Moussa Sène Absa est un gangster. C’est un diététicien. C’est un membre de l’ordre des cousins de blague du Bon Dieu. Moussa Sène Absa est une éponge. C’est un poète. C’est un philosophe. Et Cinekap veut que ses étudiants deviennent des gangsters, des cousins de blague du Bon Dieu, des éponges, des poètes, des philosophes, des pêcheurs de merde.

Moussa Sène Absa est… ! Beaucoup de choses ! Et il a fallu faire un texte pour remplir les pointillés. Moussa Sène Absa : Baba Diop en a raconté. Il a «tell» un peu de la «story» de celui que Cinekap a choisi pour une Masterclass en story-telling et mise en scène.

Raconté, un peu. Les pointillés, d’eux-mêmes, se rempliront après. Lui et ce qu’il a fait et continue de faire, qui n’en sait ! Et lui, doit maintenant participer à faire des Moussa Sène Absa.

Ils sont là pour l’écouter, ces étudiants qui rêvent ciné.

Devant eux, point de Moussa. Cette chair noire drapée dans du blanc et portant ici bagues, la chaîne, sans oublier la canne, n’est pas un humain. Eponge il est et éponge invite-t-il les étudiants à être. Les gens de l’espèce de Moussa Sène Absa, selon ce que lui-même en dit, sont «des éponges qui parcourent la cité. Parfois, c’est de l’eau qui tombe. Parfois, c’est du vin.

L’eau plus le vin, plus l’huile, plus le sang, plus le vinaigre, plus tous les liquides.

Et nous sommes l’éponge. Nous aspirons tous ces liquides de la société.

Et quand on les sort, ce n’est plus de l’eau, ce n’est plus du lait, ce n’est plus du sang : c’est autre chose. C’est cette autre chose-là qui fait le cinéma».

Août 2024. Quelque part entre dix heures et onze heures, quelque part dans Dakar et, peu importent l’espace et le temps. Moussa Sène Absa est un trou noir : il a déjà absorbé l’attention des étudiants et des officiels venus l’écouter dans une cour. Pour un cours magistral.

On était venus écouter Moussa Sène Absa et c’est un presque soufi qui s’est exprimé.

Les gens de l’espèce de ce Moïse sont «comme les cousins de blague du Bon Dieu». Et, ce cousinage à plaisanterie ne plaisante pas. «Dieu crée l’humain, lui donne une âme, déroule sa vie de sa naissance à sa mort, lui donne un destin. Et nous, prétentieux que nous sommes, nous prolongeons cette vie. Nous amenons l’immortalité», dit-il dans son grand boubou blanc qui contraste avec sa peau. Thierno Ndiaye Doss qui rigole et danse.

Qui danse et rigole, Nar Sène.

Qui ne sont plus là, ces deux, mais, qui sont là, conservés auprès des leurs par la magie du cinéma. Le Gandalf en canne noire et bijoux d’argent de dire en ce sens : «Nous avons conservé ce qui est le plus proche de Dieu, c’est l’âme.»

Cousins de blague du Bon Dieu, conservateurs de l’immortalité de l’âme, le cinéma et ses hommes, qui prennent ainsi l’allure d’un ordre mystique, exigent des aspirants des qualités qui leur fassent mériter l’accès aux secrets.

«Et quand on a la prétention de conserver l’âme, on doit avoir beaucoup d’humilité, beaucoup de pureté.

On doit être imbu de la vérité», dit l’homonyme du prophète d’Egypte. Aussi, gardien d’âme doit être propre ! «Propre, insiste monsieur Madame Brouette, au sens où nous n’avons aucune souillure en nous, nous nous donnons à l’autre et au monde comme si rien ne nous appartenait.

Et ce qui nous appartient le plus, c’est justement ces récits qu’on égrène.» Ainsi, «comme le poète errant, on se pose des fois et on échange». Et «le cinéma, c’est cet échange-là».

Thierry Henry, tu permets ?
5 août 2024. Quelque part dans Dakar et entre onze heures et midi, quelque part. Mais, peu importe l’espace et le temps : seule la voix de Moussa Sène Absa, qui trace la voie pour ces fils et peut-être petits-fils, compte. Seule compte la qualité du silence que des gazouillis viennent sublimer. Des oiseaux alors, qui dialoguent avec le maître qui, lui, délivre sa masterclass.

«On peut parler sans rien dire.

On peut entendre sans écouter. On peut voir sans regarder. Il faut que vous soyez en mesure d’écouter, de regarder, de dire, mais surtout de sentir.» Cette poésie que le vénéré doyen décline annonce une philosophie. Ainsi ceux qui n’étaient venus que pour entendre Moussa se voient-ils renvoyés vers Socrate.

Moussa Sène Absa de rappeler le «connais-toi toi-même» du philosophe pour dire aux apprenants que seuls les récits qui prennent source dans le fond de leur être se feront éternels.

«Il faut s’écouter», «donnons des oreilles à nos âmes», conseille Moussa Sène Absa.

Les étudiants l’écoutent. S’écouter, leur dit-il, afin de saisir toute la musique des différentes âmes qui sommeillent en eux. S’écouter demande du temps. Et ceux qui n’étaient venus que pour écouter Moussa Sène Absa l’entendent répondre accidentellement à Thierry Henry.

Ce dernier, ancien footballeur, aujourd’hui entraîneur, avait sorti cette merveille : «Même le temps n’a pas le temps pour le temps.»

Le cinéaste de lui répondre, en séance d’entraînement de ses étudiants : «Prenez le temps ! Prenez le temps ! Volez du temps au temps ! Les gens qui réussissent, ce sont les gens qui travaillent le plus.» Il leur aura parlé en Lamartine pour les prévenir, pour leur éviter de tomber dans ce qu’il appelle «invasion du rapide et de l’éphémère».

Du rapide et de l’éphémère, monsieur Tableau Ferraille ne veut pas.

«Vous n’êtes pas là pour faire des séries télé, parce que la télé c’est un meuble» et, «le cinéma, c’est un art» : l’art de la musique, l’art de la danse, de l’écriture, du théâtre, de la poésie, de l’architecture. Moussa, cinéma ? Ce Moussa s’exprime en diététicien.

Il parlera de nourriture d’esprit et d’âme, de l’esprit et de l’âme de ceux qui l’écoutent, et qui devront écouter mille voix et aspirer mille liquides, s’ils veulent marquer le cinéma de leur empreinte. Cette diététique suppose une discipline en vue du résultat escompté. Règle première : «Ne ratez aucune exposition de peinture, aucun spectacle de danse, de théâtre, de musique. Abreuvez-vous de tout. Consommez tout ce qui est beau.

Consommez ce qui est avec vous…

Habitez votre esprit de choses qui vont faire ce que vous serez demain.» Deuxième règle : «Parmi vous, celui qui aura le plus lu aura plus de chance d’être le meilleur. Je répète», et il répète avant de poursuivre : «La lecture crée des imaginaires, fait voyager l’âme, vous permet de découvrir d’autres mondes, de vous connecter à d’autres choses qui vous nourrissent et se sédimentent en vous.»

Diététicien ? Ce Moussa fait dans la géologie des esprits et des âmes : «Et plus vous lisez, plus la sédimentation devient plus rocailleuse. C’est cette chose qui est le magma de notre propre identité qu’on secoue parfois pour faire tomber des choses.»

Des larmes, des rires, de l’innocence, de la merde : une vie de gangster
Lundi, 5 août 2024. Quelque part à Dakar et quelques pas avant midi. Mais temps et espace importent peu. Comment ces deux éléments peuvent-ils compter pour une barbe blanche (même si rasée) qui refuse de grandir ? «Je refuse de grandir», a dit celui qui a un fils qui a fait le Bac cette année.

Refus, parce qu’enfance veut dire innocence et que la créativité a besoin de cette innocence.

Il la revendique alors, et invite les étudiants de Cinekap à faire de même. «Il faut revendiquer cette innocence parce que c’est la plus belle chose qu’on a.» Plonger dans soi, s’écouter, égrener d’éternelles histoires parce que puisées dans l’originalité des individualités… tout en restant enfant : rideau, fin de séance !

Ou, non ! Puisque, souligne avec force le maître, le cinéma n’est pas un truc de solitaire.

C’est une question de compagnonnage. Et cet homme en blanc et vêtu de sa peau noire n’est pas Moussa Sène Absa. C’est un gangster ! Nul l’accuse, il s’en réclame et dit du cinéma que c’est une affaire de gangsters. Des amis qui se complètent, qui s’éclatent, qui apportent matériel et matériau pour faire leur art.

Des gangsters droits, dit-il, parce que dans ce type de gang, un seul qui merde met en danger sa vie et celle des bros.

Donner le meilleur de soi, pour le bien de tous. D’où alors vient ce meilleur de soi ? De ce qu’il appelle «nos fondamentaux», ce qu’on est individuellement pris et qui constitue l’essence «qui nourrit notre moteur artistique». Ce sont des larmes, ce sont des pleurs, ce sont des joies, un background, des choses pénibles. Ce sont les choses de l’âme, du cœur, de l’esprit… et des intestins.

Le gangster sénégalais citera en ce sens un du Bénin.

«J’aime les choses qui bouillonnent dans mon ventre, parce que dans mon ventre il y a de la merde.» Même cette merde fait partie des choses que les étudiants doivent aller chercher… Et, chacun sa merde. Il ne faut ressembler à personne, malgré l’ouverture aux influences de tous.

Moussa Sène Absa conseille de «plonger dans tous les récits écrits, tous les récits racontés, tous les récits interdits, tous les récits de soi-même» en tant qu’éponge. Par le rendu empreint de nos fondamentaux, «ça devient quelque chose d’universel».

lequotidien

Part.
Laisser Une Réponse

Exit mobile version