Au Sénégal, il est difficile de parler d’une rentrée littéraire. Un environnement assez peu organisé et l’absence d’un véritable marché autour du livre sont avancés comme explications.

En cette période de l’année, la France a les yeux rivés sur ses librairies. La rentrée littéraire étant un moment très attendu, le milieu des lettres entre en effervescence. Quels auteurs paraîtront ? Quels livres seront les plus vendus ? Lesquels auront les faveurs du public et ou des jurys littéraires ? Des questions qui accompagnent chaque année ce moment particulier de la vie littéraire du pays de Marianne. Les éditeurs s’affairent à organiser le meilleur départ possible pour leurs auteurs et les librairies réorganisent leurs étals.

L’effervescence est perceptible dans tous les médias et on attend avec impatience la nouvelle cuvée. Au Sénégal, force est de constater que tout au long de l’année, le milieu littéraire n’arrive que rarement à se mettre en effervescence. Les raisons sont à chercher dans un monde de l’édition et du livre assez peu organisé. «Au Séné­gal, le niveau d’organisation, l’absence d’un vrai marché, du reste concentré à Dakar, et encore !, d’un bon circuit de diffusion, font qu’on en est encore loin», explique le journaliste culturel Aboubacar Demba Cissokho. Une rentrée littéraire est, dit-il, «une expression, un mot générique qui désigne une séquence de temps essentiellement commerciale, qui concentre un important nombre de publications/parutions de nouveaux livres, tous genres confondus».

A l’origine, on parlait plutôt de rentrée théâtrale à la fin du 19e siècle. Et c’est en 1874 que le poète et critique d’art français, Stéphane Mallarmé, en parle pour désigner au sens large, la rentrée culturelle. En effet, au mois de septembre, de nouvelles pièces faisaient leur apparition sur les planches. Mais l’apparition des récompenses littéraires, comme le célèbre Goncourt en 1903, contribue à structurer le phénomène. Et les éditeurs comprennent peu à peu que les désignations de prix stimulent les ventes de livres. Ils en publient donc davantage en septembre et la notion de «rentrée littéraire» s’impose naturellement dans la presse. Le terme se fige en 1975 grâce à Apostrophes, le magazine littéraire de Bernard Pivot, explique Michel Dufranne, un critique littéraire belge.

En Afrique, au Mali voisin, une rentrée littéraire officielle est organisée depuis plus d’une dizaine d’années. Mais il faut souligner tout de même que la rentée malienne se rapproche plus du Salon national du livre du Sénégal puisqu’elle s’étale sur plusieurs jours, plusieurs lieux, et s’achève par une remise de prix.

Une rentrée aux objectifs commerciaux
Au Sénégal, on enregistre beaucoup de sorties chaque année, mais voilà, le niveau d’organisation du milieu littéraire ne permet pas encore de tenir un tel évènement. «Cela suppose une organisation et une entente implicite des maisons d’édition qui savent que le public attend cette période, et font donc paraître les livres à cette période-là», indique M. Cissokho. La rentrée littéraire a des objectifs clairement commerciaux. Il s’agit en effet de vendre et d’assurer la meilleure promotion possible aux nouvelles parutions. Et les médias et les critiques littéraires y jouent un grand rôle. D’ailleurs, en France, la chronologie est bien ficelée. «Il y a la rentrée d’octobre-novembre, réservée aux jeunes écrivains, et celle de janvier, réservée aux écrivains confirmés», note Abdou­rahmane Mbengue, journaliste et critique littéraire.

Cette chronologie s’explique, selon Mi­chel Dufranne, parce qu’«aujourd’hui, la survie d’un bouquin en librairie, c’est trois semaines». «Grâce à ce phénomène artificiel où la presse, les libraires, les critiques en parlent, vous tenez vos livres jusqu’aux prix, vous les faites survivre, et puis comme les prix arrivent, cela continue à créer une forme d’actualité et cela tient jusqu’à Noël», poursuit-il. On le voit donc, il s’agit d’opérations commerciales bien pensées. Mais il n’empêche qu’autant les lecteurs que les libraires et les éditeurs peuvent en tirer profit. Aussi, souligne Abdourahmane Mbengue, au Sénégal, «si tous les activistes du livre s’organisent et réunissent leur forces, ils peuvent créer cet engouement et provoquer une rentrée littéraire». Il y a une dizaine d’années, une maison d’édition avait tenté l’aventure. Mais elle ne fera pas long feu face aux réactions négatives de certains acteurs de l’écosystème du livre.
lequotidien

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