. Selon lui, la position du Sénégal sur la crise palestinienne n’a jamais varié.
“Le Sénégal défend à l’ONU les droits inaliénables du peuple palestinien depuis 40 ans. Le Sénégal fait partie des premiers pays à avoir reconnu la Palestine. Abassy, un ancien ambassadeur de la Palestine au Sénégal, est enterré à Dakar sur demande, à l’époque, de Yasser Arafat.
Et ce dernier avait un passeport diplomatique sénégalais”, énumère Yoro Dia, qui tient à préciser que cette posture historique du Sénégal est toujours d’actualité.
“Depuis le président Léopold Sédar Senghor (président du Sénégal de 1960 à 1980) le Sénégal a toujours adopté une position de bon sens dans tous les conflits du monde. C’est le cas, par exemple, de la guerre en Ukraine. On parle à tout le monde.
Au Proche-Orient, on parle à Israël et on parle à la Palestine”, poursuit Dia, en assurant que “le Sénégal n’a de leçon à recevoir d’aucun pays du monde sur son soutien à la cause palestinienne”.
Un avis partagé par Bakary Sambe, spécialiste des relations arabo-africaines et directeur régional du think tank Timbuktu Institute. Il estime qu’il faudrait analyser le langage diplomatique du Sénégal sans le confondre avec le tempérament de la population, qui elle est foncièrement pro-palestinienne.
“Le Sénégal a une position classique. Il est l’un des rares pays du monde musulman à pouvoir parler à tous les autres. Sa voix est tellement précieuse qu’il est à la tête du comité en charge du droit des Palestiniens à l’ONU depuis 1975”, explique-t-il.
Composé de 95 % de musulmans, le Sénégal préside le Comité permanent de l’organisation de la conférence islamique pour l’information et les affaires culturelles (Comiac). Selon le chercheur, le pays a suivi les variations diplomatiques dans le monde arabe sur Israël.
L’État hébreu s’est rapproché ces dernières années de plusieurs pays arabes comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Maroc ou encore le Qatar.
« Ces évolutions dans le monde arabe ont fait que la position du Sénégal est devenue mesurée en s’agrippant à des principes qui n’ont pas changé. S’il y a une variation dans le langage, c’est lié à la variation des positions dans le monde arabe, notamment dans des pays comme l’Arabie saoudite, le Maroc et l’Égypte, des alliés du Sénégal dans la région » analyse Bakary Sambe.
Alors que l’armée israélienne poursuit son opération militaire meurtrière dans la bande de Gaza, les appels à la désescalade se multiplient dans le monde. Dakar de son côté reste discret.
france24