La recherche a son temps, et les données qui alimentent un ouvrage peuvent se collecter sur plus d’une décennie. Plus d’une décennie après leurs débuts, Abdou Ndukur Kacc Ndao et Matar Ndour sortent leur ouvrage. «From Tenda to Ajamat» parle initiations et systèmes initiatiques.
La langue est primordiale pour comprendre le corps social et les hommes sur lesquels on fait son étude. La langue, les signes et symboles qu’elle véhicule, mais pas forcément sa maîtrise. La langue à moins d’importance : le plus important est la présence permanente dans l’environnement d’étude.
Deux positions, deux enseignants, une salle de l’université, devant professeurs et autres invités.
Ce qu’il y a de plus normal comme ambiance, dans un temple du savoir. La petite discussion s’articule autour d’un livre qui a pris quinze ans pour se faire. Quinze ans d’anthropologie et quinze ans de photographie. Plus d’une décennie de collaboration. Et voilà Abdou Ndukur Kacc Ndao et Matar Ndour, présentant From Tenda to Ajamat. Dakar, le 20 février 2024.
Laboratoire de recherches sur les transformations sociales (Lartes). Le chercheur Abdou N. K. Ndao et son ami photographe ont ratissé large.
Ainsi que présenté par le premier cité, leur ouvrage «parle d’un itinéraire qui, au début, partait de ce qu’on appelle les Tenda, c’est-à-dire les peuples au Sud-est du pays, notamment les Bédiks, les Bassaris, les Coniaguis et les Badiarankés, pour déboucher vers la Basse-Casamance qu’on appelle les Ajamat, qui est une sorte d’unité culturelle on va dire des Diolas qui sont en Basse-Casamance, des Diolas qui sont au Sud de la Gambie et des Diolas qui sont au Nord-ouest de la Guinée-Bissau».
Peulhs, Sérères, Manjaks, Mancagnes et Pépels, Baïnouks aussi ont été pris en charge. Le livre n’a pour autant pas ratissé large pour parler de tout : «C’est en fait plusieurs groupes ethniques qui sont étudiés (…) sous le rapport strict des initiations et des systèmes initiatiques.» Et la production de Ndao et Ndour est en ce sens «une sorte de valorisation des expressions culturelles initiatiques sur le Sénégal, la Guinée-Bissau et la Gambie».
Quinze bonnes années, beaucoup de temps alors et, surtout, beaucoup de précautions.
Avec une précaution majeure : le danger de l’anthropologie étant de tomber dans le piège de la généralisation, From Tenda to Ajamat s’est fait loin de ce gouffre. Pour illustrer, un de ces nombreux détails que M. Ndao distille çà et là. Le détail : «Si vous prenez juste la Basse-Casamance, il y a 502 villages.
Sur les 502 villages, il y a autant de typologies que de villages, y compris sur les processus et les procédures initiatiques.»
Ainsi, le bukut, qui pourrait être perçu du dehors comme un phénomène «général et monolithique», apparaît de l’intérieur comme un univers aussi complexe que varié.
_Entre l’humain,
_l’animal et
_l’environnement
_et anti-exotisme
Pour le chercheur Abdou N. K. Ndao, faire cet ouvrage a aussi été l’occasion de renouveler une approche scientifique.
«On ne veut plus faire comme faisait l’anthropologie coloniale», dit-il. Et d’expliquer : «C’est-à-dire une anthropologie qui était basée sur un type de récit épistémologique, voire épistémique pour l’intérêt de la métropole.» Car, finit-il d’argumenter, «ce que nous voulons, c’est montrer la diversité des expressions culturelles».
L’ouvrage est ainsi une fresque culturelle. Et qui n’a pas que des lignes pour transcrire les réalités rencontrées sur le terrain.
Avec le pinceau de son appareil photo, Matar Ndour a immortalisé en images ce qui a été gravé en idées. A l’image de Ndao, Ndour, dans son travail sur l’image, se démarque de cette posture coloniale qui débouche sur «l’exotisme» et «la carte postale». Le professionnel de l’image souligne ainsi que souvent, on fait «exprès de photographier les gens dans des angles qui donnent une autre lecture de leur personnalité, de leur culture».
Et, continue-t-il, «je me suis refusé ces deux extrêmes», avant d’expliquer que les lectures faites sur des photos ne sont les mêmes, selon qu’elles sont prises, par exemple, en plongée ou en contre-plongée.
«Lectures», a-t-il préféré utiliser parce que, précisément, pour lui, la photographie est de l’écriture. «Dans ce livre, je n’ai pas fait d’illustrations, mais j’ai fait une écriture photographique pour permettre aux profanes et à tout un chacun de pouvoir se retrouver.» «La dimension esthétique seulement» des images ne suffisant pas, M. Ndao a fait le pari de la bonne photo au détriment de la belle photo.
La bonne, qui est le résultat d’une écriture qui replace les peuples dans la dignité de leur identité et la beauté de leurs spécificités culturelles.
Loin, alors, du prisme de la photographie pleine d’idéologie et qui peignait plus des «barbares» que des individus en symbiose avec leur environnement et attachés à leurs rituels. Feuilletant l’ouvrage-itinéraire, on tombe sur des «écritures» photographiques qui se situent entre l’humain, l’animal et l’environnement.
Et c’est bien cela : le produit à la confection duquel Matar Ndour a participé est, explique ce dernier, un dialogue de ces trois éléments et qui enfante d’une spiritualité qui transparaît chez les peuples étudiés.
lequotidien