Le psychiatre dresse un constat alarmant, marqué par une faible accessibilité aux soins, des ruptures fréquentes de médicaments et l’absence d’une véritable politique publique adaptée.
Le Professeur Abou Sy, psychiatre, juge très médiocre la prise en charge des malades mentaux au Sénégal, déplorant des problèmes d’accessibilité, de disponibilité des médicaments ainsi que d’approches.
‘’La prise en charge des malades mentaux au Sénégal est globalement très médiocre.
Si nous voyons les différentes approches sur le modèle biopsychosocial, biologique, il y a énormément de gaps’’, a dit le professeur en psychiatrie dans un entretien avec l’APS.
Selon lui, ”il y a des problèmes de rupture, des problèmes de disponibilité, d’accessibilité des médicaments, autant au niveau financier qu’au niveau géographique. Les médicaments ne sont pas disponibles, la plupart du temps, il y a des ruptures’’.
Le psychiatre déclare que lorsque les médicaments sont disponibles, ils peuvent coûter ‘’chers’’.
Il a souligné que les pathologies mentales sont invalidantes et vont évoluer vers la désocialisation ou bien la perte du travail du fait de la stigmatisation.
Un trouble mental est défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme un ensemble de cognitions ou comportements qui présentent des anomalies et causent une souffrance et un dysfonctionnement dans la vie quotidienne. Les maladies mentales affectent la manière dont une personne pense, se comporte, ressent et perçoit son environnement.
Selon Abou Sy, ”le patient devient un fardeau pour la société et, à partir du moment où les médicaments coûtent chers, cela peut être un obstacle pour la prise en charge’’.
Sur le plan psychologique, il a relevé que ”l’Université de Dakar a souffert de la fermeture, de l’absence d’une faculté de psychologie capable de former des gens pendant des années”.
Cette faculté a été réouverte récemment, a-t-il salué, notant que ”des jeunes s’engagent dans cette filière’’.
Pour le psychiatre, il reste encore beaucoup de choses à faire en termes d’acquisition de connaissances et de compétences.
Dans son analyse, le praticien estime que l’accompagnement sur le plan social est ‘’catastrophique’’.
‘’Nous avons l’impression que les autorités ne font pas de la santé mentale une priorité, alors qu’on ne peut pas se développer en l’absence d’une santé mentale, d’une santé globalement. Le moteur du développement, c’est l’être humain. Donc, il faudrait pouvoir être en bonne santé pour pouvoir développer sa société’’, a-t-il soutenu.
Plusieurs facteurs entraînent la survenue de la maladie mentale
Selon le psychiatre, plusieurs facteurs entrent en jeu pour entraîner ou bien causer la maladie mentale.
‘’Chaque maladie va être expliquée de façon différente selon les approches.
Il y a plusieurs approches et il y a plusieurs modèles d’explication de la maladie’’, a-t-il précisé.
‘’On a des approches qui vont en même temps avoir une explication de la maladie et proposer une thérapie. On peut avoir une approche analytique. C’est classiquement à l’écart de la psychanalyse. On peut avoir des approches systémiques, ce qu’on appelle les approches sur le plan thérapeutique.
La définition sera les thérapies de famille, les thérapies de couple’’, a-t-il expliqué.
Le spécialiste rappelle qu’il peut y avoir des approches cognitives ou comportementales pouvant déterminer la Thérapie comportementale et cognitive (Tcc). On peut avoir aussi l’approche d’hypnose éjectionnelle, dit-il.
‘’Ce qui est important aujourd’hui dans toutes ces approches-là, c’est qu’on a tendance à considérer deux éléments. La première, c’est la notion de vulnérabilité qui va intégrer des facteurs biologiques et des facteurs génétiques qui vont constituer un terrain sur lequel va venir se greffer la deuxième que sont les facteurs environnementaux qui déterminent l’apparition d’une maladie psychiatrique’’, a expliqué le Pr Sy.
Selon le psychiatre, il y a toujours un moyen de prévenir une maladie mentale.
”En matière de prévention, il y a le niveau primaire, secondaire et tertiaire. Il y a d’autres modèles de prévention : la prévention ciblée et la prévention générale. Dans tous les cas, on peut agir sur les facteurs de vulnérabilité, les facteurs précis et à partir de ce moment, prévenir la survenue de la maladie’’, a-t-il affirmé.
‘’Dès que la maladie est installée, on peut intervenir sur certains facteurs pour faire de la prévention secondaire ou tertiaire.
C’est notamment les deux premières préventions, il faut avoir l’hygiène de vie, ne pas consommer de substances psychoactives pouvant entraîner des pathologies avec des degrés de vulnérabilité’’, a conseillé le médecin.
La modernisation complique la prise en charge des malades mentaux
Evoquant l’errance des malades mentaux, le psychiatre estime que le problème se pose de plus en plus avec ‘’acuité’’.
Pour le spécialiste, ‘’il y a une modernisation qui fait que le noyau familial est en train de s’effriter.
Nous allons vers des familles monoparentales ou nucléaires et à partir de ce moment, la prise en charge de personnes souffrant de troubles mentaux peut être beaucoup plus difficile’’, a-t-il défendu.
‘’Dans les familles traditionnelles, le malade mental était géré par la société, ce qui pouvait faciliter grandement la prise en charge’’, a-t-il ajouté en guise de comparaison de la prise en charge du phénomène au fil des ans.
‘’Aujourd’hui, ce problème des malades mentaux suscite des réflexions et plusieurs angles d’approche comme l’approche sociale qui peut régler pas mal de problèmes.
A cela, s’ajoutent la disponibilité des médicaments, la réinsertion, la réhabilitation. Ce sont autant d’éléments sur lesquels il faudra intervenir pour pouvoir les prendre en charge’’, a-t-il soutenu.
A l’en croire, cela doit s’appuyer sur la présence familiale et une bonne réinsertion sociale afin de pouvoir gérer ce fléau qui est en train de gangréner la société.
Il a signalé qu’un malade mental errant ”constitue un double fardeau pour la société’’.
”Un malade mental ne guérit pas”, une théorie non vérifiée
Interpellé sur la possibilité de guérir d’une maladie mentale, le spécialiste en psychiatrie informe que cette pathologie peut évoluer favorablement et disparaître.
‘’Traditionnellement, culturellement, on a l’habitude de dire que le malade mental ne guérit pas, ce qui n’est tout à fait pas vérifié’’, a-t-il dit.
Selon lui, ”il n’y a pas une seule maladie mentale, il y a plusieurs maladies mentales. Et parmi elles, il y en a qui peuvent évoluer favorablement et disparaître’’.
A titre d’exemple, il a cité les bouffées délirantes aiguës qui peuvent évoluer sans lendemain, c’est-à-dire guérir complètement de même que la dépression.
‘’Il y a autant de pathologies qu’on peut citer qui peuvent guérir, en tout cas du point de vue évolutif, qui vont aller vers la guérison’’, a insisté le psychiatre en précisant qu’’’il y a des pathologies chroniques qui vont évoluer, et la plupart du temps, quand elles sont bien installées, elles ne vont pas évoluer vers la guérison, d’où l’intérêt de traiter très tôt, de faire de la prévention primaire pour ne pas arriver au stade de maladie’’.
‘’Si on vise la guérison, cela peut être assez compliqué pour citer une pathologie chronique mais, il y a un concept très nouveau qui va être axé non pas sur la guérison, mais sur la qualité de vie’’, a fait savoir le spécialiste. Cela veut dire qu’‘’une personne qui présente une pathologie mentale lourde peut aller vers une qualité de vie, vivre avec sa maladie et être un élément de la société, avoir un travail, pouvoir participer au développement de la société.
C’est très possible’’.
Pour ce faire, le psychiatre souligne l’impératif d’avoir une bonne politique de santé mentale qui permettra d’avoir des professions fléchées pour des gens qui souffrent de certaines pathologies mentales et d’éviter la stigmatisation. ‘’En partie, je pense qu’on peut avoir un bon profil évolutif’’, a soutenu le médecin.
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