Keur Serigne-bi ! L’évocation de ce site renvoie, entre autres, à la vente de médicaments et autres produits pharmaceutiques. Seulement, la commercialisation de produits vétérinaires en ce coin niché en centre-ville, sur l’avenue Blaise Diagne, à quelques encablures du marché Sandaga, n’est pas sans conséquences néfastes sur la santé publique.

Selon des docteurs vétérinaires, qui relèvent que «40 à 50% des médicaments (vendus) sur les marchés parallèles sont de la contrefaçon», ces produits s’avèrent «dangereux pour la santé animale et les populations».

Blaise Diagne. Tous les jours, ce sont de longues processions de véhicules qui se forment sur l’avenue.

Situé sur le côté de ce grand boulevard, Keur Serignebi est un lieu de spiritualité. Certes ! Le domicile de Serigne Moustapha Mbacké, fils du vénéré Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme, se trouve à cet endroit. Il est le premier successeur de son père à la tête du califat.

La maison du Khalife ne désemplit pas.

Le commerce de produits pharmaceutiques prospère à Keur Serigne-bi, situé à quelques mètres de l’arrêt bus du marché Sandaga. Il polarise beaucoup de jeunes qui exercent dans le petit commerce appelé secteur informel. Il emploie des jeunes victimes de la déperdition scolaire, ceux qui ont fréquenté les «daaras» voire même des analphabètes.

En plus des médicaments d’officines de pharmacie, «les produits vétérinaires pullulent dans ce ‘’marché’’ très prisé par les Dakarois et des populations de l’intérieur du pays». Les tables bien achalandées jouxtent l’une des avenues les plus fréquentées de la capitale, Dakar.

Elle est aussi sans doute la plus polluée.

Un vendeur de produits vétérinaires, Mouhamed D., est en train de mettre en sachets les médicaments en capsules. Le pot de médicaments lui a coûté 7500 FCFA. En vendant au détail, il gagne 12.500 FCFA.

Sur sa table, on peut voir divers produits vétérinaires : l’Oxythétracycline, un antibiotique bien connu des fermiers avicoles, les antistress et les vitamines. «Nous gagnons dignement notre vie. Sans faire de mal à personne.

Les vétérinaires sont nos clients. Certains d’entre eux viennent acheter nos produits. Ce sont nos partenaires», a déclaré Mr Mohamed D. Pourtant, ce commerce est prohibé.

CE QUE DIT LA LOI

La loi n°2oo8 du 24 janvier 2008 relative à la détention, vente et distribution au détail précise, en son article 32 : «La cession à titre gratuit ou onéreux de médicaments vétérinaires est interdite sur la voie publique… à toute personne même titulaire du diplôme de docteur vétérinaire ou de docteur en pharmacie».

Les clients et passants de l’avenue Blaise Diagne sont interceptés par des individus qui squattent les lieux.

Ils orientent les clients qui veulent se procurer des produits. Les passants pressés ne perdent pas de temps pour répondre aux questions des démarcheurs. Leur rémunération est que pour chaque «marchandise» vendue, ils bénéficient d’une petite somme.

«On vend tout dans ce marché. N’importe quel produit que vous recherchez, vous pouvez le trouver ici», a déclaré un jeune démarcheur.

On y trouve en effet divers médicaments vétérinaires : l’Amintotal, protéine pour la croissance des poussins, l’Anticox, produit qui lutte contre la ‘’coxidiose’’, Tétracolivif, un antistress, Virunet, un vuricite, il tue les virus, entre autres.

Ils sont exposés à l’air libre, parfois sous les rayons solaires ardents.

Alors que ces produits doivent être à l’abri de la chaleur. L’activité de commerce des médicaments est très courue ici : «on l’a laissé germer, se développer et s’enraciner. L’enjeu est d’abord économique.

La filière génère une manne financière importante. Elle profite à des individus tapis dans l’ombre», confie un professionnel avicole.

«NOUS SOMMES EN FACE D’UNE BOMBE… CAR CE MARCHE PARALLELE EST UN DANGER POUR LA SANTE ANIMALE»

A défaut, l’Etat doit sévir. Un Dr vétérinaire de la zone des Niayes soutient que «l’Ordre des docteurs vétérinaires et celui des médecins se sont battus pour qu’on mette un terme à la vente des produits médicaux.

En vain». Par contre, son confrère affirme que «certains médicaments qu’on trouve à Keur Serigne-bi sont de bonne qualité.

Mais, ils sont dans les mains d’analphabètes qui ne peuvent prodiguer le plus petit conseil à un exploitant avicole, concernant leur usage». Pis, ils ne peuvent pas «poser un diagnostic médical quand la volaille est victime d’une pathologie. Nous sommes en face d’une bombe».

Pour autant, les professionnels de la filière alertent. «Le Sénégal court de gros risques.

Car ce marché parallèle est un danger pour la santé animale. Le circuit qu’empruntent les médicaments ne rassure personne quant à la qualité des médicaments». Leurs fournisseurs, des revendeurs de Keur Serigne-bi, sont de grands importateurs de médicaments qui ont pignon-surrue. Ils opèrent en toute illégalité.

La preuve, la livraison des produits vétérinaires se fait en catimini. Ils (les produits vétérinaires) proviennent des pays de la sous-région.

Hors espace de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Il s’agit de la Gambie, la Mauritanie, les deux Guinées etc. «Tous ces produits qui entrent au Sénégal ne sont pas taxés. D’ailleurs, c’est ce qui justifie le fait que ces marchandises sont cédées à vil prix. Comparé à ceux des cabinets vétérinaires», déplorent ces professionnels agréés.

CONDITIONS D’ENTREE DES PRODUITS PHARMACEUTIQUES SUR LE TERRITOIRE NATIONAL

Dans les normes, seuls les grossistes sont habilités à importer des produits vétérinaires, notamment les pharmaciens de formation. L’importation des produits vétérinaires est une spécialité. Après le doctorat en médecine vétérinaire, il faut deux ans de formation pour être un distributeur agréé.

«Parmi nous, il y a des gens qui sont complices du désordre constaté dans la vente des médicaments», regrettent les docteurs vétérinaires que nous avons rencontrés. La législation en matière d’importation des produits médicamenteux est claire.

Un responsable de la Direction des Douanes précise : «la Douane vérifie la conformité des documents avec les dispositions en vigueur. A savoir si la personne ou l’entreprise est habilitée à importer les produits vétérinaires». En ce qui concerne leur qualité, ce sont les services techniques de l’Elevage qui peuvent donner un avis.

Ce que confirme Dr Asssiongbou Tecko-Agbo, Responsable du Laboratoire de contrôle des médicaments vétérinaires à l’Ecole Inter-Etats de Médecine vétérinaire Dakar (Véto), Expert-Evaluateur des dossiers d’Autorisation de mise en vente sur le marché des médicaments (AMM), vétérinaire au niveau de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine ( Uemoa).

LES CONSOMMATEURS EXPOSES : «40 A 50% DES MEDICAMENTS SUR LES MARCHES PARALLELES SONT DE LA CONTREFAÇON»

L’Expert-Evaluateur des dossiers d’autorisation soutient que «40 à 50% des médicaments qu’on rencontre au niveau des marchés parallèles, c’est de la contrefaçon ; le marché le plus lucratif. Il y a une catégorie de médicaments. En médecine vétérinaire, c’est le Trypanocyte.

Le produit traite la maladie du sommeil.»

Les médicaments restent dans l’animal. La quantité dangereuse est définie par le Code alimentarus (Code alimentaire). Créées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ces normes sont applicables à tous les Etats.

La concentration des produits qui doivent rester, par exemple l’Oxytétracycline, après l’avoir utilisé chez l’espèce animale, ne doit pas dépasser 100000 micro grammes par kilo. Cette valeur est supposée ne présenter aucun problème pour les consommateurs.

Par contre, pour la Pénicilline, quand on l’utilise chez la bête, le lendemain, quand on prend le lait, on peut avoir un malaise, car ce produit peut provoquer des réactions allergiques. Tous ceux qui consomment ces animaux traités à partir des médicaments issus des marchés parallèles sont exposés à des maladies.

Le risque zéro n’existe pas. C’est pourquoi, les marchés parallèles constituent un danger pour la santé publique. En plus, le fumier utilisé par les exploitants agricoles contient des résidus de pénicilline.

«LES MEDICAMENTS VETERINAIRES COMMERCIALISES DANS LES MARCHES PARALLELES : UN DANGER PERMANENT»

Le risque est réel et le danger permanent. Selon les spécialistes, «les médicaments vétérinaires commercialisés dans les marchés parallèles sont dangereux pour la santé animale et les populations. Dans la mesure où ceux qui les commercialisent ne sont pas habilités à le faire».

En outre, ils n’ont pas la formation requise.

Pis, ces produits n’ont pas été contrôlés au préalable par un laboratoire, conformément à la Règlementation en vigueur au sein de l’espace UEMOA. En effet, les produits pharmaceutiques vétérinaires doivent avoir impérativement une Autorisation de mise en vente sur le marché (AMM).

Elle est délivrée par la Commission de l’UEMOA, basée à Ouagadougou.

Cette autorisation est assujettie à la certification du produit par un laboratoire agréé. Au Sénégal, il y a trois laboratoires qui sont agréés. Celui de l’EIMVS, celui de l’Institut Sénégalais de Recherche en Agronomie (ISRA), à Hann, et le laboratoire qui contrôle les médicaments de la médecine humaine faisant face à l’ex-hôpital Aristide Le Dantec.

Parlant de la mortalité très élevée des sujets dans les exploitations avicoles, le Dr Asiongbougou affirme : «l’eau qu’utilise les aviculteurs pose problème. Elle contient du calcaire. Alors que c’est cette même eau qu’utilisent les éleveurs pour administrer des produits pharmaceutiques à la volaille.

Il va sans dire que le produit sera inefficace pour prévenir ou guérir les poussins, en cas d’attaque pathologique d’origine virale ou bactérienne».

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