Le porte-parole du gouvernement sénégalais, Moustapha Njekk Sarré, vient de laisser à la postérité une des déclarations les plus ignobles et infâmantes de l’histoire politique de ce pays. Il aura suffi de quelques mots, prononcés lors d’une rencontre avec des jeunes militants de son parti, pour faire un mal dont on ne saurait mesurer l’impact sur la famille éplorée, leurs proches et amis.
Revenant sur les circonstances du décès de l’ancien ministre des Finances, M. Sarré dira, sans gêne et dans une désinvolture sidérante, que Moustapha Ba a été tué en France et cela, «dans des conditions troubles». L’insulte et l’irrévérence au disparu sont davantage plus choquantes qu’il lui prête des mots à la bouche.
Moustapha Ba aurait révélé au duo présidentiel que les chiffres de nos finances publiques «n’étaient pas exacts».
En cavalier du pire, il demandera à ce qu’on élucide les circonstances de la mort de Moustapha Ba, après que le procureur de la République a autorisé l’inhumation du défunt suite aux rumeurs des plus folles.
On peut se demander pour quelle raison un porte-parole du gouvernement peut balancer un propos aussi insensible et irresponsable à une audience, la semaine même où une délégation du Fonds monétaire international (Fmi) rencontre les autorités sénégalaises pour s’enquérir de tout ce qui est dit sur nos finances publiques et la falsification supposée de chiffres.
D’aucuns pourraient se dire que les écarts, dérapages et incartades sont nombreux avec le nouveau pouvoir sénégalais.
Le Sénégal paie encore les conséquences de la sortie du chef du gouvernement sur les «chiffres maquillés» de notre économie, avec la chute de nos diverses notations et un effritement des obligations marquées «Sénégal». Le ministre de l’Environnement, Daouda Ngom, avait juste après sa nomination, balancé un obus au Maroc, en disant que Macky Sall a fait pire que le souverain du royaume chérifien.
La ministre de la Femme, Maïmouna Dièye, signera un chèque en blanc d’insolence et d’impunité au profit de son collègue Abass Fall dans la polémique qui découlera d’un marché de l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (Aser).
A ce fameux «Ya Téy», les sorties violentes et peu nécessaires du directeur du Port de Dakar, Waly Diouf Bodian, s’ajoutent à un tableau peu reluisant de sorties de piste qui décrédibilisent toute une gouvernance et surtout envoient de mauvais signaux à toute la communauté nationale. Une des promesses de Pastef dans sa jeune existence a été de proposer de faire de la politique autrement.
Ce vœu se révèle, au vu de leur pratique actuelle du pouvoir et du jeu politique, un parfait leurre.
Cette situation est d’autant plus alarmante et regrettable que ceux qui agissent et parlent en notre nom à tous, par leurs maladresses, excès de zèle et logiques belliqueuses mal pensées, ruinent à chaque intervention l’image du pays.
Tout citoyen est en droit d’exiger pour son pays, une représentation des plus commodes et policées de la part de ceux qui incarnent les charges publiques.
Voir un parler gras et maladroit, des discours conspirationnistes et une négation des fondements de notre Etat être portés par des gens qui sont supposés montrer la meilleure image du Sénégal, impulser un développement et se faire les promoteurs de progrès socio-économique, a de quoi fendre le cœur. La grossièreté du propos du ministre Sarré devrait appeler à une présentation d’excuses publiques à la famille éplorée avant toute chose.
Ce sont des gens dans le deuil à qui on rajoute des peines indescriptibles et du tourment.
C’est également la mémoire d’un digne fils du Sénégal que l’on salit, même après son repos éternel. De la Justice, ce propos doit pousser à une communication claire de la part des services compétents pour lever tout voile sur le décès de Moustapha Ba et couper court à toutes les rumeurs des plus indignes collées à sa tragique disparition.
La fâcheuse conséquence de toutes ces sorties maladroites et cette logique va-t-en-guerre portée par nos hautes autorités est la détérioration de l’image et de l’aura de notre pays avant tout auprès des citoyens que nous sommes.
La parole d’Etat est ainsi fragilisée et l’arène politique relègue le débat d’idées pour des querelles de gladiateurs aux arguments loufoques.
Le Sénégal, pour tout ce qu’il a eu à représenter, ne mérite guère ce nivellement par le bas. C’est un pays d’idées et un pays de débats dans l’ouverture, la tolérance et le partage dont nous avons hérité. Il est inacceptable que le climat politique y soit si nauséabond que tout acteur ne pourrait souhaiter à ses contradicteurs et opposants de seul bien que la mort. Quel naufrage !
Jour après jour, un idéal du Sénégal se perd et l’atteinte d’un point de non-retour, où les clivages seront plus prégnants que toutes les passerelles de communion, est à craindre. Il va de soi que redresser cette dynamique est un effort qui sera demandé à tous. L’exemple venant toujours d’en haut, il est temps de faire comprendre à ceux qui nous servent d’autorités qu’il leur faut mettre beaucoup d’eau dans leur bissap, faire preuve d’humilité, de conciliation et de réserve.
Il leur est aussi obligatoire de se départir du manteau de justicier, tout en s’éloignant des élucubrations de militants avides d’une revanche sociale et d’une spirale de règlements de comptes dont le pays pâtira énormément. Sans ce changement de paradigme, il sera triste pour nous tous d’être aux premières loges pour constater la chute d’une Nation que de sérieux sacrifices ont aidé à bâtir.
Pour les générations de Sénégalaises et Sénégalais à venir, nous devons être acteurs et comptables de l’excellence qui fait et a toujours fait le Sénégal.
Se repentir est preuve de grandeur, de lucidité et de maturité. Le ministre Sarré, par une contrition sincère, peut absoudre une dynamique malheureuse de tout un régime et surtout apporter un souffle nouveau sur la représentation et l’honorabilité qui sont attendues d’autorités de son rang.
Ce n’est pas trop demander pour quelqu’un qui dit vouloir bâtir un «Sénégal nouveau, sur la base de la vérité, de la rigueur et du développement pour tous».
lequotidien