D’où est venue l’idée de ce roman ?

L’idée de ce roman est venue après les assauts de Ceuta et Melilla il y a quelques années, en 2006 je crois. Plusieurs migrants ont trouvé la mort en tentant le passage. Ensuite, en 2009, il y a eu un jeune sénégalais, Alioune, le fils de Yayi Bayam Diouf, qui a embarqué dans une pirogue avec 80 jeunes et ils sont tous morts. Ces deux évènements m’ont vraiment marquée et m’ont donné envie d’écrire cette histoire de migrants qui tentent l’aventure, qui quittent leur pays et es­saient d’arriver jusqu’en Eu­rope. D’abord, ils tentent par les Îles Canaries et ils échouent, ensuite, ils prennent la route du désert. L’idée du roman était de raconter leur périple de Dakar jusqu’à ces deux enclaves.

Une partie des bénéfices a été donnée à Yayi Bayam Diouf à qui le roman est dédié. Quels liens avez-vous avec elle ?
Effectivement, on a décidé de remettre une partie des bénéfices à Yayi Bayam Diouf. Parce que d’abord le roman lui est dédié et c’est aussi une façon de lui reconnaître son action autour de cette association qu’elle a montée, le Collectif des femmes contre la migration clandestine (Coflec) et qui emploie des jeunes et des femmes dans la transformation du poisson local, qui fait des formations dans des activités génératrices de revenus. Je n’ai aucun lien particulier avec elle si ce n’est que son histoire m’a profondément marquée et que j’ai suivi son parcours, et comment elle se bat au quotidien pour retenir les jeunes en Afrique. Ça m’a tellement émue que j’ai décidé de lui dédier le livre et de donner une partie des bénéfices pour soutenir son association. Une partie lui a été reversée pendant mon séjour à Dakar et nous reviendrons lui remettre encore une autre partie de la vente des livres. C’est simplement une manière de la soutenir et c’est purement symbolique.

Le roman a été écrit à la manière d’une enquête journalistique. Avez-vous suivi vous-même le parcours de ces migrants ?
C’est vrai que c’est écrit comme une enquête journalistique avec une sorte de road trip. Les quatre personnages quittent Dakar et prennent la route. On a Alain qui est journaliste, qui est un peu le fil conducteur. Il les suit pendant un moment et raconte son périple avec son carnet de notes. C’est une manière de comprendre le trajet que ces migrants font d’un pays A à un pays B avec tous les risques que cela comporte. Je n’ai pas suivi des migrants dans le désert, mais j’ai été aux Iles Canaries où j’ai rencontré beaucoup de migrants et j’ai essayé de comprendre comment ça se passait à leur arrivée là-bas dans les pirogues. J’ai aussi rencontré pas mal d’organisations comme la Croix-Rouge, des migrants sur place qui m’ont raconté comment ils ont réussi à arriver sur place en Espagne et pour le désert, j’ai interrogé beaucoup de rapports, fait de la documentation et parlé avec des journalistes, lu des articles de presse, appelé des organisations comme l’Oim, le Croissant-Rouge mauritanien et Médecins sans frontières. J’ai vraiment fait un travail de documentation très poussé et la géographie des pays, les villes que je mentionne, je les ai étudiées. Je me suis basée sur des faits et des chiffres pour pouvoir écrire et habiller la trame du roman.

Particularité de vos personnages, tous avaient une activité professionnelle avant d’aller à l’aventure. Que dit ce choix sur les motivations des jeunes migrants ?
Tous ces migrants avaient effectivement un métier. Il y a Badu qui était tailleur, Djibril qui travaillait comme mécanicien dans un garage, Mor qui travaillait dans les décharges publiques. Et il y a Lady qui est une jeune artiste qui rêve de se fixer à l’étranger. Ils ont tous des motivations personnelles. C’est pour dire que le profil des migrants est variable. Nous avons toutes sortes de gens qui un jour, ont envie de changer d’horizon, en ont marre de leur condition et rêvent à un mieux-être. Et ils se disent pourquoi ne pas tenter notre chance en Europe. Je pense qu’ils ne sont pas conscients des risques et même ce qu’ils voient à la télé et dans les médias, ne les démotive pas. Mais jusqu’où peut-on risquer sa vie pour atteindre cet eldorado quand on sait à quel point c’est difficile et comment les gens sont refoulés. Dans le désert, il y a des rapports effrayants de migrants qui sont rejetés, qui sont emprisonnés. Des migrants qui subissent des souffrances, des femmes qui sont violées. Quelque part, est-ce que cette jeunesse est consciente du danger qu’il y a à traverser un désert ou essayer d’embarquer dans une pirogue ? Les choix des migrants sont variables, les motivations sont variables et donc, je voulais un peu élargir à tout ça et aussi avec la forme, romancer mon récit parce que les personnages ont d’autres motivations. Et c’est un choix que je fais en tant qu’écrivaine. C’est moi qui dicte le destin de mes personnages.

Quelle leçon avez-vous apprise sur la migration dans nos pays en écrivant cet ouvrage ?
La leçon que j’apprends, c’est que ce phénomène migratoire n’est pas encore bien maîtrisé. Et par nos Etats et par les jeunes eux-mêmes. Je pense qu’il y a beaucoup de «on-dit», beaucoup de non-dits. Des non-dits de la part de ceux qui sont partis et qui sont revenus ou bien de la part de ceux qui sont en Europe et qui peut-être, ne décrivent pas assez la réalité. Il y a aussi beaucoup de «on-dit» sur les passeurs, les conditions. Ceux qui vous racontent comment il faut y aller, qui il faut contacter. C’est véritablement un phénomène qui doit être mieux compris par la jeunesse. Et les Etats doivent s’en saisir parce qu’en dessous de tout ça, il y a des problèmes de gouvernance, de pauvreté, de chômage, de perspectives d’avenir pour les jeunes. Parce que si on se sentait bien là où on était, on n’aurait pas envie d’aller voir ailleurs. Aujourd’hui, il faut créer le débat davantage et ne pas laisser ce débat aller sur les sphères internationales. Ce débat doit aller dans les quartiers, dans les télévisions, partout. Les journalistes doivent s’en saisir, même s’ils le font déjà, mais ce débat doit arriver dans l’oreille des plus jeunes. On a des petits frères qui sont tentés de partir et il faut leur expliquer ce phénomène migratoire et quels sont ses composantes, dangers et risques. Il est important que chacun se saisisse de ces questions pour éviter ces drames qui surviennent davantage.

Il y a quelques semaines, au moment où votre ouvrage sortait au Mali, il y a encore eu des évènements tragiques à Ceuta et Melilla ! Que faut-il en penser ?
J’ai moi-même été surprise par ces évènements de Ceuta et Melilla. Et je me dis que plus que jamais, la question est d’actualité. Ce qu’il faut savoir, c’est que ces migrants sont terrés depuis des mois et des mois autour de Ceuta et Melilla en attendant le moment propice pour passer. Les autorités marocaines et espagnoles sont débordées. La question mérite d’être posée sur la table. Si ça s’est produit et qu’aucun de nos Etats ne réagit, il y a un problème. Cela veut dire que ces jeunes ne se sentent pas soutenus. Il y a vraiment un problème et les causes n’ont pas été attaquées. Il y a eu plusieurs assauts ces dernières années. Et il faut espérer que ça ne se reproduise pas. Mais que faut-il faire ? Il faut espérer que les pays africains se saisissent de cette question de la migration. De tout temps, les hommes ont migré mais il faut donner un visage plus humain à l’émigration et la rendre moins clandestine.

Quels espoirs avez-vous pour votre pays le Mali qui vit une situation compliquée ?
Mon espoir, c’est que le Mali retrouve sa stabilité très vite. Nous sommes dans une période de transition et qui dit transition, dit changements. Je prie pour que le pays retrouve sa stabilité parce que le Mali fait partie des pays sahéliens qui sont confrontés à beaucoup de défis. Défis sécuritaires, de gouvernance mais aussi pour les jeunes parce que parmi les migrants, il y a beaucoup de Maliens. Mon vœu, c’est que cet ensemble qui constitue le Sahel, retrouve sa stabilité. Mais les grands défis du Mali, ce sont la sécurité, la paix et le développement. Et c’est ce que je souhaite à ce pays qui est celui de ma mère.

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