Par Dr. Moustapha Fall
Les universités sénégalaises ont pendant longtemps maintenu de belles réputations de temples du savoir où l’excellence se le disputait avec la discipline dans le travail. Plusieurs personnalités de renom, tant au niveau national et qu’au niveau international, ont été des produits soit de l’Université de Cheikh Anta Diop soit celle de Gaston Berger. De médecins agrégés, mathématiciens, aux historiens et littéraires rompus dans la production intellectuelle, ces universités n’ont pas démérité.
Au contraire, elles ont grandement contribué à la formation de jeunes cadres africains dont la finesse d’esprit et la créativité intellectuelle, littéraire et artistique s’imposent dans les capitales occidentales. Aujourd’hui, de Johannesburg à New-York, la matière grise sénégalaise est bien servie. Ainsi, la logique voudrait bien qu’on sache que nos universités peinent-elles à sortir de leurs crises cycliques?
En tout état de cause, les réponses à cette brulante question peuvent être diverses et variées, mais certaines sont souvent à la périphérie de la vraie problématique en question. Notre argument est que le système éducatif sénégalais n’a pas encore coupé son cordon ombilical avec un passé colonial éducatif qu’il phagocyte à tort et dans son contenu, et dans ses objectifs et dans ses orientations. Néanmoins, il est important de noter qu’en notre qualité d’universitaire, à fortiori de pédagogue, faire le diagnostic de tout le système universitaire avec ses succès et ses échecs, s’avère être une tâche ardue voire impossible compte tenu du caractère complexe du système universitaire avec ses dynamiques internes et externes.
Sous cette optique, nous nous contentons simplement de réfléchir sur les crises cycliques du système universitaire sénégalais et en dégager quelques pistes de sortie de crises. Ainsi ai-je bon espoir qu’au terme de cette contribution, les instances universitaires, sociétés civiles et étatiques vont percevoir notre contribution non pas comme une critique mais comme un appel à des actions concrètes de sortie de crise.
Le diagnostic des crises universitaires au Sénégal
Les raisons dernières les crises qui secouent le système sénégalais sont multiples. Elles sont d’ordre politique et linguistique (pour n’en citer que deux) avec son corollaire de conséquences pédagogique et spatiale dans sa conception et application.
Politico-linguistique
Le Sénégal continue de s’aligner sur le système éducatif français hérité du temps de colonisation française. Alors que le vent de la décolonisation linguistique emportait beaucoup de politiques éducatives coloniales héritées de Jules Ferry (1884) et que la plupart des pays arabes avaient vite entamé le processus de l’arabisation pour décoloniser leur système éducatif des décombres de la colonisation, la plupart des pays sub-sahariens, à l’instar du Sénégal, ont simplement « copié et collé » la politique du système éducatif français sur le système éducatif sénégalais quant aux contenus, objectifs et orientations.
En effet, ce retard du Sénégal à rejoindre la locomotive de cette décolonisation linguistique continue de réclamer ses victimes sur l’autel d’un système éducatif sénégalais fondé sur une langue étrangère (français) que moins de 2% de la population parle comme langue maternelle. Or, pour qu’un système éducatif marche bien pour ne pas dire efficace, il doit être conçu et concocté dans les univers culturel et contextuel du pays en question. Ainsi, l’absence de la décolonisation linguistique, qui est en train de signer l’arrêt de mort d’un enseignement universitaire sénégalais paralysé jusqu’à la moelle des os, est la conséquence de l’arrimage du contenu pédagogique du système français sur le contenu pédagogique sénégalais.
1-1-1 Les conséquences pédagogiques de l’arrimage
À travers nos précédentes contributions, nous n’avons jamais cessé de répéter à tous ceux et à toutes celles qui voudraient bien nous entendre que le contenu et les objectifs éducatifs d’un pays doit, par la force des choses, être conçus et concoctés en fonction du contexte et de la culture du pays en question. Or, en ce qui concerne le Sénégal, un contenu éducatif calqué sur celui de la France, depuis le temps colonial, fausse, dès le départ, les exigences d’un corpus de savoir et de savoir-faire pour faire décoller le pays.
Aujourd’hui, une grande majorité des méthodes d’enseignement dans certaines universités sénégalaises obéissent à une vision géocentrique qui positionne l’enseignant(e) au centre de l’objet du savoir plutôt qu’à la périphérie. Autrement dit, l’objet du savoir doit être au cœur du rapport triangulaire entre l’objet du savoir, apprenant(e) et enseignant(e).
Si nous savons que les méthodes d’enseignement dictent les objectifs du contenu d’enseignement, les méthodes d’enseignement fondées sur la mémorisation et non sur la construction et la déconstruction de l’objet du savoir ne sont plus d’actualités. En d’autres termes, la configuration du monde académique caractérisée par la mobilité est désormais aux antipodes de l’apprentissage par mémorisation et de l’enseignement par transmission de l’objet du savoir par rapport auquel le professeur est le transmetteur et l’étudiant(e) est le/la récepteur/trice.
Cette méthode d’enseignement fabrique des étudiants démotivés et déconnectés complètement de l’objet du savoir. De nos jours, nombreux sont les étudiants qui sortent de nos cours découragés et /ou désorientés pour avoir été très passifs au cours d’une leçon où il y a une absence totale d’échange intellectuel. Nous exhortons nos propres collègues professeurs que l’objet du savoir n’est savoir que quand il est déconstruit, décortiqué, déchiqueté en lambeaux pour être reconstruit.
Le vrai enjeu de l’éducation, c’est de pouvoir amener l’étudiant(e) à penser sans le professeur qui, à leur tour, reste étudiant(e)parce qu’étant simplement professeur. Sous ce rapport, pour paraphraser Claire Tardieu, l’enseignement devrait mesurer les acquis des étudiants et la distance qui les sépare de son objet d’enseignement, et proposer des aides à l’apprentissage puis la disparition progressive de ces aides, de la même manière que pour construire un édifice on se sert d’un échafaudage que l’on démonte lorsque la construction est achevée.
1-1-1 Les conséquences spatiale de l’arrimage
La question de l’espace physique fût au cœur de l’entreprise expéditive de l’occupation coloniale française en Afrique. Au Sénégal, elle a pris des propositions beaucoup plus importantes notamment sur le droit de la citoyenneté française rattachée aux quatre communes telles que Dakar, Rufisque, Saint-Louis et Gorée. En sus, la conception coloniale de l’espace physique se manifestait dans le sphère scolaire, marqué par un rappel du cahier de présence dont l’absent(e) fait souvent l’objet de sanctions voire d’exclusion.
Certes, la technologie n’était pas développée, mais toujours est-il que cette conception coloniale assez réductrice de l’espace reste bien ancrée dans nos habitudes aujourd’hui. Il a fallu que Covid 19 devînt une réalité au Sénégal pour que la réalité de l’espace du virtuel et du psychologique soit relativement prise en compte dans l’enseignement universitaire. Cette conception assez réduite de l’espace, comme étant seulement physique par essence, participe de façon significative aux crises qui secouent les universités aujourd’hui : promiscuité sur le campus social et universitaire, manque criard de salles de classe et d’étude et que sais-je encore !
Conclusion
Certes les crises universitaires au Sénégal sont nombreuses et complexes, mais la nécessité d’une rupture avec la politique éducative française s’impose et l’urgence une politique éducative qui tienne compte des réalités du Sénégal est plus que jamais actuelle pour sortir nos universités de ce tourbillon. Sous ce rapport, le système éducatif sénégalais doit aussi sortir du carcan linguistique dans lequel il a été enfermé depuis fort belle lurette et qui consiste à user des langues étrangères pour l’instruction et la formation de ses enfants dans les écoles et universités africaines (Voir les travaux de Cheikh Anta Diop, voir notre dernier ouvrage sur sujet, Fall 2020).
En voulant confiner des milliers d’étudiants dans un même espace universitaire, la promiscuité, le manque criard de salles de classe deviennent de plus en plus récurrents avec comme conséquences les maladies, le retard dans les enseignements etc. Or, toutes ces difficultés structurelles pourraient être évitées, si les autorités étatiques avaient une autre conception de l’espace et allouaient d’importants moyens pour développer parallèlement l’espace virtuel de concert avec les multinationales pour asseoir un dispositif fiable de réseaux communicationnels où professeurs et étudiants peuvent convoler en justes nonces dans le long, pénible et interminable processus de construction et de déconstruction du savoir l’objet.
Dr. Moustapha Fall,
Enseignant-chercheur
xibaaru
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