Bernard Pivot, figure emblématique de l’illustration et la défense de la langue française, s’il en est, n’est plus de cette vallée de larmes depuis le 6 mai 2024.

Personnellement, je m’incline devant sa mémoire, pas seulement par respect pour l’immense confrère : j’ai aussi envie d’emmerder les souverainistes, les panafricanistes, les indépendantistes, les fondamentalistes, les mauvais coucheurs, les frustrés de la quéquette et tous ceux que le complexe d’infériorité devant la culture française horripile…

Journaliste, écrivain, critique littéraire, présentateur d’émissions culturelles, parti à 81 ans, il laisse une œuvre considérable, au milieu de laquelle trône un espiègle petit lexique dont je me suis inspiré dans le recueil des « Sénégalaiseries » à paraître prochainement.

Colonisé un jour, colonisé toujours ?

Le principe est de créer un néologisme à partir du patronyme des acteurs politiques. Par exemple, selon un tweet de son créatif auteur, « Mélenchonner. Verbe mégalo. Définition : crier avec force “La République, c’est moi !”.

Exemple : cette amie de Marine Le Pen mélenchonne au moment de l’orgasme ».

Il ne m’en a pas fallu beaucoup pour procéder au transfert de compétence, comme en 1960, quand le Sénégal de Senghor et Dia devient une République avec l’onction de la France de De Gaulle.

Et donc, en avant-propos, j’explique : « C’est notre consœur bienveillante, Coumba Sylla, toujours inquiète de notre niveau de culture, qui nous envoie un jour, cette trouvaille de Bernard Pivot, le monstre sacré de la critique littéraire en Hexagone : un petit lexique inspiré des postures que prennent les acteurs de la scène politique en France.

Il ne s’en faut pas de beaucoup plus pour un transfert de technologie.

Notre truculente vie publique a de quoi inspirer une encyclopédie. Laquelle est sous vos yeux. En plus de quelques piqûres de rappel des événements de cette décennie, un petit lexique qui permet de comprendre les grosses années passées sous la coupe de Sa Rondeur Macky.

Par exemple, comment il a abdoudioufé le père Wade. Vous avez bien lu : « abdoudioufé ». Comprenez faire preuve de servilité jusqu’à être installé au pouvoir et se montrer d’une ingratitude sans borne »…

D’autres joyeusetés du même style s’y bousculent gaillardement.

Par exemple, pour expliquer par quelles mackyavéliques sonkonneries le pouvoir finit par échouer entre les mains de l’invité de dernière minute. Les définitions des deux néologismes vous attendent dans l’inestimable encyclopédie.

Je m’en arrête là : le redoutable homme d’affaires qui sommeille en Madiambal Diagne s’est réveillé pour sortir sa calculette et me facturer la publicité clandestine.

Je nierai jusqu’à la dernière énergie…

Tout ça pour vous narrer le séjour de l’insoumis français Jean-Luc Mélenchon sur invitation du patriote Ousmane Sonko qui le reçoit à l’UCAD dans une tenue que je me garde de qualifier pour éviter de rejoindre Bah Diakhaté en préventive : le cher monsieur aurait vexé un collaborateur du président détenteur de la légitimité de son patron à faire appliquer l’article 80 et tout ce qui lui ressemble dans le code pénal.

Ce n’est pas un remake du « flagrant délit continu » de 1994 mais ça y ressemble ?

Dans l’amphi, il y a là un parterre de patriotes enamourés de leur Français préféré, le seul qui sera autorisé à séjourner sous nos cieux et peut-être le dernier des Gaulois habilité à nous assister à vendre le pétrole et le gaz quand toute la France dégagera, bidasses, ambassadeurs, négociants et touristes compris.

On voit déjà d’ici le charter qui les renverra en quatrième vitesse en Hexagone : c’est le coucou de Transair sous la bannière d’Air Sénégal qui vient de sortir de piste et qu’on fera rafistoler avec du fil de fer, du zinc et du carton-pâte par quelque bricoleur sénégalais audacieux. Vous savez bien, le genre qui affiche sur son enseigne « plombier » mais qui vous assure qu’il est de taille à réparer une panne d’avion.

Un authentique Sénégalais, pour résumer.

Première nouvelle, Mélenchon qui revendique la primeur de la loi sur le mariage gay, est hétéro. Il aurait été homo, ça changerait la fesse du monde ? Cette fois-ci, l’Insoumis suprême ne clame pas avec fureur qu’il est, à lui tout seul, la République, mais on sent bien qu’il se retient pour ne pas tonner : « Le sexe, c’est moi ! ».

Ce serait faire preuve de malséance : on ne parle pas de cornes dans la maison d’un cocu.

Bah Diakhaté m’aurait demandé mon avis, je lui aurais conseillé d’éviter même de philosopher sur le sexe des anges. Il y a des sujets qui refilent de l’urticaire au nouveau régime.

Et même des expressions devenues suspectes : par exemple, vous ne pouvez plus considérer deux amis d’enfance un peu canailles comme des gais lurons, ou leurs rapports de cul et chemise. Quant aux randonnées à vélo, comme toute activité qui impose de pédaler, vous seriez avisé de ne pas en parler.

Le froufrou devra aussi se réformer : la dentelle pourrait vexer en haut lieu. Habiter seul avec sa maman et avoir pour seule compagnie un perroquet, deux canaris et une chatte, non plus, mieux vaut éviter de fanfaronner à ce propos…

Plus généralement, les maux de dos, les lombaires tordues, les sciatiques d’enfer relèvent de l’information sensible, et la kiné, tout comme la sociologie après Mai 68 à Dakar, devient une science bannie : ce n’est plus une thérapie mais un appel à l’insurrection dont l’enseignement relève du trouble à l’ordre public, et ses praticiennes, des politiciennes encagoulées qui attentent à la Sécurité de l’Etat…

Se prénommer Adji et porter Sarr comme patronyme ressemblerait à de la provocation. Quant à se faire appeler Raby…

Pour dire les choses simplement, depuis quelque temps, le sexe dans le texte est un casus belli par derrière nos frontières.

Maderpost

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