Fondé avant l’indépendance du Sénégal, l’ancien Village de reclassement social de Djibélor (VRS) qui, jadis, accueillait les patients atteints de la lèpre, constitue de nos jours une seule et unique famille de plus de 400 personnes. Ce patelin qui retrouve aujourd’hui la joie de vivre est longtemps resté séparer des autres contrées de la commune de Niaguis et de Ziguinchor.
Djibélor ! Quand on évoque ce nom, les pensées vont directement au village de reclassement social. Une localité très connue de tous pour la spécificité de ces habitants. Il fut un moment, souffle-t-on, certains avaient même peur de prononcer ce nom.
De loin, le village de reclassement social de Djibélor créé vers les années 1950 donne l’impression d’une petite cité qui refuse de grandir.
Mais, sur place, on se rend compte de l’immensité du site. Bâti sur un titre foncier (obtenu le 1er août 1950) d’une superficie de trois hectares et ceinturé par de géants manguiers, ce village qui accueillait les malades touchés par la lèpre s’agrandit chaque année.
A peine entrés dans cette localité jouxtant la route nationale qui mène à Cap Skirring, nous faisons face à la petite chapelle (église) qui se dresse juste à côté de l’école publique élémentaire de Djibélor.
Pour pénétrer dans ce village où règne un calme en cette soirée du lundi, nous avons affronté une petite ‘’descente’’ latéritique distante de moins d’un kilomètre. Elle sépare la RN des habitations.
Sur place, on découvre un village en plein essor. Et des occupants guéris de leur maladie qui retrouvent la joie de vivre. Les efforts consentis par les services de l’État, notamment le service régional de l’Action sociale de Ziguinchor sautent à l’œil. Outre toutes ces infrastructures à leur bénéficie, les habitants tiennent à verger horticole où ils développent le maraîchage.
Ici, les occupants n’ont rien à envier aux autres villageois.
Ils ont de l’eau potable, de l’électricité et leurs enfants vont à l’école dans les mêmes conditions que les autres. Le seul hic, selon l’adjoint au chef du village de reclassement social de Djibélor, Mamadou Coly, c’est le fait qu’ils ne disposent pas de poste de santé et de maternité.
Pour se soigner révèle-t-il, ils sont obligés de parcourir une distance de 5 à 7 km pour se rendre au dispensaire de Brin ou à Ziguinchor.
Aussi, s’est-il réjoui, ‘’le village de reclassement social de Djibélor qui a tant souffert de son enclavement et isolement, a aujourd’hui retrouvé le même statut qui régit le fonctionnement des autres villages du Sénégal’’.
‘’Djibélor d’aujourd’hui et Djibélor d’hier, c’est totalement différent. Hier il n’y avait que des malades. Le village a évolué’’, a salué Mamadou Coly.
‘’Nous avons vécu une situation très compliquée. Les gens nous fuyaient. Nous étions très mal traités par nos propres concitoyens. C’était trop difficile. Les gens avaient peur de nous ; parce qu’ils ne savaient pas que la lèpre était une maladie non transmissible. Nous avions été isolés du reste des populations. Dieu merci les choses ont évolué’’, a-t-il ajouté.
L’étroitesse des maisons décriée
‘’Nous n’avons pas assez d’espace où habiter. Nous sommes-là serrés comme des sardines. Nos maisons sont étroites’’, fait observer Mamadou Coly.
‘’Dans ce village nous avons un problème de foncier.
Aujourd’hui la population a des problèmes pour avoir un logement adéquat. Le village s’est peuplé mais n’avons pas assez de terres’’, indique le président de la jeunesse du village de reclassement social de Djibélor, Ibrahima Diédhiou qui a aussi plaidé pour un approvisionnement correct en eau, l’électrification de route nationale menant vers Cap-Skirring et la construction d’un dispensaire.
‘’Nous demandons plus d’aide venant de l’Etat.
Ici, l’évacuation des malades pose problème, faute d’ambulance. Nous invitons l’Etat à davantage appuyer moralement et financièrement les lépreux afin de leur permettre de subvenir à leurs besoins quotidiens’’, a insisté M. Diédhiou.
‘’Je suis originaire de Suelle et je vis présentement à Djibélor.
Au départ, quand nous étions entre nous malades, c’était très difficile. Aujourd’hui notre condition d’existence s’est améliorée. Néanmoins, nous avons besoin de soutien, nous ne mangeons pas à notre faim, l’accès est difficile, nos maisons sont exiguës, car nous y vivons cloîtrés.
On aurait souhaité avoir plus d’espace pour construire de nous nouveaux habitats pour y être à l’aise avec nos enfants’’, confie Aïssatou Badiane, ancienne malade.
‘’Certains de nos enfants ont déjà fait une formation professionnelle et jusqu’à présent ne travaillent pas. Nous n’avons pas le soutien de l’état, qui doit notamment nous accompagner’’, a-t-elle regretté.
La décision de supprimer les villages de reclassement social saluée
Dans cet ancien village de reclassement social, la volonté de l’ex-gouvernement d’en finir avec les VRS , selon l’adjoint au chef de village de Djibélor, Mamadou Coly, a complétement changé le cours de leur vie et celle de leurs enfants et petits-enfants. Pour lui, ‘’il n’y a plus de malades dans leur village’’.
‘’Nos enfants sont nés ici. Ils ne connaissent que ce village.
Si on nous demandait de partir un jour, j’en suis persuadé que personne ne quittera ce village. Certes, la maladie nous a laissé des séquelles. Mais je puis vous assurer que nous sommes tous guéris. Nos enfants et petits-enfants sont en bonne santé’’, a dit l’adjoint à l’ancien chef du village Moussa Faye, décédé le mois de janvier dernier.
Pour Lamine Goudiaby, un habitant du village, ‘’Djibélor n’est plus comme avant où on fuyait les malades’’.
‘’Au début, les malades étaient majoritaires dans ce village. Maintenant on peut les compter. De 1976 à aujourd’hui, la population a fortement augmenté. Nous avons un problème d’espace’’, a fait observer M. Goudiaby.
Il a ainsi invité le régime actuel à davantage accompagner les enfants des malades de Djibélor en leur octroyant des bourses sociales pour des formations ou études. Pour lui, ‘’après avoir supprimé les villages de reclassement social, il faut un accompagnement des anciens malades’’.
Des projets et programmes pour les deux VRS de Ziguinchor
À l’instar des veuves, enfants et personnes âgées, les familles des villages de reclassement social de Teubi (Niamone) et Djibélor (Niaguis) bénéficient des projets et programmes de l’Etat que met en œuvre à travers la Direction régionale de l’action sociale (DRAS) le Programme pour l’Autonomisation des Personnes atteintes de Lèpre et Familles (PAPALF).
Et grâce à ce programme tout un dispositif est actif pour la prise en charge global des populations qui aussi sont des handicapées à cause de la lèpre, a expliqué le directeur régional de l’action sociale de Ziguinchor, Seydou Nourou Thiam. Ces anciens malades a-t-il dit, ‘’ont également bénéficié de la carte d’Égalité des Chances (CEC), qui leur donne droit à la bourse de sécurité familiale’’.
‘’Ces villages ont pour aussi bénéficié de kits scolaires pour les enfants (jardin jusqu’au lycée), de la formation des jeunes, d’un bloc maraicher sans oublier la construction de maisons’’, a fait valoir le directeur régional de l’action sociale.
Mamadou Coly, adjoint au chef de village, attaché à Djibélor
Il est des gens qui quittent leur village d’origine pour diverses raisons et qui ne veulent plus y retourner. C’est le cas du vieux Mamadou Coly, l’un des tous premiers occupants du village de reclassement social de Djibélor. Il souhaite mourir sur ces terres et y être inhumé.
Quand il quittait Suelle, son village natal situé dans l’arrondissement de Sindian pour rejoindre le VRS de Djibélor, il ne savait pas qu’il allait être guéri de la lèpre et fondé sa propre famille. Mais, par la grâce de Dieu, tout s’est concrétisé. Étant malade, il a dû se battre.
Bien qu’il soit affaibli par la maladie, Mamadou Coly veut toujours rester lui-même.
Il entend se battre jusqu’à son dernier souffle pour protéger les intérêts du village qui l’a vu grandir. Il a vécu un épisode douloureux dans sa vie à cause de cette maladie qui a déformé les membres de son corps. Né le 31 décembre 1934, Mamadou Coly se souvient encore du jour où il quitta sa famille pour un endroit qu’il ne connaissait pas. La séparation avec ses proches est toujours une onde de choc.
”C’était trop compliqué, relate-t-il.
Je me rappelle que, quand je quittais mon village, mon papa me disait que j’allais mourir de faim à Djibélor parce qu’il ne devrait y avoir personne pour s’occuper de moi. Il ne voulait pas que je sois interné à Djibélor. J’étais encore jeune. Moi, je n’avais peur de rien. Parce que je savais que j’allais y trouver d’autres patients’’, raconte-t-il.
‘’A l’époque, cette maladie était très méconnue des populations.
Certains disaient même qu’elle était contagieuse. J’avais alors, cette envie de protéger les autres. Voilà pourquoi j’avais décidé de partir. Aujourd’hui, je ne regrette rien du tout’’, lance avec assurance, Mamadou Coly.
Serait-il prêt un jour à rentrer dans son village ?
Le vieux Coly répond par la négative. Pour lui, c’est Djibélor qui l’a couvé et, c’est ici où il veut être inhumé. Son souhait le plus ardent, c’est d’être aux côtés de ceux-là avec qui, il a eu à partager les pages les plus sombres de sa vie.
‘’Quelqu’un, ajoute-t-il, a une fois essayé de me faire retourner au village.
En contrepartie, il a proposé de m’installer une boutique. Mais, j’ai dit non. Je préfère rester ici. Les gens nous ont stigmatisés, rejetés et traités de tous les noms. Je me rappelle que, quand les mangues tombaient les gens de Ziguinchor refusaient de les consommer par peur d’être contaminés.
Tout ça, c’est fini maintenant.
Et je ne souhaite pas quitter cet endroit même si on me proposait des millions de francs CFA’’, souligne celui qui fait partie de la première vague de patients à être internés au VRS de Djibélor.
La stigmatisation, le vieux Mamadou Coly en a vu de toutes les couleurs. Un jour, renseigne-t-il, ”quelqu’un m’a fait savoir que si je mourais il n’y aurait personne pour s’occuper de ma dépouille parce que j’étais malade de la lèpre”.
Agé aujourd’hui de 90 ans, Mamadou Coly se bat aux côtés des siens pour l’extension de leur village.
Un projet qui leur est si cher et freiné par un grand trou situé à l’extrême nord du village. Aujourd’hui, le vieil homme et tous les villageois veulent que ce site soit remblayé au grand bonheur des habitants et gage d’un développement endogène.
aps