Serigne Abdou Khadre Kéké, président du mouvement Taxaw Jonn ngir Mbaax et membre actif du projet Pastef et figure politique influente à Touba, livre son analyse sur la situation actuelle
Un an après l’accession au pouvoir du duo Bassirou Diomaye Faye – Ousmane Sonko, le Sénégal se trouve à la croisée des chemins. Entre un lourd passif économique hérité du régime précédent et la nécessité de réformes structurelles, les défis sont immenses.
La gestion de la dette, la relance économique et la justice sociale figurent parmi les priorités du gouvernement.
Serigne Abdou Khadre Kéké, petit-fils du regretté 5e khalife général des Mourides, Serigne Saliou Mbacké par ailleurs président du mouvement Taxaw Jonn ngir Mbaax et membre actif du projet Pastef et figure politique influente à Touba, livre son analyse sur la situation actuelle, les erreurs à éviter et les solutions possibles pour remettre le pays sur la voie du progrès.
Serigne Abdou Khadre, vous êtes un membre du Projet de Pastef pour lequel vous vous êtes battu à Touba. Après près d’un an de magistère, quelle est votre appréciation du duo Diomaye-Sonko ?
Nous avons identifié plusieurs problèmes.
Pastef est arrivé au pouvoir après un long combat marqué par une résistance farouche pour contraindre Macky Sall à quitter la Présidence. Sur le plan économique, l’ancien régime a laissé une situation très préoccupante. L’économie du pays a été fragilisée par une mauvaise gestion et une dette publique qui a explosé.
Certes, Macky Sall a réalisé des infrastructures comme des autoroutes et le Train Express Régional (TER), mais ces projets ont souvent été entachés de malversations et de surfacturations qui ont aggravé la dette du pays.
Il a hérité d’une dette inférieure à 3 000 milliards de francs CFA, et avant son départ, elle a atteint 18 000 milliards. Le Sénégal est un pays à reconstruire sur tous les plans. Le rapport de la Cour des comptes est un élément éloquent de cette situation et doit servir de base pour refonder une gouvernance saine.
Quelle est votre analyse de la situation économique actuelle et quelles sont les solutions pour sortir de la crise, selon vous ?
L’état actuel de l’économie s’avère catastrophique en grande partie à cause de la gestion du précédent régime. Toutefois, accuser continuellement Macky Sall ne constitue pas une stratégie viable.
Pastef a été élu pour résoudre les problèmes des Sénégalais.
Il est donc crucial de se focaliser sur des solutions concrètes. Actuellement, l’économie repose essentiellement sur les recettes de la Douane et les impôts. L’assiette fiscale demeure trop restreinte, et l’éventuelle fin des subventions risque d’entraîner une récession.
Il est urgent d’opérer un changement de paradigme économique.
Le Sénégal doit investir dans des secteurs porteurs afin de diversifier ses sources de revenus. L’exploitation des ressources naturelles, la création d’usines de transformation et le développement d’autres secteurs stratégiques pourraient significativement booster l’économie.
De plus, l’agriculture reste un secteur clé : bien organisé, il pourrait générer un nombre considérable d’emplois et renforcer l’autosuffisance alimentaire.
Il est également primordial d’engager des discussions avec les bailleurs internationaux pour réévaluer la dette et tenter de l’alléger.
La priorité doit être accordée au paiement de la dette intérieure, car le non-paiement des salaires et des créances dues aux entreprises locales risque d’entraîner une stagnation économique.
En tant qu’entrepreneur, j’ai été contraint de suspendre mes activités, une situation que partagent de nombreuses entreprises, notamment dans le secteur du BTP.
Les licenciements massifs projettent une image négative de l’État. Il est donc nécessaire de repenser l’économie et éviter les tensions inutiles. Par ailleurs, la réduction du train de vie de l’État annoncée par le Premier ministre Ousmane Sonko est une mesure pertinente.
Cependant, lorsque El Malick Ndiaye, Président de l’Assemblée nationale, évoque l’achat de nouveaux véhicules pour les députés, cela démontre un certain décalage avec les réalités budgétaires du pays. Il est essentiel de supprimer ou de réduire considérablement les fonds politiques et la caisse noire pour éviter des dépenses inutiles.
Il est également crucial d’apaiser le climat politique et économique.
Les menaces et les intimidations ne sont pas productives. Macky Sall, malgré ses erreurs, possède une solide expérience en gestion politique et économique, tout comme Karim Wade, qui maîtrise les rouages financiers des pays du Golfe, et Amadou Ba, un technocrate reconnu.
Collaborer avec de telles figures pourrait être bénéfique pour le pays. Nous devons aller au-delà des clivages politiques et privilégier l’intérêt national.
L’État est actif et, malgré les difficultés héritées, les salaires continuent d’être payés et il n’y a pas de délestages énergétiques. Le rapport de la Cour des comptes et les audits entrepris sont encourageants et illustrent une volonté de transparence.
Il est indispensable de dire la vérité à Ousmane Sonko et de l’encourager à adopter une gouvernance inclusive, notamment en associant des figures influentes de Touba et en sollicitant l’appui du khalife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké.
La reddition des comptes doit-elle être priorisée au détriment des urgences économiques ?
La reddition des comptes est essentielle dans un État de droit, car elle renforce la démocratie et la bonne gouvernance. Cependant, elle ne doit pas prendre le pas sur les urgences économiques.
Actuellement, certaines personnes assimilent cette démarche à un règlement de comptes politique.
Nombreux sont ceux qui estiment que l’arrestation du maire des Agnam, Farba Ngom, s’inscrit dans une dynamique de vengeance, alors qu’il s’agit en réalité d’une procédure judiciaire normale.
Le pouvoir aurait dû attendre trois ans avant de lancer cette campagne de reddition des comptes, afin de prioriser les problèmes quotidiens des Sénégalais.
Les détournements de fonds doivent être sanctionnés, mais la gestion économique et la relance du pays doivent être la priorité absolue. De plus, la criminalisation des délits d’opinion doit être abandonnée pour garantir un débat démocratique serein.
En somme, le gouvernement doit adopter une posture pragmatique en conciliantjustice et développement économique. L’heure est à la construction, etseule une gouvernance efficace permettra de relever le Sénégal.
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