Humoristes africains (5/7). Le trentenaire, qui s’est fait connaître dans son pays en publiant des vidéos sur YouTube, veut élargir son public à l’Afrique francophone.

Mahfousse rit déjà à l’idée du traquenard qu’il est en train d’échafauder. Ce matin-là, il répète avec quatre acteurs la caméra cachée qui sera tournée plus tard dans la journée. La cible : le célèbre comédien Gora, auquel un faux producteur doit faire miroiter un contrat aux Etats-Unis avant que l’affaire tourne court quand la « fille » de ce dernier déclenche un scandale, accusant l’acteur de comportement inapproprié.

« J’aime bien piéger les gens et les faire sortir de leur zone de confort », assume le Sénégalais de 32 ans. La clé de la réussite est simple : un scénario de départ, beaucoup d’improvisation et trois caméras cachées dans des cartons.

Chaque semaine, l’émission hebdomadaire « Prank Star », devenue sa marque de fabrique, fait plusieurs centaines de milliers de vues sur YouTube. Le succès lui vaut une telle notoriété qu’il ne peut plus jouer lui-même les sketchs et doit embaucher des acteurs afin de maintenir la surprise. Avec 400 000 abonnés sur Facebook, plus du double sur YouTube et Instagram, Mahfousse – de son vrai nom Cheikh Mahfousse Samb – fait partie des humoristes les plus influents du Sénégal.

Quand il a commencé en 2014, pourtant, rien n’était évident. Il peine à trouver son public quand, inspiré par les youtubeurs français Cyprien ou Norman, il interprète des personnages variés dans des saynètes humoristiques mises en ligne. Le comique n’hésite pas à se déguiser en femme et à mettre des perruques, notamment pour se « moquer des filles qui font des vidéos ou des selfies avec des bouches de canard ; beaucoup disaient que j’étais homosexuel, c’était dur », se rappelle-t-il.

Hormis sa mère, installée en France et qui lui apporte un soutien sans faille, son entourage le traite de fou. On lui répète que ce genre de format ne marchera pas au Sénégal. « Mais je suis un résistant, je n’ai jamais voulu arrêter car j’y croyais », se targue-t-il. C’est en février 2015 qu’il commence à percer, grâce à une vidéo publiée au lendemain d’une coupure d’eau massive à Dakar. Cette parodie de la chanson L’eau est revenue, du dessin animé Kirikou, est reprise dans de nombreux médias en ligne et largement partagée sur les réseaux sociaux.

Des revenus de YouTube et de sponsors
Puis Mahfousse lance le concept qui va le faire vraiment connaître : la série « Tom et Jerry version africaine », où il joue le chat qui pourchasse la souris, interprétée par son petit frère. Dans un duo dynamique, ils pastichent les courses-poursuites des deux mascottes américaines, dans les chambres et la cour d’une maison familiale sénégalaise.

« Ces vidéos ont été regardées jusqu’au Bénin et en Côte d’Ivoire. J’avais gagné une grosse communauté africaine car il n’y a pas de textes, ce sont seulement des bruitages », explique-t-il, précisant non sans fierté qu’un des épisodes a même été partagé par le groupe de reggae jamaïcain Morgan Heritage.

Mais après s’être blessé dans une cascade, il préfère arrêter et se mettre à la caméra cachée avec son bras droit, Zé Actor. L’audience explose. « Les gens galèrent à trouver du travail et de l’argent au quotidien car la vie est devenue très chère. Avec ces vidéos, ils peuvent oublier leurs problèmes, les laisser de côté et rigoler pendant quelques minutes », estime Mamadou Ba, un acteur qui tourne régulièrement avec Mahfousse.

Après des années de galère à emprunter de l’argent à sa mère ou à des amis, l’humoriste arrive enfin à vivre de son activité artistique depuis quatre ans. « J’ai monétisé ma chaîne pour avoir des revenus, YouTube me paie chaque mois selon les vues, et puis je travaille avec des sponsors et des marques qui me rémunèrent. »

Il fait ses premiers pas sur scène en 2019 au « Parlement du rire », un événement organisé par Canal+ Afrique, où il raconte ses souvenirs d’école. « Cette belle expérience m’a poussé à aller davantage sur la scène… C’est bien de faire rire derrière son téléphone, mais devant un public c’est encore mieux. Ça te fait vivre ! »

Pas de politique ni de religion
Pour susciter l’hilarité, l’artiste s’inspire de l’actualité, comme le Covid ou les manifestations de rue, n’hésitant pas à s’engager auprès de la population. « Dans une caméra cachée, nous avons rendu hommage à toutes les personnes qui ont laissé leur vie lors des émeutes de mars 2021 [plusieurs jours de soulèvement populaire contre les autorités avaient fait une douzaine de morts] », rapporte Zé Actor, qui précise que le duo reste tout de même apolitique. « Nous ne pouvons pas enfreindre les règles de la société sénégalaise », indique-t-il.

La religion, les ethnies… Mahfousse préfère ne pas toucher à ce qu’il ne maîtrise pas : « J’ai déjà regardé ailleurs des caméras cachées tournées dans les églises, mais c’est impossible ici au Sénégal, car nous devons respecter notre culture. Tout ce que je peux faire, c’est demander au président Macky Sall d’écouter la population, mais sans jamais dire pour qui voter. »

Le jeune homme veut maintenant se développer à l’international. Il prévoit notamment d’ajouter des sous-titres en français à ses vidéos tournées en wolof, afin d’élargir son public africain. « Et le ministère de la culture doit nous aider à développer la scène du stand-up et financer des salles de spectacle pour que nous puissions jouer davantage et porter les couleurs du Sénégal », dit-il.

S’il n’a jamais accepté de tourner dans des feuilletons sénégalais, c’est qu’il affirme vouloir créer un jour sa propre série dans laquelle il pourrait jouer. Et, pourquoi pas, devenir l’Omar Sy du Sénégal.

lemonde

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