La récente décision de l’administration Trump d’instaurer des surtaxes douanières constitue un tournant décisif dans les relations commerciales entre les États-Unis et l’Afrique.
L’African Growth and Opportunity Act (AGOA), qui visait à faciliter l’accès des produits africains au marché américain en les exemptant de droits de douane, semble désormais remis en cause.
Dès lors, plusieurs observateurs, dont l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé, estiment que cette orientation marque la fin de l’AGOA tel qu’on le connaissait.
La décision du président américain Donald Trump de fouler aux pieds et de manière unilatérale les règles de l’Organisation de Mondiale du Commerce (OMC) ne sera pas sans conséquences pour tous les pays singulièrement les pays africains les moins avancés (PMA). Comme l’a souligné le Premier ministre de Singapour, c’est même l’ensemble du système de libre-échange qui vacille.
Interrogé sur les effets immédiats de ces droits de douane dont un taux de 10 % est appliqué au Sénégal, Demba Moussa Dembélé reconnaît la difficulté à quantifier, à ce stade, l’impact précis sur les exportations sénégalaises. Il précise que ces mesures toucheront non seulement les produits précédemment éligibles à l’AGOA, mais également l’ensemble des exportations à destination des États-Unis.
Cependant, nuance-t-il, l’ampleur des échanges commerciaux entre le Sénégal et les États-Unis demeure modeste.
Selon les données de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), les États-Unis ne figuraient qu’au dixième rang des partenaires à l’importation du Sénégal en 2024. En comparaison, la Chine s’impose désormais comme le premier partenaire commercial du pays.
Un impact généralisé à l’échelle du continent
Au-delà du cas sénégalais, tous les pays africains seront touchés. L’imposition d’un tarif d’au moins 10 % sur la majorité des exportations africaines vers les États-Unis signifie une érosion de leur compétitivité, surtout pour les produits qui étaient déjà soumis à des taxes, et qui le seront désormais davantage.
Les produits les plus exposés sont : le pétrole brut, les minerais et les denrées agricoles. Ainsi, les grands exportateurs de pétrole comme l’Algérie, l’Angola ou le Nigeria subiront de plein fouet cette réforme tarifaire. La Côte d’Ivoire, dont une part importante du cacao est écoulée sur le marché américain, figure également parmi les pays à risque.
Quant aux pays les moins avancés (PMA) – parmi lesquels figure le Sénégal – leur vulnérabilité est accentuée par leur forte dépendance au régime préférentiel de l’AGOA. Demba Moussa Dembélé cite les exemples de Madagascar, frappé de 47 % de taxes sur la vanille et les métaux, ou du Lesotho, confronté à un tarif de 50 % sur ses exportations de diamants et de textiles.
Ce dernier envisage d’ailleurs l’envoi d’une délégation à Washington pour tenter d’amortir le choc.
Une réponse africaine fragmentée et peu concertée
Face à cette reconfiguration des échanges mondiaux, « l’Afrique ne semble pas en mesure d’apporter une réponse unifiée, à la différence de blocs régionaux tels que l’Union européenne ou l’ASEAN », constate l’économiste pour s’en désoler.
Chaque pays adopte sa propre stratégie, parfois prudente, parfois offensive.
À titre d’exemple, l’Afrique du Sud a déclaré qu’elle n’imposerait pas de mesures de rétorsion, bien qu’elle soit durement frappée (31 % de taxes supplémentaires, en plus des 24 % sur ses exportations de véhicules électriques).
Cette prudence semble être partagée par plusieurs autres pays africains, soucieux de ne pas aggraver les tensions commerciales ou de compromettre d’éventuelles négociations bilatérales.
Des conséquences économiques et sociales majeures à prévoir
Demba Moussa Dembélé d’alerter sur la multiplicité des répercussions que ces mesures douanières entraîneront sur les économies africaines.
Selon lui :
_« On peut s’attendre à une baisse des recettes d’exportation en raison de la diminution de la demande américaine; à une hausse des coûts à l’importation pour les produits industriels américains ;
_à un creusement des déficits de la balance des paiements ;
_et à une aggravation de l’endettement extérieur, en particulier pour les PMA ».
À terme, « certaines nations pourraient sombrer dans une crise économique et sociale profonde, si des mesures d’ajustement ne sont pas prises rapidement », conclut M. Dembélé.
sudquotidien