Le 24 mars 2024, les citoyens sénégalais ont élu, dès le premier tour et à une majorité de 54,28 % des voix, le candidat Bassirou Diomaye Diakhar FAYE 44 ans, comme leur cinquième Président de la République. Une ère nouvelle s’annonce–t–elle dans notre pays ?

En effet, une fois les résultats provisoires connus, un faisceau de convergences s’est dessiné, annonciateur d’un vent de changement qualitatif dans les comportements.

En effet, l’unanimité s’est dégagée autour de la bonne organisation de l’élection présidentielle, parce que les Sénégalais de tous les continents ont accompli leur devoir citoyen dans la sérénité.

Puis, les principaux acteurs politiques ont échangé des civilités, contre toute velléité de contestation des résultats.

Le 28 mars, le Président sortant Macky SALL reçoit le Président entrant Bassirou Diomaye Diakhar FAYE au Palais de la République, avec le bénéfice d’une visite guidée. Et le 29 mars, le Conseil constitutionnel proclame les résultats définitifs, sur la foi des résultats provisoires transmis par la Commission nationale de recensement des votes, aucun recours n’ayant été déposé par les autres candidats.

Assurément, un vent de ré-enchantement, parce que de vécu des valeurs de civilisation sénégalaises, souffle la Paix sur le pays de la Téranga, voire sur l’Afrique–mère.

D’ailleurs, les très nombreuses réactions positives qui fusent du monde entier, confortent l’opinion déjà ancienne sur un grand peuple sénégalais profondément attaché à l’expression démocratique de ses aspirations autant que de ses exigences, quel qu’en soit le prix.

  1. La Culture et l’esprit de Civilisation.

La civilisation est l’ensemble des valeurs à considérer comme les solutions les plus stables et partagées, face aux problèmes de survie de la collectivité. Naturellement, ces solutions concernent tous les domaines dans lesquels l’être humain est obligé d’exercer sa créativité afin de survivre.

Tandis que la culture en est l’esprit grâce auquel la dignité de créer fait du geste technique l’éclat spirituel de son humaine condition.

La manière avec laquelle le geste est posé représente sa dimension esthétique. Aujourd’hui, c’est une séquence électorale qui en administre la preuve vivante et rappelle du coup tout le potentiel du génie sénégalais. Dès lors, la culture se trouve bien ancrée au cœur du projet de Développement économique et social.

Parmi les enseignements à tirer d’une telle atmosphère émanant des résultats électoraux aussi historiques, figure l’importance de la contribution de l’ensemble des Sénégalais, chacun là où il est, aux chantiers qui s’annoncent pour le Développement du Sénégal, notre pays.

D’ailleurs, dès sa première déclaration, Le Président Bassirou Diomaye Diakhar FAYE a décliné ses priorités, toutes orientées vers les choix de vie, qu’il a déjà proposés aux Sénégalais dans LE PROJET, le livre–programme du candidat qu’il était.

Son discours à la Nation du 3 avril, à la veille de la commémoration du 64è anniversaire de notre Indépendance, en a livré un éclairage de taille : « … défendre la liberté de notre peuple et ses valeurs de culture et de civilisation. » C’est pourquoi, le présent article se voudrait une contribution pour une refondation de la politique culturelle du Sénégal.

  1. La Culture au cœur du Développement.

Disons – le d’emblée : Un projet de Développement économique et social a pour objectif de rendre meilleures les populations d’une Nation, en leur concédant le droit de vivre partout et à tout instant, les valeurs de civilisation héritées de leur histoire. Celles–là même qui font de la diversité de ses composantes humaines, une grande Nation dont la seule évocation du nom, suscite un sentiment de respect voire d’admiration.

Cela revient à accepter que la Culture comme esprit de la civilisation, est bien la source–centre-première des choix de vie du peuple sénégalais avec les comportements éthiques absolument conséquents.

Cependant, si la Culture doit être ainsi « au début et à la fin du Développement, si « la Culture doit être partout présente et préséante » et si la Culture doit être le lien et le liant de « notre commun vouloir de vie commune », comment expliquer les errements sur des décennies, connus par les projets successifs de Développement économique et social promis par chaque attelage gouvernemental qui passe ?

  1. Regard sur la politique culturelle.

Il faut reconnaître que depuis l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale en 1960, la présence d’un ministère en charge de la Culture reste une constante. La politique culturelle, définie dans ses orientations et impulsée par le Président de la République, imprime l’action culturelle nationale, mise en œuvre par un ministre qui en reçoit la charge.

A partir du niveau central, le champ d’action s’étend vers les structures décentralisées associées à leurs entités partenaires, avec un volet important consacré à la coopération internationale.

En outre, au nom de la solidarité gouvernementale et au gré d’initiatives culturelles nationales ou d’évènements internationaux, les autres ministères trouvent matière à collaborer en interaction avec le Département chargé de la Culture, au bonheur des acteurs nombreux des Arts, des Lettres et du Patrimoine culturel dans ses dimensions matérielles et immatérielles.

L’organisation du DAK’ART, la Biennale de l’art contemporain africain, est illustrative de cette synergie d’actions porteuses de l’image du Sénégal, sous la houlette du Président de la République, « Premier protecteur des Arts et des Lettres » (Cf. Article 42 de La Constitution)

Cependant, malgré des acquis indéniables, impliquant l’ensemble des ordres de la création artistique, cinématographique et littéraire, le contenu de notre politique culturelle, dont la vigueur a baissé d’intensité depuis la période senghorienne, ne mériterait–il pas une réorientation visant un meilleur vécu des valeurs de la civilisation sénégalaise ?

En effet, si nos cinéastes, écrivains, artistes des arts visuels et scéniques nous valent bien des lauriers sur la scène internationale, un double manquement persiste.

D’une part l’appui institutionnel n’est pas toujours au rendez – vous, lorsque nos créateurs ont pris rendez–vous avec leurs pairs ou avec leurs publics, sur le territoire national comme à l’étranger.

D’autre part, la relation d’Enracinement dans les valeurs de civilisation sénégalaises, demeure timide devant le besoin d’inspiration de nos créateurs d’œuvres de l’esprit et d’exaltation de notre patrimoine culturel immatériel essentiellement porté par nos langues nationales.

Or ces dernières, bien que faisant l’objet de transcription, d’enseignement et d’édition de livres, peinent à révéler davantage le potentiel ainsi que les atouts des populations dans la réappropriation des valeurs de civilisation à vivre et à partager.

En outre, la crise du modèle occidental de civilisation, dont les effets néfastes sont amplifiés par les technologies numériques, menace notre cohésion sociale et surtout nos intégrités identitaires.

Si bien que nous avons besoin plus que jamais, des ressorts de notre identité et de notre créativité, en mobilisant nos capacités de résilience et de projection sur le chemin du Développement – épanouissement.

  1. La nécessité d’une réorientation.

Le Président Léopold Sédar SENGHOR avait formulé le principe de l’Enracinement et de l’Ouverture comme orientation majeure de la politique culturelle. L’objectif était, pour construire la nouvelle civilisation sénégalaise, de recourir à nos valeurs de civilisation héritées de notre histoire, avant de nous ouvrir à celles fécondantes des autres civilisations afin d’aboutir à une symbiose, un métissage. Ainsi, l’action culturelle devait emprunter deux axes majeurs.

D’une part, au titre de l’Enracinement, le Patrimoine culturel avec ses dimensions matérielles et immatérielles devait faire l’objet d’inventaire, de sauvegarde, d’animation voire de promotion.

Ainsi, avec un héritage mieux connu, les Sénégalaises et les Sénégalais trouveraient aisément et durablement les assises de leur commun vouloir de Développement économique et social fait de résilience, de vivre ensemble et surtout de créativité individuelle et collective.

D’autre part, au titre de l’Ouverture, les expressions contemporaines artistiques, littéraires, cinématographiques et de l’artisanat créateur, devaient connaître un appui institutionnel vigoureux et multiforme permettant de faire de leurs œuvres de création respectives, de véritables ambassadeurs de la culture sénégalaise.  

          Mais une telle volonté politique, bien que louable, n’a pu vaincre certains déséquilibres.

Au niveau du Patrimoine culturel, dominent les actions en faveur des sites et les monuments historiques des villes, au détriment du Patrimoine immatériel des contes et légendes exprimés surtout dans les langues nationales, elles – mêmes en défaut de transcription.

Le service des Archives culturelles et le Centre d’études des Civilisations, préposés aux missions d’investigations et de restitutions culturelles, ont fini par succomber aux ajustements structurelles des années 80. Pourtant, dès son accession au pouvoir, le Président Abdou DIOUF a tenté un double rééquilibrage.

D’une part, étendre l’intérêt de la politique culturelle au patrimoine culturel immatériel et d’autre part porter les actions culturelles au – delà des villes. 

Le projet de Charte culturelle nationale devait proposer les voies et moyens des nouveaux équilibres.

Au niveau de la création contemporaine artistique et littéraire, avec la participation des auteurs aux manifestations nationales et internationales, les œuvres ont connu certes, une diffusion qui les fait participer à la diplomatie culturelle et à l’attractivité de la destination Sénégal.

Cependant, il reste à renforcer les outils de cette diffusion, afin de favoriser l’intérêt des Sénégalaises et des Sénégalais à cette création contemporaine porteuses des valeurs de la civilisation à intégrer davantage dans leur comportement de tous les jours.

Les industries culturelles peuvent contribuer aux performance attendues, avec la dimension économique attendue de leur gestion financière et de la protection des Droits. Le cinéma et le Théâtre possèdent un potentiel appréciable.

En outre, une communication médiatique soucieuse de déontologie, pourrait conjuguer ses atouts avec ceux des actions fondamentales d’enseignement portées par les institutions de recherches, d’éducation et de formation.

  1. La Culture, la Citoyenneté et le Patriotisme.

Certes, l’image du Sénégal reste celle d’un pays de Culture. Mais quelle est la réalité des impacts de la politique culturelle sur le Développement– épanouissement des populations ? Comment expliquer cette dégradation du comportement de Sénégalais de plus en plus nombreux par rapport à nos valeurs de civilisation, héritage des Anciens ?

Ce qui est communément appelé crise des valeurs, au lieu de crise des individualités, connaît une progression révélatrice d’autres manquements à bien des niveaux :

_l’éducation à la citoyenneté et au patriotisme ;

_l’adéquation formation/employabilité, la créativité dans la gestion des entreprises ;

_la place du civisme dans la fonction publique ;

_la convivialité dans la vie associative ;

_le fair – play dans le sport, la sauvegarde de l’environnement physique et sonore dans la vie quotidienne, etc.

Les distorsions régulièrement déplorées ne viendraient – elles pas d’une compréhension insuffisante de nos hautes valeurs de civilisation moins sauvegardées par le vécu, parce que moins expliquées, moins contées, moins enseignées, moins surveillées, moins promues ? N’oublions pas le déferlement de la violence, d’une révélation inouïe. Une gangrène à extirper au plus vite de notre corps social.

  1. Le bien vivre-ensemble.

La parenté ou le cousinage à plaisanterie, tels qu’ils sont vécus au Sénégal et dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest, se pose comme un formidable outil de gestion des relations sociales, du bien vivre-ensemble. Sa pratique collective généralisée devrait être promue dans le cadre d’une nouvelle centralité de nos langues nationales.

Car l’assimilation et la perception des principes de ce type relationnel sont fortement amoindries en dehors des langues nationales.

Basé sur le principe du maître et du serviteur et faisant aussi obligation d’assistance mutuelle entre correspondants, la parenté ou cousinage à plaisanterie porte le secret de pouvoir annihiler toute velléité de tension naissante, avec la bonne humeur en prime.

A travers une option pareille des relations sociales, c’est tout notre patrimoine culturel immatériel, grâce à ses mythes, ses vertus et ses enseignements, qui se trouverait mis à l’honneur, pour sous – tendre le vécu du Sénégalais nouveau.

  1. Pour une politique culturelle de renouveau : l’héritage comme source de créativité et de progrès.

Le projet de Charte culturelle nationale, une rédaction collective de toutes les couches de la population, se proposait déjà d’esquisser les qualités essentielles de ce qui était appelé alors Le Sénégalais nouveau ou Le Sénégalais de demain : « La nouvelle politique culturelle vise à faire de tous les Sénégalais des hommes assumant pleinement leur héritage culturel, tout en restant ouverts aux valeurs de la modernité.

Ils devront notamment incarner un certain nombre de valeurs culturelles et sociales susceptibles de favoriser l’épanouissement des individus et des groupes dans une société libre, démocratique et solidaire. 

Dans cette perspective, la Jeunesse a un rôle fondamental à jouer :

  • participer pleinement aux actions de développement économique, social et culturel ;
  • jouir pleinement des acquis d’un système éducatif et de formation moderne ;
  • aspirer à s’investir avec compétence et efficacité dans le processus de développement national. »

Il est aisément perceptible que ce projet de Charte culturelle nationale présentait les valeurs de civilisation sénégalaises contenues dans le patrimoine culturel, comme les références majeures dont devait se nourrir la Jeunesse porteuse de tous les espoirs, mais aussi bénéficiaire de toutes les attentions.

En 2008, Les Assises nationales, présidées par le Patriarche Amadou Mahtar MBOW, renouvelaient les mêmes préoccupations d’ordre civilisationnel.

C’est tout cela aussi qui fonde la protection et la promotion de la création contemporaine dans les Arts et les Lettres. Ce sont nos remparts esthétiques indispensables à nos équilibres internes et à nos dialogues avec le monde.

La récente Loi portant Statut de l’Artiste et des professionnels de la Culture va dans le sens de l’histoire.

Sa mise en œuvre sera de nature à conforter, au cœur des chantiers du futur, la contribution des créateurs d’œuvres de l’esprit, leur héritage en bandoulière. L’histoire des peuples enseigne que la vocation de la création artistique et littéraire est de porter l’affirmation de toute souveraineté éprise de créativité.

Alioune BADIANE

Président de l’Académie Internationale des Arts

Ancien Directeur des Arts

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