Actrice principale de «Moolaadé», Fatoumata Coulibaly s’est montrée capable de se mettre dans la peau de Collé Ardo, personnage principal de «Moolaadé», 20 ans après la sortie de ce film, le dernier du cinéaste sénégalais Sembène Ousmane, décédé le 9 juin 2007 à Dakar.
A soixante ans passés, Fatoumata Coulibaly garde cette capacité à se remettre dans la peau de Collé Ardo, personnage principal de Moolaadé, 20 ans après la sortie de ce film, le dernier du cinéaste sénégalais Sembène Ousmane, décédé le 9 juin 2007 à Dakar.
Le personnage de Collé Ardo, incarné par Fatoumata Coulibaly dans ce long métrage consacré à la problématique de l’excision, lui va comme moteur d’un conditionnement, jusqu’à symboliser le combat d’une vie.
Vêtue d’un boubou traditionnel de couleur beige, assorti d’un foulard noué autour de la tête, Fatoumata Coulibaly, de nationalité malienne, attire l’attention par ses boucles d’oreilles qui scintillent.
Difficile de ne pas la remarquer, même au milieu de la foule qui se presse à l’entrée de la cinémathèque flambant neuve de Rabat, la capitale du Maroc, où se tenaient les premières Rencontres cinématographiques africaines «Roots Rabat 2023» (12 au 16 mars).
D’une démarche prudente, celle qui est surnommée FC monte les marches menant au hall et à la salle de la cinémathèque marocaine où on s’apprête à projeter quatre minutes du film Moolaadé, en phase de restauration dans cette structure de l’industrie cinématographique du Royaume chérifien.
Moolaadé, la consécration
Une fois dans la salle, la nostalgie et surtout l’émotion transparaissent sur son visage, lorsque les spectateurs, triés sur le volet, se sont mis à applaudir, pour saluer sa présence, autant que pour se féliciter de l’initiative marocaine de restauration de ce film culte du cinéaste sénégalais.
Sans doute que dans un coin de la mémoire de FC, défilaient en même temps les images du 57e Festival de Cannes de mai 2004.
Elle ne pouvait surtout ne pas se souvenir de ce jour où elle avait arpenté, inconnue et presque inaperçue, le tapis rouge et les montées mythiques sur la Croisette, pour suivre la projection de Moolaadé, pour en ressortir subitement vedette et triomphante, sous le crépitement des flashs des photographes et les lueurs des caméras.
Le film dont elle est l’actrice principale venait d’être consacré à l’applaudimètre, alors que son réalisateur avait décidé de se mettre en retrait ce jour-là pour permettre à son actrice fétiche d’attirer toute la lumière, de recevoir toutes les attentions.
«Ce jour-là, les spectateurs parmi lesquels Viviane Wade, épouse de l’ancien Président Abdoulaye Wade, et leur fille Syndiély, se sont levés dans la salle pour applaudir pendant presque trois minutes. Et lorsque j’ai aperçu des larmes couler sur les joues de certains, je me suis alors dit que j’avais bien travaillé, et que j’avais réussi», raconte la journaliste, réalisatrice et comédienne malienne.
Une récompense bien méritée pour les sacrifices et les épreuves subies par FC sur les scènes de tournage du film auréolé à la fin du Festival de Cannes du prix «Un certain regard».
Elle dit souvent ressasser la séquence de la bastonnade incontournable dans le film, lorsque son mari a été obligé de la fouetter publiquement pour exorciser son refus de livrer quatre jeunes filles que la communauté voulait exciser.
«Lors du tournage, Sembène a donné le fouet à mon époux dans le film en me chuchotant à l’oreille : «Ça va faire mal, mais c’est le prix à payer si on veut faire un bon film.»», se remémore-t-elle, en signalant que Gimba, l’acteur incarnant le griot dans le film, avait supplié en vain le réalisateur d’être fouetté à sa place, quitte à faire les retouches nécessaires au moment du montage.
La seule concession que celui qu’elle appelait affectueusement papa Sembène était prêt à faire, était de «mettre du carton sous ma camisole pour atténuer ma souffrance, mais j’avais décliné car il fallait tout accepter pour réaliser un bon film».
Le combat contre l’excision, comme une mission paternelle
Une résilience à la douleur que FC croit avoir acquise après avoir été excisée dans sa tendre enfance, une chose et d’autres qui ont démultiplié son envie d’incarner le personnage de Collé Ardo.
«C’est un personnage et en même temps un combat puisque les deux sont liés.
J’ai été excisée contre la volonté de mon père, un ancien combattant qui a été contraint de céder face à la pression de la famille au sens large», rappelle-t-elle, ajoutant s’être à l’époque refugiée dans l’innocence de l’enfance pour subir cette épreuve.
Il lui reste malgré tout comme petit réconfort, ces paroles presque prémonitoires de son père : «Ma fille, lui dit-il impuissant, je n’y peux rien, c’est la tradition, mais tu verras, dans quelques années, cette pratique sera abandonnée.»
Comme si son géniteur lui avait confié, par ces mots, la mission de contribuer au combat contre l’excision.
«J’ai compris ce que mon papa voulait me faire comprendre, plus tard, lorsque que j’ai commencé à voir des petites filles mourir des suites d’hémorragie causée par l’excision», fait savoir FC qui, après avoir intégré la Radio nationale malienne, a commencé à faire des reportages pour conscientiser les communautés sur les dangers de l’excision, alors qu’il était encore tabou d’aborder si frontalement ce sujet à la radio comme à la télévision.
«J’ai commencé à faire des reportages. Je me souviens de celui au cours duquel j’ai recueilli les avis de marabouts et prêtres catholiques qui m’ont dit que la recommandation de cette pratique n’existait ni dans le Coran ni dans la Bible. Ce reportage n’a été diffusé qu’une fois à la télévision, avant d’être censuré», confie-t-elle.
Aps