LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE, DROIT OU OBJECTIF DE POLITIQUE ?
Emporté par ma passion du secteur agricole, je n’ai pas résisté à mon porte-plume et à mon encrier face aux discussions si riches sur la souveraineté alimentaire. A l’évidence, « il n’y a pas de raison sans passion et il ne devrait y avoir de passion sans raison »
1) Le concept de souveraineté alimentaire occupe présentement un score des plus élevés, du point de vue de son utilisation dans les politiques publiques du nord et du sud. Ceci résulte de la turbulence du marché international des produits agricoles qui, tout naturellement, peut induire des crises alimentaires graves.
En réalité, ce concept a été porté et exposé avec brio par Via Campesina, lors du sommet mondial de l’alimentation, tenu à Rome en 1996. Il a été défini comme suit: « le droit des pays à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite avec des méthodes durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires».
Il nous paraît, dès lors, plus indiqué de considérer la souveraineté alimentaire comme un droit en lieu et place d’un objectif de politique agricole. Le dictionnaire Larousse consulté nous conforte dans cette compréhension, je cite » la souveraineté alimentaire est la définition, par un État, des objectifs et moyens de sa politique agricole et alimentaire dans le respect de l’environnement et des droits des autres États »
2) L’objectif visé par les pays en voie de développement doit être une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable adossée à une politique de souveraineté alimentaire. C’est précisément cela qui va nous affranchir des caprices du marché international, en comptant d’abord et surtout sur notre génie créateur et potentiel, pour nous nourrir au mieux et durablement. Loin de nous, l’idée d’une variante de la sécurité alimentaire espérée à travers la mondialisation des marchés agricoles et une manne financière pétrolière (comme dans certains pays du golfe et une partie de l’Afrique).
3) La souveraineté alimentaire ne doit pas être interprétée comme une autarcie mais plutôt comme un refus de confier à d’autres la charge de nous nourrir et assurer une participation réfléchie à l’animation du marché international de produits agricoles avec une mise en avant de nos avantages comparatifs.
4) La recherche d’une sécurité alimentaire et nutritionnelle avec, comme levier, une politique de souveraineté alimentaire, renvoie à une stratégie à 5 dimensions.
5) La première dimension : assurer une autosuffisance pour nos produits de base, gage pour éviter des « émeutes de la faim », à l’instar de ce qui s’est produit en 2008 dans certaines capitales africaines.
Dans le contexte actuel du Sénégal, les produits suivants sont, entre autres, à convoquer : le riz, l’oignon, le mil, le sorgho, le maïs, l’huile et le lait.
Il doit s’agir d’augmenter la production mais de considérer aussi la stabilité et la qualité totale (organoleptique, sanitaire et phytosanitaire) de l’offre domestique, la rémunération des petits producteurs et le budget des consommateurs les plus pauvres.
Par ailleurs, pour certains produits horticoles, comme l’oignon, la bataille pour le volume à produire est pratiquement gagnée. Mais il faut davantage étaler la production dans le temps et dans l’espace et l’assortir d’une conservation grâce à nos abris-séchoir pour éviter les pertes post-récolte et mieux couvrir les besoins nationaux.
Pour le riz, l’autosuffisance est du domaine du possible, les problèmes fondamentaux sont la timidité de l’investissement privé tant dans la production que dans la transformation, la faiblesse des bases productives (ex : aménagements hydro-agricoles) et le sous-équipement des petits producteurs.
A l’heure actuelle, le riz pousse partout au Sénégal avec la percée des Nerica, depuis 2014. C’est pourquoi le bassin arachidier a été rebaptisé bassin agricole pour traduire cette réalité exprimant une diversification graduelle.
6) La deuxième dimension : minimiser les importations et diversifier nos sources d’approvisionnement.
Les actions à mener devraient reposer sur les éléments suivants :
● diversifier nos sources d’approvisionnement pour le riz en attendant une couverture intégrale de nos besoins;
● lancer un programme blé avec les variétés homologuées par notre recherche nationale;
● accélérer l’introduction de vaches laitières à haut potentiel, etc.
7) La troisième dimension : relancer nos exportations en considérant nos avantages comparatifs.
Il doit s’agir :
– de confirmer et d’amplifier nos parts de marché pour les fruits et légumes de contre saison ( haricot vert, tomate, cérise, melon, piment sucette, mangues, gombo, etc.);
– d’exporter davantage de l’huile brute d’arachide;
– de renforcer la DPV, le CEREES/LOCUSTOX, l’ISRA, la DHORT, l’ANCAR, l’ITA, etc.
la quatrième dimension : réhabiliter et fortifier notre tissu industriel agricole.
On devrait s’orienter vers :
• une mise à niveau industriel de la SONACOS et des unités privées de transformations pour couvrir intégralement nos besoins en huile et exporter davantage d’huile brute;
• un renforcement des unités de transformation de la tomate pour mettre fin à l’importation de concentrée de tomate;
• moderniser nos unités de trituration artisanale de l’arachide;
• encourager la contractualisation producteurs-transformateurs pour sécuriser la matière première des usines et garantir un prix rémunérateur aux producteurs;
9) La cinquième dimension : durabilité des capacités productives de nos écosystèmes.
Ici, il nous faut miser davantage sur l’agro-écologie pour nous nourrir sans nous détruire en conciliant intelligemment enjeux socio-économiques, enjeux environnementaux et enjeux de santé publique.
10) Notre plaidoyer a résisté à l’érosion du facteur temps. Il tient à la construction de systèmes d’innovations. Sous ce vocable, nous entendons une parcellisation des responsabilités entre les différents acteurs publics et privés et une agrégation de leurs contributions à travers un actionnariat rural.
La chorégraphie est montée avec les pièces suivantes:
· une recherche agricole capable de générer des connaissances et technologies permettant de produire plus et mieux. En clair, une recherche qui déclenche de profondes et significatives mutations avec un souci inoxydable de préservation et d’enrichissement de notre biodiversité. Car il faut une solidarité agricole intergénérationnelle. Et celle-ci doit être constamment convoquée dans notre philosophie et nos principes de base pour construire nos agricultures.
· un conseil agricole et rural qui comprend que l’agriculture est un élément de la vie rurale et qu’elle développe des interactions et des interfaces avec les autres composantes. Il faut alors exploiter judicieusement les complémentarités et contribuer à l’émergence d’exploitations traditionnelles informées, formées et armées pour affronter les problèmes agricoles du présent et les interrogations du futur.
· assainir l’environnement de la production et de la commercialisation : crédits adaptés, subventions des petits exploitants agricoles, électrification rurale, numérisation de nos agricultures, renforcement des capacités techniques et managériales des exploitants agricoles, assistance pour supporter les coûts d’adoption des innovations technologiques pour concilier productivité, qualité, durabilité, accroissement des valeurs ajoutées agricoles, diversification;
· mettre en place des infrastructures pour la réduction des coûts de transaction, pour lutter contre les pertes post-récolte et assurer un meilleur accès au marché. On peut citer, entre autres, les routes, les pistes de production, les marchés physiques, les magasins de stockage etc…
11) Il faut une riche boîte à outils : des acteurs publics et des acteurs ruraux engagés pour une sécurité alimentaire et nutritionnelle fondée et soutenue sur une politique de souveraineté alimentaire. En décodé, la sécurité alimentaire est un but, la souveraineté est un droit permettant de la réaliser. Pour être plus précis lorsqu’on dit qu’on est pour la souveraineté et on doit rattacher, celle-ci a un but : une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable.
Conclusion :
Le combat du siècle de l’Afrique, c’est mettre fin à ce triste tableau : être un continent importateur de produits et détenir 65% des terres arables du monde non exploitées, disposer d’une grande diversité agro-écologique, avoir une population jeune et des technologies insuffisamment utilisées.
DR PAPA ABDOULAYE SECK
Spécialiste en Politiques et Stratégies agricoles
Quintuple Académicien des Sciences agricoles (TWAS, AAS, ANSTS, AAF,ANSALB)
xibaaru
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