Samedi dernier, l’association Sénégal action féministe (Senaf) a organisé le vernissage de l’exposition «Voix du silence : traces et résonnances de l’avortement clandestin», à la Maison des cultures urbaines (Mcu) de Ouakam. Une exposition qui sensibilise sur les risques de l’avortement clandestin.Par Ousmane SOW –
L’association Sénégal action féministe (Senaf) marque sa présence dans le cadre du programme «Off » de la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar. Samedi 23 novembre à la Maison des cultures urbaines de Ouakam, l’association féministe dirigée par Wasso Tounkara a tenue le vernissage de son exposition «Voix du silence : traces et résonnances de l’avortement clandestin».
Une exposition motivée par la nécessité de briser le silence qui entoure l’avortement clandestin et de stimuler un dialogue ouvert et constructif à travers le prisme de l’art sur les dangers et les conséquences du non-accès à des services de santé sûrs et de qualité au Sénégal. Et le panel d’ouverture, qui a marqué le début du vernissage, a rassemblé des experts en santé publique, des juristes spécialisés dans les droits de la femme, des chercheurs, des élèves et des militants de premier plan, tous unis pour disséquer une réalité sordide.
On y apprend, avec une froideur statistique, qu’au Sénégal, l’avortement est non seulement interdit, mais qu’il alimente aussi des drames humains.
En 2012, 51 500 avortements clandestins étaient recensés dans le pays, et aujourd’hui encore, beaucoup trop de femmes finissent en prison pour infanticide ou meurent dans l’ombre, de pratiques risquées. «Il y a une étude qui a montré que beaucoup de femmes qui sont en prison sont incarcérées pour infanticide. Ce qui veut dire que même si c’est interdit, il y a celles qui prennent le risque de le pratiquer et qui mettent en danger leur santé, leur vie.
Et nous, vu que nous utilisons l’art et la création artistique pour parler des sujets jugés tabous, nous avons jugé nécessaire de sensibiliser sur cette pratique qui impacte la vie des femmes», déclare Wasso Tounkara.
Militante féministe et présidente de Senaf, elle précise que l’association, en s’inspirant du thème de la Biennale, «The Wake, L’Eveil, Le Sillage», entend éveiller les consciences sur cette question souvent reléguée au silence avec des conséquences dramatiques. «Nous sommes une association qui utilise l’art et la créativité. Et qui parle de biennale, parle d’un grand rendez-vous national, régional et international.
Alors, nous nous sommes dit pourquoi ne pas profiter de cet espace-là pour amplifier nos voix et permettre à beaucoup plus de personnes d’avoir accès à ces informations qui tournent autour des risques», dit-elle.
Et pour ce faire, Senaf a opté de remplacer les discours austères par des œuvres qui résonnent. Trois artistes, une danseuse, une Dj et une slameuse ont sublimé les récits poignants en performances vibrantes. Résultat ? Une restitution artistique qui a pris aux tripes, entre storytelling, installations immersives, Djing et danse.
Les élèves, nombreux dans la salle, ne sont pas restés de marbre. Leur regard oscillait entre fascination et réflexion, preuve que l’art peut émouvoir tout en éduquant.
«Quand on reste dans la réalité, par la force, on va choquer.
Et quand on choque, on peut aussi interpeller les gens à réfléchir sur le pourquoi et d’aller au-delà… Et pour accompagner, on a essayé de représenter le triangle du feu qui est d’ailleurs l’exposition qui va rester», a-t-elle fait savoir.
L’Etat invité a autorisé l’avortement médicalisé
En s’inscrivant dans le cadre du programme «Off» de la Biennale, l’exposition se voulait un miroir tendu vers la société sénégalaise. Dr Ndèye Khady Babou, militante féministe et médecin en santé publique, a donné un coup de pied bien placé dans la fourmilière et invite également l’Etat du Sénégal à respecter le Protocole de Maputo.
«On est venue participer à ce panel Voix du silence qui est organisé dans le cadre du programme Off de la biennale et justement pour porter le plaidoyer sur le Protocole de Maputo, pour sa mise en application et sauver des vies de femmes et des jeunes Sénégalaises.
Qu’est-ce qu’on attend aujourd’hui pour sa mise en application ?», interroge-t-elle.
Coordinatrice du Réseau des féministes du Sénégal, Dr Ndèye Khady Babou rappelle que la législation sénégalaise considère l’avortement provoqué comme une infraction, alors que l’article 14 du Protocole de Maputo, ratifié par Dakar, oblige les Etats-parties à donner accès à l’avortement médicalisé aux femmes et aux filles enceintes suite à un inceste, un viol ou toute autre forme d’agression sexuelle ou lorsque la santé mentale ou physique de la femme ou de la fille enceinte est en danger, ou encore lorsqu’il y a risque sur la vie de la femme, de la fille enceinte ou du fœtus.
«Aujourd’hui, les chiffres sont alarmants et les avortements clandestins font des complications horribles au sein de la population, notamment des femmes qui perdent leur vie ou qui survivent avec des complications majeures. Oui pour l’avortement médicalisé. C’est ce que nous dit le Protocole de Maputo», a-t-elle indiqué.
Lequotidien