LA RÉGULATION DOIT PRIMER SUR LA RÉPRESSION AU SEIN DU SYSTÈME SANITAIRE
Depuis l’affaire feu Sokhna Astou de Louga, notre système sanitaire est pris dans une spirale judiciaire, caractérisée par l’emprisonnement systématique des professionnels de la santé officiant dans les structures où ces tragédies ont eu lieu. Cette manière de procéder n’est qu’une des multiples conséquences d’une gouvernance autoritaire et de la judiciarisation de la vie publique de notre pays, accentuées depuis la seconde alternance de 2012.
Curieusement, pour une fois, le drame de Kédougou survenu au début de ce mois semble plus poser le problème de dysfonctionnement de la Justice -qui aura manqué de sérénité – que celui de notre système sanitaire, comme l’ont confirmé d’éminents spécialistes et les autorités du ministère en charge de la Santé.
De fait, c’est bien cette hantise de servir de bouclier aux puissants de l’heure, loin d’être irréprochables, de les protéger contre la clameur populaire, qui amène souvent certains « procureurs du Prince » à faire fausse route.
UNE JUSTICE DISCRIMINATOIRE
Depuis la survenue de la deuxième alternance en mars 2012, l’exacerbation de la nature hyper-présidentialiste de notre État se manifeste, entre autres, par l’instrumentalisation de notre système judiciaire, conduisant à des atteintes aux droits et libertés, qui même si elles concernent, au premier chef, hommes politiques et activistes, peuvent aussi atteindre n’importe quel citoyen, se trouvant au mauvais endroit, au mauvais moment.
S’agissant de la Santé, il s’agit le plus souvent de faire des professionnels du secteur, les boucs émissaires des errements des politiques publiques définies et coordonnées par l’Exécutif National, en l’absence de toute redevabilité et dans l’indifférence totale d’un pouvoir législatif pourtant chargé du contrôle de l’exécution des politiques publiques.
A contrario, les hommes du pouvoir (et dans une moindre mesure, les forces de défense et de sécurité, en cas de bavures), ont toujours bénéficié d’une impunité systématique, malgré les nombreux crimes et délits que leur reprochent le peuple et même parfois, les corps de contrôle de la République.
Tout cela montre, d’une part, la nature profondément discriminatoire de notre système judiciaire, si prompt à préserver les intérêts des hommes de pouvoir et des classes possédantes et d’autre part, sa philosophie fondamentalement répressive, pour laquelle, la détention est la règle et la liberté, l’exception.
UNE SANTÉ À DEUX VITESSES
Il est navrant de constater que seuls quelques dysfonctionnements du système sanitaire font l’objet de traitement disproportionné et parfois biaisé de la part d’une certaine presse friande de scoops et de buzz.
Pourtant, aussi douloureux que puissent être ces incidents malheureux, ils ne constituent que la face visible de l’iceberg, parmi les innombrables drames survenant dans les lieux de soins, liés davantage à des plateaux techniques incomplets et à une mauvaise organisation du système sanitaire, qu’à des facteurs humains.
L’opinion publique devrait davantage se préoccuper d’actes fort regrettables, posés, de manière unilatérale, par les pouvoirs publics dans le cadre de la politique nationale de santé. Si nous prenons l’exemple récent de la fermeture intempestive du plus grand hôpital national de notre pays, il serait très instructif d’investiguer le devenir de milliers de patients anonymes, souffrant d’affections chroniques pouvant, en l’absence de soins adéquats, voir leur pronostic vital mis en jeu.
Dans le même ordre d’idées, la pandémie de COVID-19 a mis en exergue les manquements du système de soins, avec insuffisance ou parfois même absence totale de respirateurs, de salles de réanimation, de médecins réanimateurs et même d’oxygène dans de nombreuses structures situées dans les régions et même, dans les grandes villes, dont la capitale, Dakar.
Cette même pandémie a également mis en évidence l’exigence accrue en matière de démocratie sanitaire justifiée par les inconvénients de l’approche directive en matière de santé, à l’origine d’un large mouvement de déni de la maladie et de défiance contre les mesures préventives préconisées, qu’il s’agisse d’interventions non pharmaceutiques ou de la vaccination anti-COVID, même celle des personnels soignants.
Cette fronde envers les potentats de la Santé mondiale, liés par des accointances plus que douteuses aux tenants de la philanthropie capitaliste, est à l’origine d’une suspicion croissante à l’égard des professionnels de la santé.
D’où la vanité des approches purement corporatistes et la nécessité de repenser, de concert avec toutes les composantes de la Nation, notre système sanitaire de fond en comble.
UN SYSTÈME SANITAIRE À REFONDER
Malgré les multiples contraintes pesant sur lui, liées à un sous-financement chronique, notre système sanitaire, devenu plus complexe, semble être confronté à une crise de croissance, liée à une inéquité territoriale manifeste, mais surtout à un hiatus flagrant entre demande et offre de soins.
Cette crise relève de plusieurs facteurs :
a) Le développement fulgurant du secteur privé de la santé laissé à lui-même, est de plus en plus mercantiliste, avec échange de mauvais procédés avec le secteur public,
b) Si l’implication accrue des communautés est positive et a contribué à une diversification des acteurs, la participation communautaire est caporalisée par les représentants locaux du pouvoir central (délégués de quartiers, chefs de villages…) et /ou parasitée par des logiques politiciennes,
c) Le transfert de la compétence Santé et action sociale souffre du manque de moyens caractéristique de notre processus de décentralisation et de l’absence d’ambition des gestionnaires de collectivités territoriales ayant, pour la plupart, de faibles capacités technico-administratives et réduites à un rôle de succursales des partis politiques dominants,
d) L’autonomie hospitalière est instrumentalisée par les élites politico-syndicales, au détriment des travailleurs et des usagers et est devenue synonyme
– de dérégulation tarifaire rendant l’accès aux soins difficile pour les couches modestes et
– de clientélisme, avec une mainmise de certains groupes sur la nomination de directeurs et le recrutement massif de personnels non qualifiés
Cet état de fait rend indispensable une régulation de la part des pouvoirs publics, dont on n’attend plus seulement la coercition et la contrainte, mais l’utilisation de méthodes normatives plus souples, afin de canaliser les comportements des différents acteurs, en vue d’atteindre un équilibre et de garantir le fonctionnement harmonieux du système sanitaire.
Il y a nécessité urgente de doter notre pays d’une véritable politique de santé, qui n’existe plus, depuis la Déclaration de la Politique de Santé et d’Action Sociale de juin 1989. La mise en œuvre de cette politique devrait se faire, de manière inclusive, grâce à la mise en place d’un Conseil National de Santé (qui a existé en 1983), dans lequel serait représentés les principaux acteurs du secteur de la Santé et de l’Action sociale. Il pourrait, entre autres, lors de convocations ponctuelles, formuler des avis ou propositions en vue d’améliorer le système de santé publique et élaborer chaque année un rapport sur le respect des droits des usagers du système de santé.
De plus, le Ministère de la Santé a forcément besoin d’une instance d’aide à la prise de décision sur la base de rapports et qui pourrait procéder au suivi annuel et à l’évaluation pluriannuelle de la politique sanitaire.
Malheureusement, dans un pays aux solides traditions hyper-présidentialistes et jacobines, la volonté proclamée de promotion de la dynamique communautaire, de responsabilisation des collectivités territoriales et d’autonomisation des établissements publics de santé se heurte à la toute-puissance du Parti-État, qui tient lieu de pouvoir exécutif.
C’est ce qui rend urgente l’instauration de la démocratie sanitaire, c’est-à-dire le dialogue et la concertation entre les administrations sanitaires, les professionnels de santé et les usagers, ce qui présuppose une exigence de redevabilité de la part de tous les acteurs.
Ce ne sont là que quelques pistes de réflexion pour remettre notre système sanitaire sur les rails et éviter ces pénibles moments, où toute une catégorie socio-professionnelle est vouée aux gémonies, alors que la conception et le pilotage des politiques publiques sont dévolues aux hommes politiques.
Dr Mohamed Lamine LY
Secrétaire Général de la COSAS
xibaaru
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