L’exposition « Diggente Taar ak Kiliftéef », présentée à la Galerie Le Manège de l’Institut français de Dakar, rend hommage à la figure mythologique de la Driyanké. À travers une approche transdisciplinaire mêlant arts visuels, mode et musique, les artistes explorent cette incarnation féminine intemporelle, symbole de beauté, de leadership et de transmission de valeurs, entre héritage et modernité.
L’expo se poursuit jusqu’au 31 mai 2025.
Dans l’écrin paisible du jardin verdoyant de la Galerie Le Manège de l’Institut français de Dakar, la nature semble suspendue dans un souffle.
Elle s’élève sans bruit, murmure du temps. Le temps l’embrasse, souffle d’une sagesse perdue dans le vent. Vent porteur de l’ombre de la Driyanké, femme sans âge, pure essence. Essence de beauté, d’élégance, d’autorité douce, elle traverse les âges.
Âges d’or et d’argent, invisibles, elle, la Driyanké, danse entre passé et futur, tissant son être au fil des ancêtres.
Ancêtres qui vivent en elle, murmurent dans son regard, voyant que son corps n’est qu’un reflet du ciel et de la terre. Terre fertile, où germe l’histoire, où fleurit la mémoire. Elle est tout et rien, une femme unique, mémoire vivante de ce qui a été, est et qui sera.
Ainsi, l’exposition s’élève, discrète, imposante. « Diggente Taar ak Kiliftéef », poétique d’une maille sociale : la Driyanké », souffle d’histoire, mémoire vivante. Dans cet espace sacré, un hommage est rendu à la Driyanké. Dans une mise en espace qui mêle installations, photographies, vidéos et textiles, l’exposition explore cette mémoire vivante tout en questionnant son évolution et sa résonance dans le monde contemporain.
Dans chaque coin de la salle, l’incarnation de la Driyanké se révèle : un mystère en constante métamorphose, un arcanum que l’on n’effleure qu’à travers l’éclat de son ombre.
Une immersion sensorielle dans l’histoire La Driyanké, figure éternelle, se déploie ; première note d’une symphonie.
Maua Ya Jua commence. Sa voix claire, perçante, annonce la quête, l’espoir, les luttes. Elle chante, sa voix s’éteint dans le vent. Mais le souffle persiste. Les mots sont profonds. Ils touchent l’âme. C’est après la déclamation de la slameuse congolaise, sur la femme, que les visiteurs, mines égayées par le poids des mots, sont invités à une promenade sensorielle, un voyage entre ombres et éclats.
Ainsi, sous le voile doux d’une lumière entre chien et loup du crépuscule, un éclairage tamisé caresse les murs de la salle d’exposition, dessinant des contours flous et énigmatiques. Chaque pas, emporté par cette atmosphère feutrée, mène les âmes curieuses vers l’exposition « Diggente Taar Ak Kiliftef, Poétique d’une maille sociale : la Driyanké ».
Et, Cheikhna, créateur de la marque « Sigil » dans le silence suivant, sculpte ce qui reste, entrelace l’histoire et l’avenir.
Il crée un vêtement, un héritage qui respire, prolongeant sa démarche transdisciplinaire qui croise imaginaires contemporains et traditions sénégalaises. La Driyanké se drape alors de la douceur de Donatella Epouhé, élégance et féminité sculptées dans des tissus où se mêlent passé et modernité.
L’artiste incarne avec justesse prestance et féminité.
Puis la musique de Chinezeb s’élève, un rythme envoûtant où se croisent tradition sénégalaise, hip-hop et afrobeat. Un mélange hétérogène, mais comme un océan qui nous fait tanguer entre hier et aujourd’hui. Le mélomane crée une composition sonore inédite, prolongeant son exploration musicale et offrant une immersion unique au cœur de son univers artistique.
El Hadji Idrissa Dioum, dans l’écriture suivante, trace les racines profondes de la Driyanké, son histoire, ses origines, comme un fil invisible qui nous relie à elle.
Il nous laisse, le regard fixé dans une valise de mémoire, où « KB », Kerim Boucher, dans sa création, transpose cette histoire en objets. Ici, chaque morceau recyclé porte la trace du passé. Symbole de leadership et de transmission Maguette Guèye, dans la lumière qui se dégage, tisse un hommage particulier à Adja Maty, figure majestueuse, fragile et forte, parée de sa mode, parée de sa grandeur.
Sa création respire techniques artisanales ancestrales et une vision contemporaine de la mode.
Le coton tissé à la main aux reflets bleutés dialogue avec un « tie and dye » teint à la main, tandis que la superposition d’indigo et de dentelle confère une profondeur unique aux manches.
Et, à l’instant où l’on croit toucher la fin, Pierre Antoine Vettorello fait surgir les poupées dômes, rendant hommage, lui, à Mbissine Thérèse Diop, dans le film « La Noire » de Ousmane Sembène (1966), le temps figé, la mémoire en mouvement.
Lamine Diémé, quant à lui, à travers l’image, capte l’essence de ce regard, ce regard qui capte l’époque et qui n’oublie jamais.
Il réalise une mise en abyme de la photographie de Leslie Rabine, émérite et photographe qui étudie la mode sénégalaise depuis 1995 et le Street art dakarois depuis 2001.
Zoritza, elle, nous invite à regarder la femme aujourd’hui, dans une fusion de tissus, de couleurs, de formes, où chaque détail nous parle de son émancipation. La maison Kébé poursuit ce voyage. Elle tisse la Driyanké entre héritage et avant-garde, un vêtement qui incarne l’âme, la force, la liberté.
Par la suite, le Dr Massamba Guèye avec ses mots, ravive cette mémoire, nous ramenant aux racines, aux fondations invisibles de cette femme : « Être femme est un fait de la nature, devenir une dame est un combat social », renseigne sa plume. Ces paroles de l’expert en patrimoine oral dessinent l’essence même de la Driyanké, figure mythologique aux contours subtils.
Oui, elle n’est pas simplement femme, mais l’incarnation vivante d’une force océanique, capable de faire naître et de nourrir l’économie de ses vagues impétueuses.
La Driyanké, matrice de richesses invisibles, s’élève telle une étoile filante, laissant derrière elle une traînée de rumeurs et de secrets.
Elle est le fil d’Ariane qui relie l’intime au cosmos social, l’alpha et l’oméga du savoir-vivre et du pouvoir. Hommage à Ndaté Yallah Mbodj Naëtte Mbaye alors capte l’essence de ce chemin parcouru, chaque image un fragment, chaque photo une nouvelle lecture de la Driyanké. Modou Guèye émerge.
Dans la broderie, il nous relie à ce corps vivant, ce corps qui parle de l’histoire, de la culture, de la tradition.
« En tant qu’artiste, mon ambition est de rapprocher l’art de la jeunesse, de lui faire découvrir la richesse artistique de son passé afin qu’elle puisse se l’approprier et en être fière », confie-t-il.
Ainsi, Oumou Sy, figure incontournable de la mode, conclut ce cercle, rendant hommage à Ndaté Yallah Mbodj, la reine des temps anciens, figure emblématique de l’histoire sénégalaise et dernière grande reine du Walo, avec une création qui résonne dans l’éternité. Son œuvre mêle artisanat et haute couture avec une créativité sans limite. L’œuvre de Oumou Sy, juste à l’entrée, attire les esprits curieux.
Elle sublime la reine dans une tenue inédite avec son format indigo à l’aide du coton, du bronze, du cuir, des cristaux, des matières végétales, de l’aluminium et de la soie.
« Mon choix s’est porté sur la reine Ndaté Yallah Mbodj, pour son approche politique et son dévouement pour le développement du continent, tout en tenant compte de son port vestimentaire, une reine élégante et raffinée, qui a créé son propre foulard en s’inspirant du pain de sucre », explique l’artiste, visage avenant.
« Plus qu’un idéal esthétique, la Driyanké est une véritable institution culturelle »
L’exposition « Diggente Taar ak Kiliftéef », poétique d’une maille sociale : la Driyanké » est un voyage sans fin, comme la femme elle aussi, doit être célébrée tous les jours, à chaque instant.
Alors, dans cette exposition collective, chaque artiste, poursuit l’histoire de cet être éternel, la nourrissant de son regard, de son art, de son engagement.
La Driyanké, son histoire, elle vit, elle respire, elle évolue. Mais personne n’est mieux placé que Ken Aïcha Sy, directrice de la Galerie, par ailleurs commissaire de l’exposition, pour chanter la grandeur de la Driyanké.
« L’exposition interroge la figure de la « Driyanké », cet archétype féminin qui incarne à la fois l’élégance et le leadership au Sénégal », renchérit-elle.
Pour elle, plus qu’un idéal esthétique, la Driyanké est une véritable institution culturelle, un maillon essentiel dans la transmission des valeurs sociales et spirituelles, un symbole d’influence et de sagesse.
Entre héritage et réinvention, souligne-t-elle, l’exposition met en lumière la manière dont ces figures féminines continuent de façonner les dynamiques sociales, en perpétuant un équilibre subtil entre tradition et modernité.
Cependant, précisons.
La Driyanké est souvent associée à des traits de beauté, le port majestueux, les formes généreuses ou encore une présence charismatique. Mais, être « Driyanké » ne se limite pas à l’apparence physique. C’est, avant tout, une question de personnalité et de maturité.
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