Une nouvelle répartition du travail au sommet de l’Exécutif ? Le président de la République Bassirou Diomaye Faye ouvre aujourd’hui la cérémonie officielle du lancement du Dialogue national dont la thématique principale va porter sur le système politique.
Plusieurs acteurs ont même subodoré que le Président Faye pourrait se servir de cette plateforme pour renforcer les pouvoirs du chef du gouvernement, lui qui, il n’y a guère, déclarait qu’il voulait avoir un Premier ministre super fort !
Le concerné, de son côté, ne semble guère s’émouvoir de toutes ces gesticulations politiciennes.
Ayant sans doute senti que son autorité et son pouvoir ne sont plus remis en question par quelque acteur que ce soit, le Premier ministre Sonko a réitéré, hier, la déclaration qu’il a plagiée à l’ancien ministre Yoro Dia, à savoir que le Sénégal n’a pas de problème politique, juste des préoccupations économiques.
La première fois qu’il l’a déclaré, c’était le 8 mai dernier, lors du lancement du Pavie 2, pour le compte de la Der/fj, aux côtés du président de la Bad, M. Akinwumi Adesina.
Il avait déclaré : «Il n’y a pas de problème politique dans ce pays, et il n’y en aura pas. Nous avons des institutions solides… Il n’y a pas non plus de problèmes sociaux, le pays est stable. Le pays n’a qu’un seul problème à ce jour, et qui date de longtemps, c’est le problème économique.»
Présidant le lancement officiel de la seconde édition du Forum d’investissement «Fii Senegaal», M. Sonko a voulu indiquer que son gouvernement est actuellement résolument concentré à la résolution desdits problèmes économiques.
Par bravade ou pas, le Premier ministre a insisté que le pays ne se porterait pas trop mal, malgré la suspension des programmes de financement des bailleurs multilatéraux «dont le Fmi». M. Sonko a sans doute raison. Si un pays qui a été laissé au quatrième sous-sol du fait de la gestion des anciennes équipes dirigeantes peut se permettre aujourd’hui de payer des limousines flambant neuves à ses 165 députés, on ne peut pas garantir que ledit pays ait des soucis d’argent.
Ne pourraient faire cette déclaration que des personnes qui, pour des raisons qui leur seraient propres, auraient perdu leurs sources de revenus… sans doute illicites, il y a fort à parier.
Paradoxalement, le dirigeant qui vante la santé financière et économique du pays n’a, plus d’un an après le lancement de sa grandiose Vision Sénégal 2050, encore mis en œuvre aucun projet d’infrastructure ou d’aménagement de politique de développement.
Le ministre de l’Agriculture, qui ressemble plus à un agité du bocal, étale sur les réseaux sociaux ses visites à des producteurs ou sur des sites de production. Cela n’empêche qu’à moins de deux semaines de la Tabaski, les moutons ne pullulent pas sur les lieux de vente.
Et là où l’on en trouve, leurs prix ne sont pas à la portée du déflaté sénégalais moyen.
Le même ministre nous avait promis l’autosuffisance en produits agricoles depuis la campagne de l’année écoulée. Comme pour lui donner la réplique, les prix de toutes les denrées de consommation courante, particulièrement celles produites localement, ont pris l’ascenseur. Mais cela, seuls les membres de son gouvernement et lui ne semblent pas s’en émouvoir.
Du moins, ils voudraient en donner le sentiment.
La réalité est sans doute peut-être dans les actes. On a vu à quelques jours d’intervalle, le Premier ministre précéder le chef de l’Etat à l’étranger. Quand le chef du gouvernement se rendait à Ouagadougou au Burkina, le Président se rendait en visite d’Etat à Bissau.
Sans doute le duo au pouvoir voudrait réaffirmer sa volonté d’ancrer ses ambitions de développement endogène dans les racines de la solidarité sous-régionale africaine. Et peut-être, qui sait, tisser des liens économiques forts ?
Tout le monde en Afrique de l’Ouest est informé de la volonté des pays de l’Alliance des Etats sahéliens (Aes) de vouloir rompre les dernières amarres qui les retiennent encore à la Cedeao.
Enhardis par les appels du pied que leur font des pays comme le Maroc, la Mauritanie ou le Togo, ces pays, qui ne sont pas dépourvus de richesses naturelles et qui ont besoin de débouchés vers la mer, regardent leurs partenaires ouest-africains avec dédain. Un pays comme le Sénégal n’a pas intérêt, au regard de ses urgences économiques actuelles, à laisser le Mali ou la Guinée-Bissau lui tourner le dos. Le Burkina, lui, a depuis longtemps son regard ailleurs.
Si le Niger préfère couper les relations avec le Bénin de Patrice Talon, c’est que le Général Tiani se veut convaincu que le Nigeria et le Togo se précipiteront pour lui offrir leurs ports en substitution de celui de Cotonou, malgré le pipeline financé par les Chinois pour exporter son pétrole.
Il n’y a pas que des soubassements politiciens derrière les velléités de Faure Gnassingbé à chercher à se rapprocher de l’Aes au détriment de la Cedeao. L’héritier de Eyadéma ne craint pas une réprobation de la Cedeao face à son coup d’Etat constitutionnel.
D’ailleurs, aucun dirigeant d’Afrique de l’Ouest, même pas les souverainistes de Dakar, n’a songé à élever la voix pour le condamner, comme s’ils avaient tous compris qu’il n’attendait que cette opportunité de se rapprocher de ses collègues putschistes en «battle dress». Son combat véritable est de ne pas laisser le Port de Lomé dépérir face à la concurrence des autres.
Le Roi du Maroc Mohammed VI n’a jamais cessé de faire les yeux doux au quarteron des militaires des pays enclavés de l’Ouest-africain. Des ministres de ces pays se sont vu offrir des visites vers le Port de Tanger Med, à Tanger, dont ils ont pu admirer les facilités et les avantages.
Cette manœuvre de séduction n’a pas laissé indifférents les Mauritaniens, qui avaient déjà profité de l’embargo de la Cedeao contre le Mali, en 2022, pour détourner au profit de leur port de Nouadhibou, du trafic originellement destiné à Dakar. A ce jour, d’ailleurs, le Port autonome de Dakar ne s’est pas encore remis pleinement de ce coup dur. Car il n’y a pas eu que la forte compétition avec les autres ports, il y a eu surtout les errements stratégiques du Sénégal.
Si l’on voit que tous les ports de la façade atlantique rehaussent leur niveau, le Sénégal a été parmi les pionniers. Sous la vision éclairée du Président Abdoulaye Wade, le Sénégal avait, dès 2008, pu convaincre les Emiratis de Dubai Port World (Dp World) de construire ce qui s’appelait «le Port du futur», destiné à remplacer celui de Dakar dont l’engorgement était d’ailleurs prévisible.
L’arrivée de Macky Sall au pouvoir, nourrie -comme l’Histoire se répète !- d’une volonté de règlement de comptes, a bloqué les Emiratis, coupables d’avoir contractualisé avec Karim Wade, le tout-puissant ministre et fils de Wade. Des années ont été perdues, qui ont fait perdre à la construction de ce fameux port, finalement installé à Ndayane, des années dont d’autres ont profité.
Pire, pendant que les dirigeants qui se succédaient à la tête du Port embrouillaient les cartes en voulant imposer leur vision à leurs partenaires émiratis, personne ne parlait de mettre à jour le chemin de fer reliant Dakar à Bamako. Or, tout le monde sait que c’est le rail qui apporte la véritable plus-value au Port de Ndayane, en plus de jouer un grand rôle au développement de l’hinterland.
Ce manque de vision prospective a par ailleurs joué aussi dans les rapports avec les pays frontaliers.
Le projet lancé par Wade, de chemin de fer Dakar-Ziguinchor, n’est jamais sorti des tiroirs. Or, si ce chemin de fer avait existé, peut-être que le projet de fer de Simandou ne pousserait pas aujourd’hui le régime de Mamady Doumbouya à se lancer lui aussi dans le développement de son rail minéralier, en plus de la mise à niveau de son port.
Nous en sommes au point où le Port de Ndayane dont l’inauguration est prévue pour 2026, n’en est pas encore à mi-parcours de son aménagement.
Et il semble déjà avoir perdu de sa compétitivité face à la concurrence. Si les Sénégalais se disent naïvement que le développement de l’exploitation de ses hydrocarbures rendra le pays encore plus attractif, ses partenaires savent qu’ils peuvent trouver encore mieux auprès des pays voisins.
La paralysie du chemin de fer montre que le Sénégal est, malgré son surnom de «Porte de l’Afrique», un pays enclavé. Si tous les flux de marchandises destinés aux pays voisins se détournent du Port de Dakar, ou même de l’Ex-futur «Port du Futur», que pourra-t-on alors proposer à nos voisins ? Hier, le Premier ministre nous parlait de transparence dans la gestion du pays.
Sur ce point, s’il se vante de la bonne exploitation du pétrole, rien n’est dit de revenus tirés de ce pétrole vendu à l’extérieur, et de la part qui revient au pays. Comme d’ailleurs, rien n’est jamais dit de la destination des revenus de l’or tiré du Sud-est du pays, qui constituent les deux seules ressources qui permettent à notre économie de ne pas s’écrouler en ce moment.
La transparence dans la gestion devrait inciter nos dirigeants à être francs dans les orientations de leur politique économique, et surtout, les priorités de leur politique de redressement. La reddition des comptes est une bonne chose, mais elle ne pourrait marcher que si les ménages aussi y trouvent leurs comptes.
lequotidien