Le débat d’idées organisée par l’Institut français du Sénégal à Dakar, autour du thème : «Littérature-monde : Enjeux et perspectives d’un concept de rupture», a vécu hier au nouveau bâtiment administratif de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.

L’écrivain et essayiste franco-congolais, Alain Mabanckou, a pris la parole pour décrypter les complexités et défis de la littérature africaine.

Devant un parterre attentif, composé d’étudiants et de professeurs, Alain Mabanckou n’a pas mâché ses mots pour décrypter les complexités et défis de la littérature africaine. «Les civilisations africaines sont aussi importantes que toutes les civilisations que l’on nous a présentées jusqu’alors comme étant supérieures», a-t-il déclaré d’emblée.

Premier écrivain d’expression française à siéger au jury du Booker Prize, l’un des plus importants prix littéraires au monde, Alain Mabanckou était, ce mardi, l’invité de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, où il a animé un débat d’idées sur le thème : «Littérature-monde : Enjeux et perspectives d’un concept de rupture» ; un thème qu’il manie avec une dextérité rare.

Ainsi, cette rencontre de l’écrivain émérite et enseignant franco-congolais avec l’Ucad, après l’Université Gaston Berger de Saint-Louis le 8 juin dernier, organisée par l’Institut français du Sénégal, s’inscrit dans le cadre de sa tournée africaine. Alain Mabanckou se réjouit d’être au Sénégal, no­tamment à l’université Cheikh Anta Diop pour, dit-il, «honorer» Cheikh Anta Diop, cet «homme» qu’il n’a pas rencontré.

«Je suis venu chez moi. Je suis venu chez un Peuple que je connais.

Je suis venu vers un Peuple que j’ai croisé au Congo Brazzaville parce que notre économie était tenue par l’Afrique de l’Ouest», se réjouit-il.

Revenant sur ses propres interrogations et son parcours littéraire, l’auteur de Mémoires de porc-épic et Petit Piment a partagé ses réflexions sur la colonisation culturelle. «Est-ce que la littérature dans laquelle je me plongeais exprimait l’intégralité de mon identité ? Quelle était donc cette littérature ?

C’était la littérature européenne, en particulier la littérature française, parce que si vous avez été colonisé par la France, littérairement, vous serez colonisé par Victor Hugo, Verlaine, Marcel Proust. Et quand vous commencez à écrire vous-même, vous faites forcément allégeance à ces grands auteurs», a-t-il rappelé, sur un ton grave et posé.

Alain Mabanckou, dans son exposé, a souligné la nécessité pour les écrivains africains de se réapproprier leur propre récit et de sortir de l’ombre imposée par leurs homologues européens. «Pendant longtemps, les écrivains africains ont été en quelque sorte des épigones. Et donc, nous sommes tous les enfants de la littérature française.

Je le dis tout simplement parce que la littérature africaine en français a existé parce qu’étant née en France», a-t-il affirmé, avant de préciser : «Nous ne retrouvions jamais notre portrait dans cette littérature, notre vie quotidienne y était absente.» Il évoque les grands noms de la littérature française et africaine, réminiscence d’épisodes marquants, soulignant la contribution inestimable des écrivains africains à la culture mondiale.

Les noms de Mariama Bâ, Aminata Sow Fall, Ken Bugul, Sembène Ousmane, Ousmane Socé Diop, Mouhamed Mbougar Sarr, Cheikh Hamidou Kane et Seydou Bodian Kouyaté, entre autres, flottaient dans l’air comme des esprits bienveillants, guidant sa réflexion.

L’écrivain a également évoqué les contraintes multiples qui ont freiné l’expression des auteurs africains à travers les époques, des régimes coloniaux aux dictatures post-indépendances. «Les écrivains africains, qu’ils le veuillent ou non, sont de nouveaux marabouts modernes. Certains sont dans le sens du respect de la tradition, d’autres dans le sens de la mondialité.

D’autres encore sous une sorte de mixité entre la modernité et la tradition.

Je pense que la littérature a fonctionné de cette manière», a-t-il expliqué. Avant de poursuivre : «Les écrivains de cette époque coloniale ne pouvaient pas s’exprimer comme ils le voulaient parce qu’en face d’eux, il y avait la puissance coloniale.»

Puis, se rappelle-t-il, une fois les indépendances acquises, d’autres obstacles sont apparus.

«En face d’eux, il y avait des régimes dictatoriaux. Puis, les écrivains, après les régimes dictatoriaux, ne peuvent pas s’exprimer sans qu’on ne les accuse d’être les valets de la France, devant l’Afrique aux enchères.

Et donc, nous avons recherché pendant longtemps la libération de cette littérature africaine écrite en français puisque la France ne reconnaissait pas cette littérature comme étant une littérature française… Donc, tout l’enjeu voulu consistait maintenant à voir comment placer la littérature africaine à côté de la compétition.»

Dans ce contexte, dit-il, la notion de littérature-monde en français émerge comme une réponse aux cloisonnements culturels et littéraires.

«La littérature-monde en français, c’est cette littérature qui n’a plus de centre. C’est une littérature qui tire sa sève non seulement des lieux d’origine de ses créateurs, mais aussi des endroits de rencontres», a souligné Maban­ckou, qui ajoute que ce qui compte désormais, «ce n’est pas la nationalité des écrivains, mais la force de l’imaginaire, et cet imaginaire est forcément coloré par les lieux de naissance et d’origine».

A la fin du débat, les étudiants, livres en main, ont profité de l’occasion pour obtenir des dédicaces et échanger quelques mots avec celui qui a remporté le Prix Renaudot en 2006 pour Mémoires de porc-épic et le Prix Liste Goncourt pour Petit Piment. Alain Mabanckou, informe le Pr Ibrahima Wane, qui a fait sa présentation, est auteur de plus de 40 ouvrages traduits en une quinzaine de langues.

Il s’est fait aussi l’avocat des grandes causes, notamment la liberté d’expression, la lutte contre les injustices et les préjugés raciaux.

Son documentaire Noirs en France, réalisé en 2022 avec Aurélia Perreau, fut également mentionné par le professeur de littérature orale, M. Wane, qui a rappelé l’importance des combats de l’écrivain Alain Mabanckou.

Lequotidien

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