Intitulé «Cesària Evora, la diva aux pieds nus», le film de la Portugaise Ana Sofia Fonseca dessine les contours de la personnalité de la chanteuse, décédée en 2011, qui fut l’ambassadrice du Cap-Vert sur les scènes du monde entier pendant près de deux décennies, tout en retraçant son parcours exceptionnel.Peu de chanteuses africaines ont rencontré un succès à l’échelle de la planète, inscrit dans la durée.
Avec sa musique et sa voix, Cesària Evora a marqué les esprits autant que les mémoires. Elle a mis l’archipel du Cap-Vert sur la mappemonde, tout comme Bob Marley avec la Jamaïque. Si le film que lui consacre Ana Sofia Fonseca revient sur ce qui peut légitimement être qualifié de conte de fées, au regard de la trajectoire personnelle et professionnelle suivie par la chanteuse disparue à 70 ans en 2011, son intérêt principal réside ailleurs.
«Je voulais que les spectateurs passent une heure et demie avec Cesària, qu’ils aillent dans sa maison avec elle, en tournée…», confie la réalisatrice portugaise.
Son challenge : trouver la structure narrative la plus efficiente pour obtenir cette proximité tout en racontant l’histoire de la Diva aux pieds nus, surnom repris dans le titre du film. Le travail porte autant sur la forme que sur le fond, pour proposer une quasi-immersion. Au plus près, grâce à de nombreuses archives audio et vidéo des uns et des autres, souvent amateurs, collectées et assemblées avec le sens du récit.
Sans éluder aucun aspect de la personnalité de l’artiste, mais sans trop appuyer le trait pour éviter de verser dans la caricature.
La musique, bien sûr, illustre le propos, mais les images de live sont rares. La focale est mise sur ce qui se passe avant, après, à côté. Parfois en studio, à l’image de cette séquence avec le Cubain Compay Segundo du Buenavista Social Club, à La Havane, pour une collaboration qui ne débute pas sous les meilleurs auspices !
La réalisatrice y a ajouté des images qu’elle a tournées ces dernières années au Cap-Vert.
Plus que des plans de coupe, elles complètent l’approche du personnage en montrant l’environnement qui a contribué à le façonner et demeure inchangé : la force de l’océan, du vent, les montagnes…
Le dosage global de tous ces paramètres, équilibré avec finesse, donne le sentiment d’être en permanence dans le vrai. Cela permet d’approcher sinon de comprendre cette femme au caractère affirmé que l’on entend dire plusieurs fois à des interlocuteurs différents et dans des contextes différents : «C’est moi qui décide !»
A sa façon, elle revendiquait sa liberté, quitte à être «marginalisée», souligne sa petite-fille.
Longtemps, «Cesària était juste une fille qui chantait et buvait, les gens la traitaient de pute, d’ivrogne… mais elle savait qui elle était et s’en fichait», rappelle Janete Evora. Sa grand-mère était «triste à cause de tout ce qu’elle a vécu», explique-t-elle. Ne lisait-on pas Le blues du Cap-Vert au-dessus de son nom sur la façade de l’Olympia, la première fois qu’elle s’y est produite en 1993 ?
C’était deux ans après l’album Mar Azul qui a marqué les débuts de sa carrière internationale, au moment où elle fêtait ses 50 ans.
«Elle n’a pas eu la chance d’étudier, mais même si elle ne parlait pas de sujets comme l’émancipation des femmes ou l’égalité des genres, elle les vivait au quotidien», relève Ana Sofia Fonseca, qui tient à mettre l’accent sur l’empathie de la chanteuse et sa générosité légendaire.
«Si je prends un verre, j’aime voir les autres boire aussi», reconnait Cesària dans le film. Son succès commercial a amplifié le phénomène : dans la maison qu’elle avait fini par s’acheter à Mindelo, sur l’île de São Vincente, elle distribuait ses gains sans compter à ceux qui, à toute heure du jour ou de la nuit, venaient la solliciter, un autre point commun avec le roi du reggae à Kingston.
«Je me demande comment cela a été possible de réussir pour une femme noire, pieds nus, dans une industrie obsédée par la beauté et la jeunesse», s’interroge a posteriori José Da Silva, son manager historique dont le rôle a été déterminant dans son ascension.
Convaincu dès le départ qu’avec elle, il allait «faire pleurer le monde», il a eu raison des arguments extra-artistiques qu’on lui a d’abord opposés, en défendant la capacité à émouvoir de sa protégée.
«Ça ne se fabrique pas dans un studio», résume à ce sujet le journaliste Bouziane Daoudi. Le film de Ana Sofia Fonseca permet d’en entrevoir la matrice.
Rfi