Depuis Nicolas Sarkozy aucun homme politique français n’avait accumulé autant de prétentions, de contre-vérités historiques, et même à proprement parler de mensonges si l’on en croit certains, et tout cela en un seul discours, avec cette différence que Sarkozy avait pris une heure pour les exposer alors que Emmanuel Macron n’a eu besoin que de cinq minutes pour détricoter les fondements des relations qui lient la France à ce qu’on appelait « les pays du champ » !
Il est paradoxal qu’un homme qui ne cesse de nous répéter qu’il est le premier chef d’Etat français né après la décolonisation, cultive aussi souvent les pires poncifs des chantres de la colonisation, joue à la politique de l’autruche et se targue d’illusions.
Le président Macron reproche à ses homologues africains, tous confondus dans le même sac, et indirectement à leurs peuples, d’avoir fait preuve vis-à-vis de la France, d’impolitesse, de démagogie et d’ingratitude. Pour commencer, dit-il, ils ne lui ont pas dit « merci », et en cela il se trompe car ils ont bien dit « merci », mais tout simplement pas de la manière dont lui, le souhaitait.
A Bamako, à Niamey, à Ouagadougou, à Dakar, à N’Djamena et à même à Abidjan des gouvernants, qui sont loin d’avoir la même conception des relations franco africaines, ont écouté leurs peuples et lui ont dit ceci : « Merci, mais nous ne reprenons plus de la présence militaire française sur notre sol ! »
C’est un peu comme si vous disiez à votre hôte qui vous pousse à continuer à déguster le plat qu’il vous a servi mais dont vous vous êtes suffisamment gavé : « merci je n’en reprendrais plus. »
En toute logique le président français devrait se réjouir que les pays africains décident de se passer de l’armée française, car outre « l’économie d’échelle » qu’il devrait tirer de ce retrait, cela devrait être la preuve que sa mission est remplie. Le propre d’une bonne assistance entre deux Etats n’est-il pas que le pays assisté se libère de l’assistance du pays aidant, et décide de se prendre en charge ?
Quant aux accusations citées plus haut, ce cadre est trop étroit pour en découdre et je me contenterai de quelques repères.
Impolis nos chefs d’états ? Y a-t-il plus impoli qu’un chef d’Etat en visite officielle en Afrique qui, devant les dirigeants politiques et l’élite scientifique du pays qui le reçoit en grande pompe et dans l’amphithéâtre d’une université qui porte le nom de Cheikh Anta Diop, proclame solennellement que l’Afrique n’a pas d’histoire ?
Y a-t-il plus irrespectueux que cet autre chef d’Etat qui tourne en ridicule le chef du pays africain dont il est l’hôte, prend en témoin les centaines de jeunes qui l’écoutent pour traiter leur président de vulgaire frigoriste obligé de pallier aux carences de son administration ?
Si Emmanuel Macron veut fustiger l’impolitesse chez ses homologues alors sa cible naturelle devrait être Donald Trump qui a souvent glosé sur son penchant à jouer à la grenouille qui se prend pour un bœuf.
Mais comme le dit un proverbe pulaar « le fou, si fou soit-il, connait la maison où il y a un chien méchant » !
La France nous a-t-elle sauvés ? C’est un des thèmes préférés de Macron qui l’a encore répété aux Mahorais, pourtant des citoyens français en assenant aux sinistrés de l’ile qu’ils seraient encore plus « dans la m… », si la France n’était pas venue à leur secours.
Je me contenterai de rappeler que l’explosion des mouvements djihadistes est la conséquence directe de la désagrégation de la Lybie dont la France a été l’un des maitres d’œuvre, que le stationnement de 5000 soldats, non combattants, sur un espace vaste comme la moitié de l’Union Européenne est bien dérisoire, que la présence des forces françaises n’a pas mis fin aux attentats et aux enlèvements et a paru bien équivoque, puisqu’il a fallu leur retrait, pour que Kidal, qu’on disait imprenable, se retrouve sous l’administration du gouvernement malien et qu’enfin la mémoire africaine a surtout retenu les interventions de l’armée française pour empêcher ou faciliter des coups d’état, bombarder les avions ivoiriens ou extraire Gbagbo et sa femme du palais présidentiel.
Quant à l’ingratitude, et quelques semaines après la commémoration du massacre de Thiaroye dont seulement six victimes ont mérité le titre de « morts pour la France », je me contenterai de relater un incident relativement peu connu de l’histoire coloniale française.
Vers la fin du XIXe siècle alors que le partage de l’Afrique est achevé, chaque puissance coloniale cherche à grappiller un bout de territoire ou à rendre son domaine plus cohérent. Le rêve de la France c’est d’étendre le sien de Dakar à la Mer Rouge tandis que l’Angleterre qui a fait main basse sur l’Egypte, se proposait de construire une ligne de chemin de fer allant du Caire au Cap. Le choc des ambitions était inévitable.
Il eut lieu le 19 septembre 1898, quand le Général Kitchener, représentant britannique, trouva que le capitaine Marchand, envoyé de la France, avait hissé le drapeau de son pays à Fachoda, à 650 km de Khartoum, qu’il avait rebaptisé Fort Saint-Louis.
Il avait mis des mois pour traverser la cuvette congolaise et pour pouvoir franchir la région marécageuse du Bahr el Ghazal, il avait fait démonter deux bateaux à vapeur, pièces par pièces, qu’il avait fait transporter à dos (oui à dos) par des milliers de porteurs razziés dans les villages et sans salaire !
Peine perdue Kitchener le somma d’évacuer les lieux en lui faisant savoir qu’il n’y aurait ni négociation ni compromis, ce à quoi il aurait répondu « nous nous ferons tuer » plutôt. La réalité c’était qu’il était prêt à sacrifier la vie des 150 Tirailleurs Sénégalais qui constituaient l’essentiel de sa garnison qui ne comptait… qu’une dizaine d’officiers et sous-officiers blancs.
Les Tirailleurs furent sauvés parce que le gouvernement français préféra céder, comme souvent face aux Anglais. Marchand retourna en France en héros national, acclamé par des foules de Français humiliés et farouchement anglophobe.
Et les Tirailleurs ? Ils étaient restés trois ans sans percevoir leurs salaires (cela ne vous rappelle rien ?) pourtant bien dérisoires (240 F par an contre 1500 pour Marchand !) et ne purent rentrer dans leurs droits qu’après avoir déclenché des rixes dans leurs cantonnements. Bien entendu aucun d’entre eux (pas plus que les porteurs de bateaux) n’a survécu à l’histoire, ni à son droit. L’ingratitude alors qu’est-ce c’est ?
Le président français, qui est en vacances de pouvoir, a-t-il voulu donner des cours de géopolitique à un auditoire passif d’ambassadeurs, mais ceux-ci devront fournir des explications quand ils rejoindront leurs postes. A-t-il voulu pousser les Africains à la riposte et dans ce cas, il est servi et il n’est pas exclu que les plus autorisés d’entre les protestataires en tireront la leçon en ne se présentant pas au sommet France-Afrique qu’il a « convoqué » à Nairobi (?).
A moins qu’englué dans des difficultés internes nées d’une décision jupitérienne dont il a du mal à reconnaitre les effets pervers, il ait cherché à offrir les Africains en agneaux de sacrifice à la partie la plus avide de chauvinisme de son opinion en faisant l’éloge d’une France généreuse, forte et magnanime.
Mais comme le dit encore un proverbe pulaar « un homme atteint d’ éléphantiasis peut tourner en rond autant de fois qu’il veut, ce n’est pas cela qui le guérira de son mal » !
sudquotidien