Vers la fin du mois de juillet dernier, des internautes se sont plaints sur Twitter d’avoir des fièvres, de la toux… après avoir été à la corniche des almadies.
Ya des gens qui étaient a la corniche des almadies près du cabanon/cop 21 et qui depuis hier ne font que tousser ? C’est mon cas ainsi que celui de 2 autres personnes que je ne connais même pas c’est bizarre.
La rumeur est vite partie qu’une algue toxique serait à l’origine. Dakaractu, un site d’informations générales, a indiqué, dans un article du 23 juillet 2023, que “c’est un phénomène cyclique qui serait dans une phase d’affecter des personnes qui, en cette période caniculaire, se retrouvent à la plage. Ces algues toxiques qui seraient de la famille des Ostreopsis très fréquentes à la plage de la pointe des Almadies qui refusent du monde en ces périodes, seraient à l’origine d’effets toxiques qui affecteraient la santé humaine”. Le site n’a cité aucune source.
Nous avons contacté le journaliste qui a rédigé l’article. Il nous a confié avoir “glané les informations sur Twitter en suivant des explications d’experts sur la toile”.
Sur le même sujet, RFI en a consacré un article le 26 juillet avec plus de précision en citant une source scientifique. C’est le chercheur Patrice Brehmer qui donne la cause de cette mystérieuse grippe: “une forte concentration – ou « bloom » – de micro algues marines toxiques. Un phénomène récurrent sur le littoral de la capitale”, dit-il à Charlotte Idrac, journaliste éditrice de l’article. D’ailleurs, le titre de l’article est :[Sénégal: les microalgues toxiques font leur retour sur le littoral de Dakar].
Le “bloom”, facteur déclencheur
Le titre de l’article de notre consœur émet déjà les prémices d’un phénomène pas du tout nouveau.
Effectivement, affirme Patrice Brehmer qui assume l’entière responsabilité du contenu scientifique décrit par RFI. “Les bloom de micro algues appelées efflorescences sont des micro organismes phytoplanctoniques de manière générale. C’est un peu comme l’herbe de la mer”, entame-t-il.
“De temps en temps, quand les conditions environnementales se rejoignent toutes et qu’il n’y a pas de prédateurs pour limiter la population. Elle va exploser car se reproduisant de manière exponentielle. Elle va saturer le milieu et c’est ça le bloom”, explicite-t-il.
Selon lui, les micro algues ont besoin de macro nutriments. Si elles en consomment beaucoup sans compétiteurs (que d’autres espèces ne s’alimentent pas sur les mêmes choses) et qu’il n’y a pas de prédateurs qui vont réguler les populations de micro algues, le bloom se crée.
Cette micro algue, désigne-t-il, a besoin d’une température relativement chaude avoisinant les 24 degrés. “Ce n’est pas un phénomène spécifique au Sénégal. Il est observé dans toute la Méditerranée, en Thaïlande. Donc, il y a une riche littérature sur ce phénomène”, dit-il.
Par contre, il a recadré le sujet: “le bloom n’amène pas la toxine, c’est la micro algue qui produit la toxine si on en a peu, il y aura moins de toxine. La présence de cette micro algue ne veut pas dire qu’il y a un relargage de biotoxine, il lui faut des conditions particulières pour qu’elle relargue. Et parmi ces conditions, il y a le bloom. Quand les densités sont faibles, elle en relargue peu ou pas du tout. Mais en forte abondance, on va ressentir les symptômes”.
Dr Mamadou Abibou Diagne, expert en biotoxine marine, note que les biotoxines aquatiques plus particulièrement marines sont produites à partir d’un mécanisme de synthèse qui implique soit les phytoplanctons, soit en association avec des micro organismes comme certaines bactéries.
Phénomène cyclique
Patrice Brehmer est d’avis que la périodicité est extrêmement bien réglée et le déterminisme est climatique. “ça revient depuis 15 ans à la même période, en début d’hivernage. Il n’y a pas de corrélation avec les pluies par contre. Il faut que l’eau soit réchauffée. Dès qu’on passe les 25 degrés, on est dans les conditions thermiques pour que cette micro algue se développe”, .
“Sur le fond, elle est légère, il ne faut pas qu’il y ait des vagues ou trop de vents. Du coup, sans courant elle se tapis dans le fond. Ainsi le phénomène se déclenche. A un moment donné, les vagues arrivent et remettent en suspension tout ça. C’est là que se crée le problème sanitaire”, détaille le chercheur.
Lien avec la pollution marine ?
Patrice Brehmer affirme que la pollution marine est un paramètre aggravant mais elle n’en est pas la cause. “L’implantation de la micro algue est ramenée par les cuves du bateau. C’est la raison la plus logique. Souvent les cuves se remplissent d’eau pour être stable. En le faisant, ils prennent des algues et au moment de relâcher cette eau; ils peuvent relâcher cette micro algue qui s’installe sur les côtes”, argue Brehmer.
“Lorsque les surfeurs nous ont interpellé, les premières observations ont été faites sur la baie des carpes, la petite baie située à la sortie du canal de drainage d’eaux fluviales à Ngor. Il n’est pas possible que ces eaux usées aient amené cette micro algue, mais cela a certes créé des conditions favorables à son implantation”, affirme le chercheur.
Son argumentaire scientifique est tiré de la note politique effectuée sur la période d’une année, en 2021 plus précisément.
Le chercheur en aquaculture définit que le problème était sporadique mais avec les conditions favorables dont la pollution, il est très fréquent dans des endroits les plus pollués.
“Il vient au niveau de la plage car il y a plus de nourriture comme de l’azote, et le phosphore rejetés par les eaux usées qui donnent les éléments favorables”.
Il préconise un traitement des eaux usées avant qu’elles ne soient déversées directement en mer en réduisant leur charge de tout polluant.
Une biotoxine, responsable de la grippe
Docteur Waly Ndiaye, chercheur halieutique spécialisé en aquaculture qui a participé aux recherches sur ce phénomène témoigne que l’approche était plutôt volontariste.
Ainsi, ils se sont rendus compte que cette micro algue n’était pas répertoriée au niveau des eaux sénégalaises.
“Nous, l’IRD et le CRODT, avec des collègues français et allemands, avons identifié l’espèce génétiquement et par conséquent, on a assigné l’agent responsable de ces symptômes de grippe. Il s’agit d’une biotoxine palytoxine plus précisément d’une ovatoxine.
Sur quel type d’ovatoxine, on n’a pas poussé la recherche car ça nécessite beaucoup de moyens”, explicite le spécialiste.
La micro algue s’appelle ostrepsis ovata. Ils ont commencé par identifier les aspects morphologiques à travers les informations sur la taille et la longueur puis à partir de là, ils se sont orientés vers un groupe d’espèces. Les éléments génétiques retrouvés dans l’échantillon ont permis de déterminer le type d’algue en question. Elle est retrouvée dans presque toute la presqu’île.
Cette biotoxine est, selon Waly Ndiaye, responsable de la grippe. “La toxine a un effet sur les battements de cœur. Elle produit des symptômes de type céphalées, maux de gorge, et grippe”.
Patrice Brehmer qualifie la grippe de bénigne.
« Les biotoxines marines présentent un risque sanitaire »
Le spécialiste en biotoxines marine Dr Mamadou Diagne explique que « quelle que soit leur origine, les biotoxines, une fois présentes dans les écosystèmes, le risque sanitaire devient inquiétant car elles sont très souvent de nature mortelle à la suite d’une contamination par diverses voies. Le diagnostic est souvent délicat et pas évident du fait d’un tableau clinique multiforme et une symptomatologie instable et plurielle ».
Mais, à la suite d’une contamination, si la déclaration est précoce et les spécialistes très tôt saisis, on peut réduire les marges d’erreur pour l’isolement et l’identification des substances en question.
« Pour le cas des événements sanitaires récents, certains spécialistes ont fait des investigations pour incriminer la palytoxine par rapport à une démarche basée sur les connaissances bibliographiques sur les micro algues répertoriées dans la flore corallienne du Sénégal et les symptômes observés sur les personnes supposées contaminées présentant des gènes respirataoires et des désagréments cutanés », note le spécialiste.
Il ajoute qu’il faut toujours, dans le cas des biotoxines surtout marines, que le recours à la méthode biochimique pour confirmer le diagnostic est recommandé.
Conclusion
D’après nos recherches et l’intervention des experts, une algue libérant une toxine est bien responsable des difficultés respiratoires notées au niveau des personnes ayant fréquenté la corniche de Dakar au mois de juillet dernier. Cette micro s’appelle ostrepsis ovata et la biotoxine responsable du problème sanitaire est une ovatoxine. Les recherches ont été arrêtées là pour l’instant en attendant de mobiliser de ressources supplémentaires.
Il faut noter que cette microalgue n’était pas répertoriée dans les côtes sénégalaises. Néanmoins, il faut un recours à la méthode biochimique pour confirmer le diagnostic.
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