Plusieurs années après leur disparition, trois artistes continuent d’égayer les Foutankés de tout âge et de toute génération confondus. Il s’agit bien de Samba Diop Lélé, Samba Loboudou Ba et Samba Hamat Gadio. Pour avoir donné à la guitare traditionnelle, le «Hoddu», ses lettres de noblesse et l’avoir accompagnée d’une poésie et d’un verbe, les trois Samba de la musique traditionnelle du Fouta ont réussi à faire un art qui a résisté à l’usure du temps, pour s’éterniser des décennies après leur disparition. Le destin a voulu que chacun des départements du Fouta voie naître un Samba sur son sol : Samba Diop Lélé voit le jour dans le département de Kanel, Samba Loboudou, Podor, et Samba Hamat, Matam.

Samba Diop, Samba Lo­boudou Ba et Samba Hamat Gadio n’ont pas seulement en commun leur prénom. Ces trois artistes ont aussi en commun l’art, le foutankagal (les modes de vie au Fouta) et l’instrument de musique, le Hoddu, (guitare traditionnelle), qui les accompagne lors de leur prestation. Leurs différentes carrières un peu similaires, sont traversées de productions à domicile dans les Hirdé (soirées), des tournées dans le Fouta, le Sénégal et l’Afrique. La valeur numérique de l’œuvre musicale de ces artistes demeure inconnue, car ils ont produit en quantité. Leur prestation était très attendue au Fouta, à l’intérieur du Sénégal et en Afrique durant leur tournée nationale et internationale et après leur décès, leurs productions demeurent très écoutées dans la partie nord du pays. Des années après leur décès, ils continuent de faire partie des artistes les plus écoutés et avec leur talent commun de grands paroliers, ils sont fréquemment cités. L’immensité de leur œuvre ayant immortalisé leurs au­teurs car ils continuent d’être de plus en plus actuels, mais avec un héritage assuré.

Samba Diop Lélé «Mawdo nalankobé» (Le père des artistes-chanteurs du Fouta)
Samba Diop est l’un des rares artistes du Fouta à avoir son nom associé au genre musical pratiqué. Le Lélé, genre musical popularisé par Samba Diop. D’une prononciation maladroite du mot arabe Leyla (la nuit), le Lélé puise ses origines de Sorawo (genre musical et poétique arabe) dont le plus illustre est Oumaroul Qais. La nuit en contemplation de la nature chante ses éléments, la femme, l’amour. Et le père de la mu­sique foutanké. Initié et influencé par des chérifs du Fouta, le chanteur originaire de Ngano (dans le département de Kanel), Samba Diop, dans sa grande production, énumère les nombreux villages du Fouta, du Sénégal et de la Mauritanie dans leur jalonnement sur l’axe de la Route nationale no2 et de l’île à Morphil sans omission. Cette connaissance des localités du Nord, le chanteur le doit, pour avoir été agent de Ptt (Poste, télégraphe et téléphone), à l’ère coloniale. Il immortalisa l’indépendance du Sénégal et de la Mauritanie dans deux morceaux qui sont devenus ses chansons les plus connues et écoutées. Après son départ de son premier poste, il est devenu cuisinier à la base américaine de Dakar.

C’est un marabout, Thierno Seykou Kane de Galoya, qui lui a révélé qu’il réussira dans l’art, la chanson. Avec ses compagnons instrumentistes, il transporta le Lélé un peu partout au Sénégal, en Afrique. Pour une carrière qui a démarré dans les années 30, Samba Diop Lélé n’est pas le premier fils du Fouta à chanter, mais il doit son titre de «Mawdo Nalankobé» (père des artistes-chanteurs du Fouta) pour avoir être l’un des premiers à faire de l’art, un métier, et de transporter un peu partout dans le monde, un genre musical, le Lélé, associé à son nom pour l’éternité. Ses contemporains déclarent qu’il doit ses talents et la sympathie aux bénédictions de Thierno Saïdou Nourou Tall (qui aurait écrit une prière) et Serigne Babacar Sy (qui lui conseille d’abandonner le tabac et lui a donné le wird). Le 3 décembre 1991, celui qui allait devenir l’un des chanteurs pulaars les plus célèbres tire sa révérence à l’âge de 79 ans, laissant derrière lui un autre Samba, Samba Loboudou Ba, qui devient un grand parolier et un instrumentiste de renommée.

Samba Loboudou et Samba Hamat : l’apogée de la symphonie et du verbe
Contrairement à Samba Diop Lélé, Samba Loboudou Ba et Samba Hamat Gadio étaient des instrumentistes. Ils jou­aient du Hoddu (guitare traditionnelle). Jusqu’à leur époque dans le Fouta, il faut être issu d’une certaine famille pour chanter et faire de la musique. Et Samba Loboudou, Samba Hamat ont transgressé une règle sociale pour avoir surtout joué du Hoddu, une transgression qui n’est pas sans conséquence. Samba Loboudou et son groupe, Yewti Pulaagu, formé exclusivement d’instrumentistes (Hoddu), ont connu leur année de gloire entre 1990 et 1999. Samba Loboudou Ba de la part de Thiélaw (Thiélaw, son village natal situé dans l’île à Morphil), comme il aimait se présenter dans ses cassettes, a régné près d’une décennie dans le Fouta. Ainsi l’artiste déclarait, dans quelques-unes de ses productions, «avoir passé des nuits blanches durant des semaines pour produire à domicile».

Contes, histoires drôles, envolées lyriques, récits d’expériences personnelles font la quintessence de l’œuvre musicale de Samba Loboudou Ba, estimée à plus de 200 cassettes. Il utilisa des animaux et des tournures très usitées encore au Fouta pour critiquer le vaniteux, l’avare, le paresseux, etc. L’histoire de Galla Sadia, Fomoura (l’avare en Pulaar), le conte Dembayal et Maama Labbo (l’hygiène et le bucheron), qui datent de 1992, sont des cassettes de chevet des Foutankés. Samba Loboudou était un grand parolier et ses paroles, pleines d’ironie et de philosophie, sont les plus empruntées par les Halpulaar que nul autre artiste. Après avoir joué plusieurs airs musicaux du Fouta (fantang, ngoumbala, tara…), le «dernier enfant de Coumba Djidi Tacko Malado», comme l’appelaient les instrumentistes de Yewti Pulaagu (son groupe), a innové en créant des mélodies et des airs et morceaux et indiquant toutefois : «Dii fof ko Samba fenti.» (tous ces airs ou morceaux sont de la pure création de Samba).

Dans plusieurs de ses productions, il ne manquait pas de signifier que la vie sur terre est passagère. N’étant pas «bambado» (dépositaire de Hoddu) et pour avoir été plus talentueux et célèbre que les ayants droit pour jouer le Hoddu, l’artiste de Thiélaw suscita la jalousie. Cette jalousie dont lui-même était conscient, car recevant les clés de la voiture donnée par un de ses admirateurs, il déclare : «Tu me débarrasses des difficultés de transport tout en augmentant le nombre d’envieux et de jaloux.» Atteint d’une maladie mystérieuse (sa gorge infectée par une plaie), il décède à l’hôpital de Ndioum en 1999, à l’âge de 42 ans. Un autre Samba va prendre la relève pour une dizaine d’années, Samba Hamath Gadio, originaire de Ndiaffane Sorokoum. Parolier, plus chanteur qu’instrumentiste, son analphabétisme n’a pas été un handicap pour la création de ses nombreuses chansons, ses mélodies, et il laissait à Abda Niang, l’instrumentiste en chef, le soin de composer la musique.

Ses talents de chanteur et son inspiration, il les doit à son initiation à la musique avec les poètes et écrivains poularophones comme Saïdou Kane. L’œuvre est immense et c’est le seul membre de son goupe, Tindinoré Fouta, Silèye Ho­guéré, qui le confirme : «Entre 2000 et 2009, il arrivait que nous produisions 4 à 5 cassettes (propriété privée des demandeurs). Les tournées s’enchaînaient et on restait des mois sans voir nos familles.» Son œuvre est partagée entre chansons de louanges des donateurs généreux, d’amour et de reprise de chants traditionnels. Entre autres morceaux de Samba Hamat Gadio qui continuent d’être aimés, il y a «Njillu» et «Coumba». Mais la faucheuse le frappe dix ans après le deuxième Samba de la musique traditionnelle du Fouta, laissant derrière lui Abda Niang (qui décède quelques années après lui) et Silèye Hoguéré qui continue toujours sur la même lancée.

La vie des groupes et l’héritage des trois Samba
Dans leurs différents groupes de musique, des musiciens sont encore vivants. Un des compagnons de Samba Diop, Boune Guissé, et son instrumentiste en chef, Hamadel Koundoul, Malaw Tounkara, Yéro Bolo et les autres instrumentistes de Yewti Pulaagu (groupe de Samba Loboudou) et Silèye Hoguéré de Tindinoré Fouta continuent de faire vivre les groupes et leur art. Aussi chacun de ces artistes a un enfant qui s’active dans la musique. Silly Samba Diop garde jalousement l’héritage de son père, Samba Diop, en tant que chanteur et musicien, avec son groupe Ilam qui pratique la musi­que universelle. L’héritage chez Samba Loboudou, est perpétué par l’un de ses fils, Mass Samba Loboudou, qui est devenu entre-temps un excellent instrumentiste (Hoddu) et un parolier. A la différence de Samba Hamat Gadio dont le fils aîné, Alassane Gadio, est un chanteur religieux très convoité. Ils ont du chemin à faire pour atteindre la célébrité de leurs pères.

La tradition a voulu au Fouta que les Samba se passent le témoin pour perpétuer la musique traditionnelle, mais après le décès de Samba Hamat, un quatrième Samba est très attendu.

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