Classé patrimoine immatériel par l’Unesco depuis 2005, le Kankurang, masque et rite d’initiation originaire du Gabou, du Woyi et du Pakao, continue de jouer un rôle de cristallisation de l’identité du groupe mandingue. A Mbour qui figure parmi les villes gardiennes, à côté de Sédhiou et Banjul, cette pratique mystique se perpétue à travers le « Septembre mandingue ». Plombé en 2020 par la Covid-19, ce grand évènement culturel reprend ses activités ce 4 septembre. L’édition de cette année est placée sous le thème « la diversité culturelle, gage de la stabilité et de la cohésion ».

Chaque peuple à ses coutumes, ses croyances et ses pratiques qui se perpétuent à travers le temps. À Mbour, le Kankurang, considéré comme le génie protecteur de ce terroir et de toutes les contrées attachées à ce symbole, a toujours été et reste un moment central dans la transmission des valeurs qui fondent l’historique de la Collectivité mandingue, une entité regroupant les Mandingues du Gabou, du Woyi et du Pakao. La richesse et l’originalité de ce masque d’initiation des Mandingues de la Sénégambie qui joue un rôle essentiel dans le rétablissement de l’ordre social lui ont valu un classement au patrimoine culturel immatériel mondial par l’Unesco en 2005. Dans la capitale de la Petite Côte, la culture mandingue est présente dans les grands foyers regroupant cette communauté localisés dans les quartiers de Thiocé-Est, Thiocé-Ouest, Santassou, « 11 Novembre ».

Chaque année, au mois de septembre, ce rituel associé à l’initiation permet aux plus jeunes de recevoir des anciens certaines valeurs et d’acquérir les comportements d’un homme mûr prêt à affronter la vie adulte. Pendant tout le mois du Kankurang, la Collectivité mandingue fera étalage de son patrimoine culturel. Mbour vibrera alors au rythme du « Sowrouba », du « Kutiiroo », du « Junkurado » et du « Sabaroo », mais aussi du « diambadong », danse sacrée qui accompagne les initiés de toutes les classes d’âge et prend départ de la brousse vers les différents « leuls » sur les sites du Woyinka, de Thiocé Est et Ouest, de Diamaguène, de Santessou et Mboulème. Pendant un mois, ils seront encadrés, formés et éduqués à leur future vie d’adulte.

Cette année, la circoncision démarre le 4 septembre. La cérémonie officielle est prévue le 2 septembre, renseigne Aïdara Diop, secrétaire général de la Collectivité mandingue. Pour cette édition, le nombre de circoncis va passer à 700. De l’avis de M. Diop, la prise en charge de ces derniers dans les différents sites du point de vue sanitaire et de la restauration, de la sécurité et de l’impact au niveau des familles, constitue un gros problème auquel il faudra forcément trouver solutions. « Nous avons fait l’évaluation de l’édition de l’année dernière. Elle nous a permis d’avoir globalement un sentiment de satisfaction du point de la sécurité où quelques cas ont été vite gérés grâce à la vigilance et la détermination des forces de sécurité », indique le secrétaire général de la Collectivité mandingue qui soutient que le Service d’hygiène a été d’un apport considérable dans la gestion de la pandémie de la covid-19 ; ce qui a permis d’avoir zéro cas.

Une séance de saupoudrage, de désinsectisation et de désinfection sera organisée avant le 4 septembre, de Saly à Mboulème. La visite médicale gratuite se tiendra les 23 et 24 septembre ; un village sera érigé sur l’esplanade du Stade, a fait savoir Aïdara Diop.

OUVERTURE AUX AUTRES CULTURES

Depuis 1904, les Mandingues organisent les rites initiatiques avec la sortie du Kankurang dans un cadre restreint. L’édition de 2021 s’était organisée avec une innovation. Il en sera de même cette année, selon le secrétaire général de la Collectivité mandingue. « Nous avons décidé de nous ouvrir aux autres. Mbour étant devenu un melting-pot. Dans chaque famille mandingue, on trouve maintenant des Diolas, des Maures, des Lébous », a-t-il déclaré. Ce métissage a donné, selon lui, naissance à un Mandingue de type nouveau. M. Diop s’est félicité que les populations aient accepté cet état de fait ; parce qu’ayant bien compris que la partie ésotérique est gérée par les anciens, mais celle exotérique peut être partagée avec elles. Ainsi, le concept « Septembre Mandingue » a été pensé avec les soutiens des éléments des Etats-Unis, du Canada, de l’Allemagne, de la Grande Bretagne, de la France, de l’Italie et de l’Espagne. Refusant d’avoir une « perception scolastique » de la notion de cadre, Aïdara Diop a intégré tous ceux qui ont une bonne connaissance dans leurs domaines d’activité. « Faire de la culture un élément structuré dans le domaine économique et social a été un objectif majeur à atteindre », a avancé le secrétaire général de la Collectivité mandingue.

FORT IMPACT ECONOMIQUE

Pour les Mbourois d’origine ou d’adoption, le Kankurang est une occasion de se ressourcer. Ainsi, le mois de septembre constitue une période d’effervescence populaire. Chaque week-end, la sortie du Kankurang, en plus de drainer une foule monstre. Un monde fou venu des autres localités se déverse sur Mbour ; ce qui rend encore plus dynamique la vie économique et sociale. Selon Aïdara Diop le « Septembre mandingue » a une dimension économique sur tous les plans, qui impacte sur la comptabilité publique locale. « Nous avons sous ce rapport, contracté une convention avec l’Université de Thiès. L’échantillonnage et le questionnaire ont été stabilisés en se fondant sur l’Agence nationale de la statistique et de la démographie », a indiqué Aïdara Diop. Selon lui, l’Université de Bambey qui avait fait l’étude d’impact du Magal de Touba a rapporté que ce grand évènement pèse 250 milliards de FCfa sur notre économie a été contactée pour avoir la même perception du « Septembre mandingue ». Etayant son propos, il a donné l’exemple des chauffeurs de clandos qui versent quotidiennement 7.000 FCfa en temps normal et qui, pendant le « Septembre Mandingue », les vendredi, samedi et dimanche multiplient par dix leur versement. Les boutiques fonctionnent 24h sur 24 les week-ends, tout comme les opérateurs de téléphone.

Comment toute cette manne est utilisée, est-ce que la population en bénéfice ? C’est la grande question qui se pose et Aïdara Diop est d’avis qu’il faut, à partir d’une étude d’impact, avoir des données scientifiques, calibrées et validées pour connaitre ce que le mois de septembre génère comme richesse et, à partir de ce moment, discuter avec les acteurs économiques sur ce qu’ils doivent reverser en services à la population, à la Collectivité mandingue qui organise en terme de contributions à l’éducation et à la santé.

L’autre perspective rentre dans l’objectif stratégique de faire du « Septembre mandingue », un évènement culturel de dimension mondiale, structuré et organisé, à l’image de ce qui se fait au festival de Rio. Et la Collectivité mandingue, rassure son secrétaire général, est en train d’y travailler. Après avoir rencontré des partenaires, le Syndicat d’initiative et autres acteurs pour faire du « Septembre mandingue » une offre de tourisme culturel « qui permet de faire converger chaque année et de manière organisée la Diaspora vers la ville de Mbour ». « Nous avons envie de structurer une offre qui retrace le parcours migratoire des Mandingues à partir de la bataille du Kansala, des Mandingues qui ont migré en passant par la Petite Côte ; ce qui a généré le métissage entre Mandingues et Sérères. Ils sont passés par Fadiouth, Nianing, Fadial, Dioffior et Niodior qui sont des appellations mandingues », a souligné le secrétaire général de la Collectivité mandingue.

PATRIMOINE IMMATERIEL ET PROJET D’ECOMUSEE

Depuis 1995, l’Etat du Sénégal a octroyé à la Collectivité mandingue un terrain d’un hectare à l’entrée de Saly. Il est temps, de l’avis d’Aïdara Diop, de le rentabiliser pour en faire un patrimoine de la Commune et du département. Selon M. Diop, le Kankurang est classé patrimoine immatériel par l’Unesco depuis 2005 et parmi les villes gardiennes, figure Mbour, à côté de Sédhiou et Banjul. Aujourd’hui, fait-il savoir, il s’agit de faire voir et savoir ces multiples facettes à travers la mise en place d’un écomusée et d’un centre d’interprétation dans le site où un comité de gestion a été mis en place. De même, croit-il savoir, un partenariat avec la ville de Bastum, en Italie, se traduira par un jumelage qui « permettra de capter les fonds nécessaires à l’édification de cet écomusée qui sera un point de convergence des touristes qui viendront pour connaître les facettes de la Collectivité mandingue et de la culture mandingue ». Dans ce centre, il sera érigé un centre de fabrication de balafons, de djembés, de sowrouba, bref, d’instruments qui symbolisent les diverses facettes de la Collectivité mandingue. « Le ministère de la Communication et de la Culture et celui du Tourisme ont été saisis pour travailler à la mise en place d’un projet avec un budget ficelé qui va être partagé avec la ville et plus tard avec le département, la région et le Sénégal », assure M. Diop.

À Mbour, la tradition est toujours conservée malgré les nombreuses mutations. Les garants de la mémoire collective de la communauté mandingue ont su garder intacts l’esprit et la lettre du Kankurang. Ces derniers ont compris la nécessité de protéger ce patrimoine culturel immatériel de l’humanité et d’assurer sa conservation efficace et sa transmission aux générations futures. Car, convaincus que sa disparition signerait la fin de l’identité mandingue.

1632 personnes consultées dont 900 femmes

Des séances de consultation gratuite ont été organisées avec 7 spécialités. Avec le soutien de la Fondation Sonatel, de la mairie partenaire leader du « Septembre mandingue », du notaire Me Moustapha Ndiaye et d’autres personnalités. Ainsi, un budget de plus de 20 millions de FCfa a été mobilisé pour consulter près de 1632 personnes dont 900 femmes. Le dépistage du cancer du col et du sein a aussi effectué avec 328 femmes dépistées dont 30 ont été référées. Des randonnées pédestres, des tournois d’amitié entre les différentes organisations de base de la collectivité, des expositions dans le village du septembre et des manifestations culturelles toutes les nuits qui ont été au programme. Selon Aïdara Diop, l’appui du président de la République a permis de soutenir les 7 cellules de la collectivité, le conseil des sages pour préparer leur Gamou annuel et le comité des femmes.

Dimension sociologique et anthropologique

L’une des ambitions de la nouvelle équipe de la Collectivité mandingue était de mettre une touche novatrice dans la prise en charge des activités. Malheureusement, elle a été bloquée par la pandémie de la Covid-19. Cet impair a amené les acteurs à mettre le focus sur la gestion de la pandémie. La première réaction de la Collectivité, précise Aïdara Diop, a été son implication dans la gestion en accompagnant la municipalité et les autorités sanitaire. Des opérations de distribution de gel, de masques, de produits de lavage des mains, de détergents et de riz ont été menées. Ainsi, le Conseil des sages, après son conclave, a décidé, compte tenu de l’impact de la Covid-19 et de sa propagation rapide, de ne pas organiser de « Septembre mandingue » en 2020. Etant les gardiens du patrimoine de la collectivité, toute décision émanant des sages est acceptée et appliquée. C’est ainsi que l’organisation du rite initiatique a été suspendue en parfaite collaboration avec les autorités administratives et gouvernementales, a informé M. Diop. La pandémie ayant baissé d’intensité en 2021, « nous avons eu l’avantage de bénéficier d’une autorisation », renseigne-t-il, précisant que c’est le Préfet Mamadou Lamine Mané qui venait de prendre service qui a annoncé la bonne nouvelle. Une bonne nouvelle qui a été bien accueillie, connaissant la dimension sociologique et anthropologique du « Septembre mandingue » qui permet des retrouvailles des familles et le développement d’une dimension économique.

SENEPLUS

Part.
Laisser Une Réponse

Exit mobile version