L’intelligence artificielle (IA) transforme le monde à une vitesse fulgurante. En parallèle, des réglementations émergent pour encadrer cette technologie. Dans ce contexte, le Sénégal, au sein de l’ensemble africain, se trouve en pleine phase de gestation d’un cadre éthique adapté.
Alors que le sommet sur l’Intelligence artificielle se tiendra à Paris les 10 et 11 février, réunissant une centaine de chefs d’État et de figures majeures de la tech, l’Europe a déjà pris une longueur d’avance dans la réglementation de l’IA. Depuis le 2 février 2025, l’IA Act est entrée en vigueur en Europe.
Cette réglementation vise à trouver un équilibre délicat : limiter les abus et dérives de l’IA tout en stimulant l’innovation.
Ce premier volet, destiné aux entreprises européennes, interdit certaines pratiques jugées dangereuses ou contraires aux droits fondamentaux, comme/
_l’analyse comportementale pour restreindre l’accès à des services,
_la reconnaissance faciale dans les espaces publics,
_ou encore le fichage basé sur des critères comme l’origine ethnique,
_la religion,
_l’orientation sexuelle ou les opinions politiques.
Ces mesures illustrent l’urgence d’un cadre réglementaire, à une époque où l’intelligence artificielle, notamment générative, devient un levier de pouvoir pour les grandes puissances. Face à la domination des géants chinois et américains, une question s’impose : quelle stratégie pour le Sénégal et l’Afrique ?
IA et géopolitique
Aux États-Unis, l’intelligence artificielle est utilisée par des organismes comme la CIA pour des missions stratégiques, notamment le profilage de dirigeants mondiaux. En exploitant des masses de données (déclarations publiques, statistiques, biographies, télégrammes diplomatiques, etc.), l’IA peut reconstituer les modes de pensée de personnalités clés et prédire leurs décisions.
Ces usages, illustrés par des « jumeaux numériques », montrent le potentiel immense mais aussi les risques inhérents à l’IA.
Les défis du Sénégal dans un contexte mondial
Pour le Sénégal, l’IA reste un domaine en plein essor. Selon Emmanuel Diokh, juriste spécialisé dans le numérique, une double approche est nécessaire : « encourager l’innovation en stimulant la recherche, en développant les compétences locales et en promouvant l’usage de l’IA pour le développement socio-économique. »
Le Sénégal s’est également doté d’une « Stratégie nationale et feuille de route sur l’Intelligence artificielle (IA) ».
Parmi ses objectifs figurent une utilisation éthique et responsable de l’IA, la protection des données personnelles, le respect de la vie privée et la réduction des disparités d’accès aux technologies IA.
Le juriste sénégalais insiste sur l’urgence d’une régulation adaptée : « Cela permettra d’encadrer les usages pour garantir la dignité humaine, protéger les données et prévenir les dérives comme les deepfakes. »
Une telle stratégie implique de concilier innovation et régulation.
Bien que des bases aient été posées, notamment sur les données, une collaboration étroite entre chercheurs, innovateurs et décideurs politiques est indispensable pour construire une vision cohérente et contrer l’hégémonie des géants technologiques de la Silicon Valley, pense M. Diokh.
Exemples de dérives et enjeux de régulation
L’IA comporte des risques réels, comme l’a montré l’affaire impliquant le député Guy M. Sagna. Un deepfake le montrant à La Mecque a trompé même des journalistes. « Si ce type de manipulation avait concerné un contexte compromettant, les conséquences auraient pu être graves.
Ce cas souligne les dangers des technologies comme les deepfakes, capables de désinformer, manipuler et nuire à la réputation des individus », prévient l’expert en législation du numérique.
L’Afrique : Entre innovation et souveraineté
L’Afrique, et le Sénégal en particulier, doit adopter une approche stratégique pour tirer parti de l’IA tout en protégeant ses intérêts.
Pour Emmanuel Diokh, « cela passe par une meilleure valorisation des données du continent, actuellement exploitées par des acteurs extérieurs ; mais aussi l’éducation et la sensibilisation des populations sur les opportunités et les dangers de l’IA ; et enfin une coopération régionale pour établir un cadre éthique et technologique propre à l’Afrique »
L’Afrique ne doit pas se contenter d’être un consommateur de technologies.
Elle doit devenir un acteur influent, alliant innovation et conscience éthique, pour exploiter pleinement le potentiel de l’intelligence artificielle tout en protégeant ses valeurs et son autonomie.
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