Les artistes africains contemporains, se sont interrogés sur le statut de la création artistique contemporaine en Afrique, sous la houlette d’Elhadji Malick Ndiaye, directeur artistique de la 14e édition et de la mise en œuvre du Secrétariat général de la Biennale de Dakar et de son équipe, qui ont relevé les défis de cet évènement panafricain, d’envergure internationale.

Il fallait revisiter et “recartographier” le concept d’art africain contemporain et le situer à même les préoccupations d’artistes que nous sommes, ou d’artistes tout court, tenant leur inspiration des réalités et du substrat culturels dont nous sommes issus.

Il convenait donc, par la présence et la présentation de nos œuvres, de nous démarquer d’une identité monochrome de l’Africain telle qu’elle fut longtemps véhiculée. Il nous a semblé utile et essentiel, de nous adosser et de nous référer à des situations symboliques plus riches et plus prometteuses d’identité plurielle, dont le symbolisme africain est détentrice, en d’autres termes et en reprenant si justement la formulation stimulante de Djibril Samb, pour qui « les identités africaines, de toute façon, sont soumises aux lois des mutations de la durée historique, mais aussi sont capables par elles-mêmes, de s’adapter à des environnements nouveaux ».

Les expositions de la Biennale dont le thème majeur est INDaffa (forger), furent une réponse, certes non exhaustive, aux interrogations légitimes des artistes africains et en même temps, une prise de conscience de la portée heuristique de cet événement de portée mondiale, qu’est devenu depuis ses origines, le Dak’art.

Senghor était en effet déterminé à promouvoir l’identité culturelle du monde noir. Aussi, eut-il à cœur de créer les conditions de possibilité et les moyens d’une pratique artistique respectueuse du pluralisme de la topographie africaine et des développements des arts et des lettres de ce vaste symbolique africain. Il s’en suit la nécessité de s’enraciner dans sa culture spécifique, tout en restant ouvert aux apports multiples et positifs des cultures étrangères.

C’est par cette conviction et avec l’impulsion d’Alioune Diop que le Président poète Senghor sut concrétiser ses idéaux en organisant en 1966, le premier Festival Mondial des Arts Nègres à Dakar. Cet événement culturel, historique en quelque sorte, fut aussi l’affirmation solennelle et festive de la Négritude. Ce projet naquit dès les années d’indépendance et fut prévu d’abord en 1961, puis repris en 1963 et 1965, pour enfin, pouvoir être tenu le 1er avril 1966.

On peut considérer la biennale de l’art africain contemporain comme un moment unique dans le développement de la culture africaine moderne et contemporaine. C’est une politique progressiste menée selon un échange harmonieux entre l’art et la politique. Le Sénégal a voulu continuer à répondre à la promesse de1966. La politique culturelle du pays prolonge ces rendez-vous artistiques et culturels dans le but d’une analyse fouillée et contemporaine de la création. C’est ainsi qu’Abdou Diouf, deuxième Président de la république, après Senghor, mit sur pied de façon pérenne, l’évènement continental que fut la Biennale des Arts et des Lettres de Dakar, devenue depuis lors, « la Biennale de l’art africain contemporain », et ce, depuis 1996.

Les grandes préoccupations plastiques contemporaines des artistes africains comme l’harmonie, l’équilibre et le rythme, servent de phares culturels aussi bien aux Africains qu’aux individus d’autres contrées du monde. Elles prônent une démarche ouverte. Et cette démarche, comme le précise Iba Ndiaye, « doit surtout être synonyme d’enrichissement de l’expérience et de la culture esthétique de l’artiste au contact des créateurs d’autres continents ». Car la créativité n’est ni blanche, ni noire, mais fille d’un apprentissage patient et d’une rigueur constante nourris des apports d’ailleurs. Elle exige de l’artiste une discipline consentie, personnelle, pour ensuite sortir de cette discipline et essayer de s’envoler ; la discipline n’est qu’un tremplin qui permet de se déprendre de soi pour « un soi multiple »

La création africaine contemporaine se veut être aussi un laboratoire à la faveur de la Biennale des Arts de Dakar, un encouragement intrinsèque pour les artistes eux-mêmes. Le Sénégal en général, et plus particulièrement Dakar, confirme sa vocation d’échanges fructueux dans le domaine de la création artistique contemporaine. Il existe un large brassage, riche et significatif entre plasticiens africains en général et sénégalais en particulier. Chaque artiste ressent la grande liberté à s’exprimer et à se frotter avec les autres.

La capitale sénégalaise aime à se définir comme un lieu de référence en matière d’art plastique contemporain de tout le continent, comme ce fut le cas lors de cette édition 2022. C’est l’Afrique qui répond présent grâce à son art dans le concert des civilisations et dit sa liberté à concevoir son propre passé et son avenir dans le monde. Dak’art permet de favoriser et de développer l’expression des mille facettes de l’art et met l’artiste face à l’imprégnation des parfums suaves de l’harmonie ou encore des défis artistiques qui mènent aux renouvellements des sensations esthétiques.

Il ne reste pas moins vrai que les artistes en pleine possession de leurs moyens, se sont toujours exprimés à travers une totale absence de contraintes. Il appert que leur génie créateur s’est libéré facilement au fur et à mesure des biennales successives et ils ont puisé au plus profond d’eux-mêmes, ce qui les définit le mieux, pour produire des œuvres d’une grande originalité et d’une haute facture plastique. L’exposition carte Blanche à Soly Cissé, en est la preuve irréfutable. Ce jeune maître dans l’expression plastique, constitue une référence dans l’art contemporain, Soly est un des acteurs culturels du continent qui contribue au fait que l’histoire contemporaine de de l’art s’étoffe de valeurs pédagogiques, pour faire partie des enseignements dans nos universités africaines et d’ailleurs.

Ces travaux constituent un ensemble cohérent d’œuvres par la communication des relations stylistiques entre les productions individuelles. Des œuvres d’art contemporains s’engagent ainsi à explorer aussi la condition humaine d’un point de vue personnel ou politique. Les expositions du Dak’art montrent des applications et des manipulations effectives des techniques d’expressions plastiques, tant du point de vue de l’utilisation des matériaux que des qualités formelles, pour atteindre des niveaux de compétence technique assurée et notable. Les œuvres élaborent visuellement des idées, des thèmes ou des concepts jusqu’à un point sophistiqué de réalisation effective. On y retrouve une communication efficace des intentions artistiques déclarées. Et pour couronner le tout, l’approche « curatoriale » de Khalifa Dieng justifie pleinement la sélection et la disposition des œuvres exposées.

Dakar confirme sa rôle dans une meilleure compréhension internationale et de se situer en très bonne place dans la géopolitique des arts mondiaux et d’affirmer la contribution des artistes et des critiques d’art africains aux grands courants universels de la pensée, tout en permettant aux artistes africains contemporain de tous les horizons de confronter les résultats de leurs recherches et de faire voir au plus vaste monde, les fruits de leurs créations dans ce rendez-vous panafricain des arts.

Cette manifestation confirme davantage l’appel au dialogue des peuples, des cultures, qu’un simple événement prosaïque et narcissique de la vision africaine de l’art : La Biennale de Dakar est à cet égard l’expression de la politique d’ouverture et du partage, pour prôner le panafricanisme et la civilisation de l’universel. Des artistes européens, asiatiques, américains, ont répondu massivement dans le rassemblement « des expositions du OFF ».

Il me semble de nos jours que la demande d’un plasticien est vouée à dépasser les réalités culturelles locales, à sortir de son pays, voire de son continent, selon le bel aphorisme de l’écrivain portugais Miguel Torga, « l’universel, c’est le local moins les murs », pour embrasser les réalités d’autres cultures, d’autres horizons. Aussi, l’art peut-il être à la fois enraciné dans sa culture et être ouvert aux autres, et développer ainsi dans ce qu’il y a de plus actuel, c’est-à-dire de contemporain en lui. Miguel Torga renchérit : « Ce n’est qu’après avoir mesuré ses propres caractéristiques et les avoir ensuite mêlées dans le grand feu universel, que n’importe quel homme peut se sentir à la fois citoyen de Tràs-os-Montes et citoyen du monde »

Enfin, le projet Doxantu, une idée de génie qui a permis d’amener la Biennale auprès du public, avait mis en scène des sculptures monumentales dont les images ont été vues de nombreuses fois sur les réseaux sociaux. Ces œuvres sont encore visibles sur place.

Dans son approche de l’espace publique de la sculpture, Doxantu fait intervenir d’autres aspects faisant fonction de matériaux malléables et façonnables sans être palpables au toucher mais rendu perceptibles visuellement. Il s’agit du vide (l’air), du mouvement et du temps, avec le jeu du vide et du plein dans la sculpture, Celui-ci transcende, dans ces sculptures, le vide et adopte la transparence et le mouvement. Ces matériaux divers, au même titre que le vide (devenu matériau), ont sculpté l’espace environnant de la corniche de Dakar et elle a rayonné et a aussi fait rayonner la Biennale 2022.

Momar Seck
Artiste plasticien
Docteur en arts plastiques de l’Université de Strasbourg
Chef du département d’art visuel École internationale de Genève

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