Le Centre Yennenga, en collaboration avec Ciné Ucad, a organisé, mardi dernier, une rencontre-débat avec l’historien sénégalais Mamadou Diouf. Enseignant à l’Université de Columbia à New York, il porte un regard sans complaisance sur les sociétés contemporaines africaines. Selon lui, la véritable révolution réside dans la réécriture de l’histoire du monde à partir d’une perspective africaine.

 «Si on suit effectivement les débats de cette Afrique dans le temps du monde, peut-être la plus grande révolution qu’on constate, c’est le fait que ces historiens, et en particulier la première génération des historiens noirs, ont montré que la question n’était pas d’inclure l’Afrique dans l’histoire du monde, mais de réécrire l’histoire du monde.»

Ces mots viennent du professeur Mamadou Diouf, qui animait un débat public mardi dernier au Centre Yennenga, le pôle cinéma de la ville de Dakar mis en place par le cinéaste Alain Gomis, en collaboration avec Ciné Ucad.

Partant de son essai, L’Afrique dans le temps du monde, et sur les questions cruciales de la citoyenneté en Afrique, l’historien Mamadou Diouf, professeur à l’Université Columbia (New York), a estimé que la véritable révolution de l’Afrique réside dans la réécriture de l’histoire du monde à partir d’une perspective africaine, permettant ainsi de repenser les disciplines académiques et d’envisager un avenir meilleur pour le continent.

L’historien ajoute qu’«on ne peut pas parler d’histoire d’Afrique si on ne réécrit pas d’abord l’histoire du monde.

L’histoire de l’Afrique impose la réécriture de l’histoire du monde. Et cette réécriture de l’histoire du monde nous amène effectivement à une autre chose qui est encore plus importante : c’est la discipline. L’histoire n’est plus une histoire qui s’intéresse au passé, mais l’histoire devient l’histoire à venir. Le passé n’a de sens qu’en permettant une projection dans le futur».

Né à Rufisque en 1951, Mamadou Diouf ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit de porter un regard critique sur les sociétés contemporaines africaines. Selon lui,

l’Afrique doit s’inscrire pleinement dans le temps du monde. «L’Afrique dans le temps du monde, cet ouvrage est écrit dans une perspective historique, mais pour le temps présent. Donc, c’est une manière de se poser des questions relativement à la manière dont les Africains, aujourd’hui, tentent de répondre aux questions qui les préoccupent.

Mais aussi essayer de poser un regard sur le monde. Les deux vont ensemble», fait-il savoir, soulignant que cette inscription nécessite des ressources adéquates pour que les Africains puissent développer une perspective propre, affranchie des représentations externes.

«Nous vivons, encore aujourd’hui, avec des ressources qui ne sont pas les ressources adéquates.

Et ces ressources ne nous permettent pas effectivement de poser un regard africain sur le monde. Et on est encore tributaires de la manière dont les gens nous représentent», dixit l’historien.

«L’avenir de l’Afrique, c’est le retour à une organisation communautaire»
Mamadou Diouf n’a pas manqué également de critiquer les systèmes politiques post-coloniaux, souvent incapables de répondre aux besoins et aspirations des populations. Et pour cela, il propose une réflexion sur le retour aux organisations communautaires pré-coloniales.

«Probablement, aujourd’hui, un retour vers le passé permettrait de comprendre que l’avenir de l’Afrique, c’est le retour à une organisation communautaire.

Contrai­rement à ce qu’on croit, le tribalisme politique est le produit du moment colonial. Mais ce qu’on appelle l’ethnicité morale peut être la base d’une reconstruction de la géopolitique africaine», a-t-il développé. A l’en croire d’ailleurs, les zones frontalières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso nécessitent une gestion commune, plutôt que nationale. «Il est très clair que ni le Mali, ni le Niger, ni le Burkina ne pourront jamais gérer cette région.

Il faut qu’on imagine des Etats qui sont des fragments qu’on peut mettre ensemble.

Et c’est probablement la seule manière de remettre l’Afrique dans le temps du monde», précise-t-il. En ce qui concerne le Sénégal, Mamadou Diouf critique les alternances politiques qui n’ont pas conduit à des alternatives politiques réelles. Il rappelle que les deux alternances qui ont eu lieu en 2000 et 2012 n’ont pas amené une alternative politique, mais sont plus la conséquence de transformations culturelles.

Et il explique : «Abdoulaye Wade arrive au pouvoir en 2000 et il est porté par le mbalax. Macky Sall, c’est la fin du mbalax et le moment où le rap prend position, notamment avec le Y’en a marre. Probablement, cette fois-ci, on est entrés dans la phase d’une alternative politique avec ce nouveau régime. Mais pourront-ils le réaliser ou non ? Je n’en sais rien !»

L’universitaire estime également qu’en Afrique de l’Ouest, le fait que les gens continuent à parler de la France est une perte de temps.

«La France n’est pas le point à partir duquel on se définit. On doit se définir hors de cette contrainte et oublier la France», a conclu le Pr Mamadou Diouf.

lequotidien

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