« Contre mauvaise fortune, bon coeur ». La loi portant amnistie de 2024 était mauvaise ; celle dite interprétative de 2025 est pire. Heureusement, le Conseil a redressé les lignes tordues pour que la locomotive (TER ou BRT) ne déraille pas. Il faut arrêter la romance de l’échec et la célébration d’une défaite.
C’est avec effarement que j’ai écouté l’honorable député, initiateur de cette loi dite interprétative (PASTEF), prétendre que le CONSEIL CONSTITUTIONNEL lui a donné raison et que la loi dite interprétative n’a pas été rejetée.
Pour cela, il invoque des considérants contenus dans la décision.
Mon cher ami sait pertinemment qu’en droit, lorsqu’il s’agit de commentaire d’arrêt (exercice juridique à maitriser dès la première année), on commente la décision de justice, c’est à dire le dispositif donnant le verdict qui répond à la question posée par le requérant.
Sur cette base, le Conseil a bel et bien annulé l’article premier de la loi dite interprétative tel que sollicité par l’opposition parlementaire et du coup, le champ d’application de la loi antérieure reste inchangé.
C’est en commentant ce verdict qu’il faudra l’étayer par les considerants et non l’inverse.
Comme tout bon juriste, mon cher Amadou sait très bien qu’un considérant n’a aucune valeur normative, il n’est qu’une motivation à l’appui de laquelle repose le dispositif final, qui seul, s’impose erga omnes.
Un considérant n’est que le soubassement, l’argumentaire sur lequel et par lequel le juge justifie sa décision qui est ici, une décision d’inconstitutionnalité : ni plus, ni moins.
Dès lors, en matière de contrôle de constitutionnalité, lorsqu’une loi interprétative est déclarée contraire à la Constitution, elle est retirée d’office et ouvre application effective à la loi qu’elle était censée interpréter.
Pour dire que le Conseil constitutionnel ne lui a pas donné raison.
Il a rejeté sa proposition dont l’essentiel et le principal étaient contenus dans l’article premier de sa loi proposée. Plus, le Conseil ne s’est pas prononcé directement sur la loi du 13 mars 2024 portant loi d’amnistie, aucunement et nulle part.
En l’espèce, il a juste rappelé le périmètre d’une loi d’amnistie qui ne saurait outrepasser les textes du droit international au nom du principe du jus cogens qui pose l’imprescriptibilité de certaines infractions criminelles nommément citées.
Par ricochet, la loi portant amnistie du 13 mars 2024 s’applique aujourd’hui intégralement et totalement comme elle l’a été à la situation ante, après sa promulgation. Etant donné qu’en principe, aucune loi d’amnistie ne remet en cause l’indemnisation des droits des tiers et des victimes, l’imprescriptibilité est sauve. Et lors des procès à venir, le juge ordinaire en tiendra compte.
Donc, loin d’une petite censure comme il le dit, c’est un immense rejet puisqu’il s’appuie non pas sur un principe qui pouvait à lui seul suffire mais il a invoqué deux grands principes à valeur constitutionnelle : celui de l’intelligibilité, devenue un objectif à valeur constitutionnelle, et celui de la non rétroactivité des lois pénales plus sévères.
Seule la loi portant amnistie s’applique avec cette décision du Conseil constitutionnel et dans toute son entièreté.
C’est tout le sens, en droit, d’une loi déclarée anticonstitutionnelle surtout si elle était présentée comme interprétative.
Concernant la portée de cette décision, à savoir ses conséquences, elle se décline en trois temps :
_D’abord, la réaffirmation des objectifs à valeur constitutionnelle que le législateur doit impérativement respecter ;
_ensuite, le rappel de ce qu’est une loi interprétative qui ne doit ni innover, ni obscurcir, sinon elle devient modificatrice ;
_et enfin, le rappel de l’indépendance de la Justice à travers le rôle d’aiguillon et de régulateur que joue le Conseil constitutionnel dans l’espace politique et de l’ancrage de l’Etat de droit avec « la politique saisie par le droit » comme le prédisait le Doyen Louis FAVOREU.
Le Conseil nous enseigne aujourd’hui une maxime : on peut avoir politiquement raison parce qu’on est majoritaire au perchoir mais juridiquement tort parce qu’on n’a pas respecté la Constitution devant le prétoire.
Mounirou SY
Maître de conférences à l’université Iba Der THIAM de Thiès
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