Si l’année 2024 était une pièce de théâtre, le Sénégal aurait été sa scène principale, avec des acteurs politiques rivalisant d’ingéniosité pour voler la vedette. Entre les rebondissements électoraux, les discours enflammés et les coups de théâtre, cette année aura réussi à faire rire, pleurer, se révolter ou grincer des dents les spectateurs que sont les citoyens.
Acte I : Le suspense du troisième mandat
L’année a commencé comme un bon feuilleton, avec une intrigue qui a tenu le pays en haleine : Macky Sall allait-il ou non briguer un troisième mandat ? Pendant des mois, les rumeurs ont fait rage. On aurait dit un match de lutte sénégalaise, avec des analystes politiques jouant les arbitres dans une arène médiatique surchauffée.
Finalement, en février, coup de scène ! Initialement prévue pour le 25 février, l’élection présidentielle a connu un report décidé par le président sortant Macky Sall, invoquant des contraintes liées à des enquêtes parlementaires en cours. Macky Sall annonce que « des forces extérieures menacent le pays », donc, il lui faut encore huit mois pour passer la main. Certains ont applaudi, d’autres ont crié au « coup d’Etat constitutionnel ». Cette annonce a suscité un tollé général, avec des critiques virulentes de l’opposition et des mobilisations populaires dénonçant une tentative de manipulation du processus électoral.
Le Conseil Constitutionnel saisi par des figures de l’opposition, a annulé ce report, arguant que cette décision portait atteinte aux fondements constitutionnels.
Sous la pression de la rue et des instances judiciaires, une nouvelle date a été fixée au 24 mars. C’est ainsi qu’il a ramené Macky Sall à la raison, qui était obligé d’accepter à « l’insu de son plein gré » de faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Il doit quitter la scène le 2 avril au soir. On ne peut qu’imaginer le soulagement des rédacteurs de mémoires politiques qui n’ont pas eu à réviser leurs manuscrits, pour inclure une nouvelle polémique.
Acte II : La campagne des égos surdimensionnés
Avec Macky Sall hors course, la scène a été envahie par une vingtaine de personnages passés au tamis du parrainage et puis devant le Grand jury des 7 Sages du Conseil Constitutionnel. Parmi eux, un candidat en prison, qui fera parler de lui dans un tout autre environnement.
La campagne électorale a été un véritable festival.
Comme d’habitude, les promesses, les vérités et les contre-vérités, ont rempli les journées des citoyens pendant 10 jours, pour cause de durée de campagne écourtée de moitié. Si d’aucuns se sont étranglés de rage parce qu’ils perdaient des marchés, les campagnes électorales étant leurs périodes de « traite », de nouveaux types de partisans faisaient leur apparition, dont le signe distinctif était les insultes et les insanités.
Quand quelques-uns se sont essayés à des débats, ils ont ému certains futurs électeurs aux larmes …de rire jaune.
Un sujet a été commun à tous les candidats : le pétrole et le gaz. Le rêve d’un boom économique grâce aux ressources gazières et pétrolières s’est transformé en une comédie de cafouillages. Entre les promesses de création d’emplois et les accusations de mauvaise gestion, les débats sur la transparence ont pris une allure de « Je t’aime, moi non plus ».
Acte III : L’élection à rebondissements
Le 24 mars, jour de scrutin, le pays et la diaspora sénégalaise ont vécu une ambiance digne d’une finale de la CAN. Les files d’attente devant les bureaux de vote ressemblaient à des stands de restauration populaire, avec des discussions enflammées sur qui serait le prochain président. Quand les résultats sont tombés, un scrutin sous haute tension, Bassirou Diomaye Faye, candidat du parti PASTEF, a triomphé dès le premier tour avec une majorité absolue.
Une performance qui reflète à la fois l’épuisement des électeurs face au régime précédent et l’aspiration à un changement radical.
Sa victoire a mis fin à une décennie de gouvernance de Macky Sall, marquée par des controverses sur des questions de gouvernance et de libertés publiques. Le candidat de la coalition qui jusque-là était au pouvoir, arrivé 2ème a attendu le lendemain pour être sûr de connaître la « vérité des urnes », afin de féliciter le nouveau chef de l’Etat.
Acte IV : Un gouvernement comme un orchestre désaccordé
Avec Bassirou Diomaye à la barre, le nouveau gouvernement ressemble à un orchestre où chaque ministre joue la mélodie primatoriale. La première surprise à la publication de la liste des membres du premier gouvernement dirigé par Ousmane Sonko, a été le nombre de femmes devant y siéger : aussi rares que les machines à café, désormais interdites dans les ministères, par circulaire primatoriale.
C’est ainsi que nous avons eu, sur la photo officielle du premier gouvernement, une image du nouveau « viril » nouveau pouvoir.
Et Si le Sénégal avait un Oscar à décerner pour la meilleure performance politique, le Premier ministre est un candidat sérieux en 2024. Doté d’une énergie débordante et d’une confiance en soi qui ferait rougir un paon, il s’est parfois oublié dans ses fonctions, se comportant comme un président de la République en répétition générale.
Les promesses de campagne dont celle de baisser les prix des denrées de grande consommation s’est très vite heurtée à la réalité économique.
La fameuse “décision éclair” pour réduire le coût de la vie s’est transformée en “réforme escargot”. Pendant ce temps, les citoyens improvisent, jonglant entre augmentations de prix et rareté de l’argent comme s’ils participaient à un jeu de « survie réalité ».
Acte VI- L’Assemblée nationale
Le monde entier sait maintenant que le Sénégal a organisé, pour la première fois de son histoire politique. Les Sénégalais, logiques comme tout, ont voté massivement pour le Pastef, le parti qui a porté leur président de la République.
A l’assemblée nationale, les députés de la majorité donc occupent 130 sièges sur 165.
L’opposition incapable de se « coaliser en intercoalitions », a eu la confiance d’une partie de l’électorat qui l’a crédité de 35 sièges. Si l’installation du Président et la présidence des commissions a été longue comme une journée sans pain, la désignation de la présidente du seul groupe parlementaire de l’opposition a été plus aisée.
Cette dame c’est un peu comme une prof de philo charismatique qui aurait troqué le barreau, puis les arènes diplomatiques, pour une salle de classe.
Elle manie les mots comme un sabre laser, capable de dérouter n’importe quel interlocuteur avec une punchline bien sentie. Elle parle de la loi avec une passion qui ferait rougir un poète. Mais attention, sous ses airs élégants, elle a la ténacité d’un chameau dans le désert : elle avance, quoi qu’il arrive, et avec style.
Un autre député, élu pour la 4ème fois, (les 3 premières dans la majorité présidentielle, aujourd’hui dans l’opposition), donne l’impression d’être l’encyclopédie vivante du règlement intérieur, le genre à corriger le président de l’Assemblée avec un sourire en coin : “Article 86, cher collègue”.
Dans les débats, il est redoutable : il brandit son Code de l’Assemblée comme un chevalier brandirait son épée. Il connaît chaque virgule, chaque exception, et pourrait probablement réciter le règlement en alexandrins. Ses collègues oscillent entre l’admiration et la réaction musclée : “Ne le contrariez pas il va encore nous faire un cours magistral sur les motions de censure…”
Il donne l’impression d’être l’arme secrète de l’opposition, et surtout, un champion du débat… réglementé !
Et dans tout ça, le président de l’Assemblée, stoïque, du haut du perchoir, jongle entre les rappels au règlement Une démocratie vibrante ? Assurément.
Acte V- Le marathon des poignées de mains
Si la politique intérieure du Sénégal en 2024 est un spectacle de stand-up, les relations diplomatiques, elles, ont pris des allures de sitcom internationale. Dès sa victoire électorale en mars, le président Diomaye s’est lancé dans un “world tour” des poignées de main.
Les voisins du Sénégal l’ont reçu. La CEDEAO qui est en grande difficulté après le départ de trois membres qui ont fait défection pour rejoindre l’Alliance des Etats du Sahel (AES), il l’a au cœur, au point d’envisager avec « humilité et sans illusion » sa tâche de médiateur pour les convaincre de les faire revenir à la table des négociations
Son premier arrêt hors continent ? Paris, bien sûr, où la France, avec une subtilité digne d’un éléphant dans un magasin de porcelaine, a tenté de rappeler ses liens “historiques” avec le Sénégal.
Le Kremlin, ne peut plus nous ignorer, malgré les œillades sceptiques de Washington et de Paris, s’est invité à notre table.
Cà tombe bien. Le moment le plus commenté a concerné la ministre des Affaires étrangères qui accompagnait le président de la République en Russie, nous a appris que « nous mangeons beaucoup de pain et que le pain est fabriqué avec du blé ».
Au Sommet de l’ONU, le Chef de l’Etat a délivré un « message extra-ordinaire », qui n’avait jamais été déclamé, par aucun prédecesseur », nous a-t-on dit .
Malgré toutes ces péripéties, le Sénégal reste une scène politique fascinante. Les citoyens, lassés mais résilients, continuent d’espérer que les acteurs de cette grande comédie finiront par réaliser que le vrai rôle de la politique est de servir et non de divertir. Alors, que nous réserve 2025 ? Une suite encore plus ébouriffante ou un happy end ? L’avenir nous le dira. En attendant, applaudissements pour cette année 2024… et peut-être quelques sifflets aussi.
sudquotidien