L’ouverture en 2003 d’un canal de délestage ou brèche à l’embouchure du fleuve Sénégal est à l’origine de profonds bouleversements de l’écosystème marin et de nombreux chavirement mortels de pirogues de pêcheurs, poussant les pouvoirs publics à trouver des solutions, tandis qu’une forme de résilience a vu le jour chez les habitants de l’île de Saint-Louis et de plusieurs villages de la commune de Ndiébène Gandiole, à travers le développement de nouvelles activités socio-économiques.
Ces profonds changements n’ont épargné ni l’Aire marine protégée (AMP) de Saint-Louis ni le Parc national de la langue de Barbarie (PNLB). Ces aires protégées sont situées dans l’emprise de l’embouchure, point de rencontre entre le fleuve Sénégal (1750 kms) et l’océan Atlantique, à l’extrémité sud de la ville de Saint-Louis.
La récurrence des accidents fluviomaritimes mortels et des bouleversements environnementaux dans cette partie du fleuve a poussé les pêcheurs locaux, les collectivités territoriales et les habitants des villages environnants à se mobiliser depuis plus de vingt ans aux côtés des pouvoirs publics, pour limiter et atténuer les effets meurtriers et dévastateurs engendrés par l’ouverture de la brèche de Saint-Louis.
Au moins entre 400 et 500 morts y ont été enregistrés entre 2003 et 2022, dans des accidents fluviomaritimes.
Ces drames ont principalement fait des victimes du côté des pêcheurs locaux, selon les pouvoirs publics et les pêcheurs.
La brèche a été creusée dans l’urgence le 3 octobre 2003, sur la partie sud de la langue de Barbarie, vers l’embouchure du fleuve Sénégal, point de jonction avec la mer.
Elle a été réalisée à l’époque sur initiative des autorités régionales, pour libérer des eaux pluviales, des quartiers inondés de la langue de Barbarie, une bande de terre de 400 mètres de large et de 30 kilomètres de long, située sur le littoral de l’île de Saint-Louis.
Creusée initialement sur une largeur de quatre mètres, elle a finalement atteint sept à huit kilomètres de diamètre, en vingt ans, à cause des changements climatiques et de la dynamique sédimentaire.
Constatant cette grande ouverture à l’embouchure, les pêcheurs locaux vont progressivement utiliser ce chenal avec leurs grosses embarcations, pour pénétrer dans la partie continentale de l’île de Saint-Louis afin de décharger leurs captures de poissons mais aussi pour aller en haute mer.
« Les débarquements de poissons se faisaient avec beaucoup de difficultés, avant l’ouverture de la brèche sur la façade du littoral de l’île de Saint-Louis.
L’amélioration de la navigabilité à l’embouchure est favorisée par l’élargissement de la brèche », explique Lamine Diagne, chef du service régional des pêches et de la surveillance de Saint-Louis.
Selon lui, cette nouvelle configuration a encouragé les pêcheurs à pénétrer à l’intérieur de l’île de Saint-Louis, avec leurs pirogues et captures.
Récemment affecté à la tête de ce service régional, M. Diagne a reconnu que « l’élargissement du diamètre de l’embouchure a principalement amélioré la navigabilité à l’embouchure ».
L’élargissement du diamètre de l’embouchure a contribué indirectement au développement de la pêche artisanale à Saint-Louis et au renforcement des équipements et équipages de pêche, estime de son côté Daouda Fall, coordonnateur des réseaux de conseils locaux de pêche artisanale (CLPA) de Saint-Louis.
Daouda Fall, coordonnateur des réseaux de Conseil local de pêche artisanale (CLPA) de Saint-Louis.
« L’ouverture de la brèche a incontestable changé l’activité de pêche à Saint-Louis dans la mesure où les pêcheurs peuvent désormais accoster avec leurs pirogues à l’intérieur du continent, sur les rives du fleuve Sénégal », se félicite le pêcheur, qui est né et a grandi à Saint-Louis, dans le milieu de la pêche.
Trouvé sur la corniche de l’île de Saint-Louis, Daouda Fall contemple, à l’approche de la mi-journée, le ballet incessant des motos et charrettes.
Vêtu d’un boubou blanc, il insiste sur le fait que l’ouverture de la brèche de Saint-Louis « a considérablement contribué au développement de la pêche artisanale même si, à côté, il y a des aspects biens négatifs à relever ».
Plus de 400 morts enregistrés à l’embouchure du fleuve
Parmi les aspects négatifs, le pêcheur cite « les nombreuses pertes en vies humaines » enregistrées dans des accidents fluvio-maritimes mortels.
Selon lui, les autorités étatiques ont déclaré avoir recensé, de l’ouverture de la brèche en 2003 à aujourd’hui, 400 morts dans des chavirements de pirogues. Ces drames « surviennent généralement au moment où les pêcheurs, de retour en haute mer, tentent de regagner les rives du fleuve Sénégal, à travers l’embouchure, avec leurs pirogues », signale-t-il.
« Les drames arrivent généralement lorsque ces grandes pirogues, sous l’effet combiné du poids et de la vitesse de progression, heurtent brutalement le fond marin sableux de l’embouchure », explique Moulaye Mbaye, président du comité de gestion de l’aire marine protégée (AMP) de Saint-Louis.
« Cette embouchure fait aujourd’hui huit kilomètres de large. Elle connaît dans son fond marin, de petites profondeurs par endroits violemment heurtées par de grandes pirogues. Et à chaque fois que les pirogues touchent le fond, il y a des drames, et des chavirements mortels », déplore-t-il.
M. Mbaye précise que sur 25 000 pirogues immatriculées au Sénégal, les 10.000 le sont à Saint-Louis.
Des mesures préventives prises pour réduire les accidents mortels
L’embouchure étant devenue au fil des années un lieu de passage dangereux et périlleux pour les pêcheurs locaux, le service régional des pêches et de la surveillance de Saint-Louis s’est appuyé sur l’autorité administrative, pour prendre des mesures préventives allant dans le sens de réduire les récurrents accidents mortels.
« A cet effet, le préfet de Saint-Louis avait pris en 2008, un arrêté portant réglementation du débarquement de la sardinelle dans la commune de Saint-Louis et l’accès au canal de délestage », rappelle Lamine Diagne, chef du service régional des pêches et de la surveillance de Saint-Louis.
Cet arrêté encore en vigueur interdit toute navigation sur l’embouchure, de 19 heures à 7 heures du matin, fait-il savoir, expliquant que son objectif est de freiner « la récurrence des accidents mortels notés à l’embouchure ».
Il souligne que cet arrêté était la première mesure administrative prise par les pouvoirs publics pour limiter les accidents fluviomaritimes au niveau de la brèche. Des missions de contrôles ont été initiées par les pêcheurs locaux et des équipes mixtes pluri-professionnelles de surveillance (sapeurs-pompiers, eaux et forêts, police, etc.), ajoute M. Diagne
Ces équipes mixtes pluri-professionnelles mobilisées pour appuyer la mise en œuvre de l’arrêté préfectoral travaillent sous l’égide de l’Agence nationale des affaires maritimes (ANAM).
Les équipes sont chargées de faire des patrouilles le long de l’embouchure, de 7 heures à 19 heures, des tranches horaires qui correspondent aux heures de navigation autorisées, indique-t-il.
Lamine Diagne souligne que ces équipes mixtes, communément appelées « check point », veillent du 1er janvier au 31 décembre de chaque année, au respect de l’arrêté préfectoral mais aussi des mesures sécuritaires, comme le port de gilet, et le respect des alertes météorologiques.
Les pêcheurs membres du Groupement d’intérêt économique (GIE) Diamalaye et du CLPA de Saint-Louis ainsi que des partenaires se sont aussi engagés sur le terrain pour le respect des heures autorisées de navigation de l’arrêté préfectoral, renseigne le fonctionnaire.
Dans le cadre de la lutte contre les accidents fluviomaritimes, le chef du service régional des pêches indique qu’un balisage et un dragage du canal ont été exécutés par l’Etat comme mesures sécuritaires pour endiguer les accidents mortels et améliorer davantage la navigabilité.
Lancés en 2019, ces travaux ont porté sur le dragage de la voie navigable de l’embouchure jusqu’au port polonais ainsi que sur le balisage du chenal.
Une enveloppe de sept milliards de francs CFA avait été dégagée par l’Etat pour ces travaux, selon les autorités étatiques.
Une baisse des accidents fluviomaritimes à l’embouchure
Les mesures préventives ont permis « une régression des cas d’accidents fluviomarines à l’embouchure, passant de 400 à une quarantaine de morts ces dernières années », note Lamine Diagne, le chef du service régional des pêches et de la surveillance de Saint-Louis.
Mamadou Keïta, chef de la circonscription nord de l’ANAM, salue aussi les efforts et investissements de l’Etat qui ont contribué à la réduction « des accidents fluviomaritimes à l’embouchure ».
« De 400 décès enregistrés depuis l’ouverture de la brèche, on est passé à deux accidents ou trois par an, en tout cas, à pas plus d’une dizaine de morts par an », dit-il. Il appelle à continuer la sensibilisation des pêcheurs au respect des mesures interdisant la navigation nocturne sur l’embouchure.
« C’est le non-respect de l’arrêté préfectoral qui favorise les accidents », accuse-t-il, justifiant la nécessité de « renforcer la sensibilisation des pêcheurs et [la poursuite] des missions de surveillance ».
Concernant les travaux de balisage et de dragage à l’embouchure, Mamadou Keïta rappelle que l’Etat avait fait appel à une entreprise chinoise dans un premier temps, avant de dénoncer ce contrat pour manque de respect de clauses.
Une entreprise belge a finalement dragué l’embouchure sur une distance de 11 kilomètres en huit mois, indique M. Keïta, relevant que le dragage de la brèche et son balisage latéral matérialisé par la pose de 52 bouées (de balisage), de l’embouchure au port polonais, ont permis de réduire de moitié la récurrence des drames.
Pour mener leurs missions de surveillance conjointe, les équipes mixtes disposent de sept vedettes dont deux appartenant à l’ANAM et cinq à d’autres services de l’Etat, selon le chef de la circonscription nord de l’ANAM.
Il appelle les autorités étatiques à renforcer la mission de surveillance de l’embouchure en vedettes tout en dotant les pêcheurs et les habitants des villages environnants de gilets de sauvetage.
Daouda Fall, coordonnateur du Réseau des conseils locaux de pêche artisanale (CLPA) de Saint-Louis, magnifie les activités menées dans le cadre de la campagne de sensibilisation sur les dangers de l’embouchure par les pêcheurs locaux à travers les radios communautaires locales et la diffusion d’alertes ou bulletins météorologiques.
« Grâce à ces initiatives de sensibilisation, les pécheurs ont pris conscience du danger de l’embouchure.
Cette prise de conscience a permis de réduire les accidents fluviomaritimes touchant ces derniers », se félicite M. Fall, imputant « la responsabilité entière des dégâts causés par la brèche aux autorités étatiques ».
« Elles ont ouvert ce canal en 2003, sans au préalable faire des études d’impact environnemental, et sans consulter les pêcheurs locaux », dénonce-t-il.
Outre les conséquences meurtrières de la brèche dans la commune de Saint-Louis, l’élargissement de celle-ci a impacté les principales activités socio-économiques des habitants de Ndiébène Gandiole. Les populations de cette commune située à 17 kilomètres de la ville de Saint-Louis ont décidé de se mobiliser contre les effets néfastes de l’élargissement de la brèche.
Limitrophe de l’embouchure du fleuve Sénégal, elle compte près de 30.000 habitants, 30 villages, 6 hameaux, 27 écoles primaires, un lycée, deux collèges, un poste de santé et des cases de santé.
« A Ndiébène Gandiole, l’élargissement de la brèche a impacté négativement les activités socio-économiques des populations, comme la pêche, l’élevage, et l’agriculture », indique Mamadou Ndiaye, deuxième adjoint au maire de cette collectivité territoriale.
« Aujourd’hui, elles ont abandonné ces activités fortement impactées par la salinisation des sols et de la nappe phréatique », déplore l’élu local, signalant que les jeunes se sont tournés vers l’émigration clandestine en Europe.
Il déplore « la perte tragique d’une bonne partie de la jeunesse de la commune.
Tout de blanc vêtu, l’adjoint au maire dégage une grande sérénité dans la tenue traditionnelle qu’il arbore en cet après-midi.
M. Ndiaye indique qu’en guise de solutions à ces problèmes environnementaux, la mairie a formalisé avec des partenaires, trois groupements d’intérêt économique portant sur l’agriculture, la pêche et la transformation des produits locaux, au profit des populations locales, particulièrement des jeunes.
Ces trois GIE ont bénéficié chacun d’un financement de quatre millions de francs CFA, précise-t-il, expliquant que la commune a misé sur le partenariat et la sensibilisation « pour retenir sa jeunesse ».
Il assure que la mairie est disposée à accompagner les jeunes, les GIE, dans le processus d’acquisition de parcelles agricoles. « Il est vrai qu’une partie des terres est impactée par la salinisation mais d’autres sont encore cultivables », assure-t-il.
« Nous sensibilisons les jeunes contre l’émigration clandestine, à travers les radios communautaires, et les réseaux sociaux. Nous les appelons à croire à un destin possible ici, et non à l’étranger », lance M. Ndiaye.
Situés sur l’emprise de l’embouchure du fleuve Sénégal, l’aire marine protégée de Saint-Louis et le Parc national de la langue de Barbarie n’ont pas non plus été épargnés par les effets destructeurs engendrés par l’agrandissement du canal de délestage.
Du côté de l’AMP de Saint-Louis, l’ouverture de la brèche a détruit la flore et les dunes de sable. Des efforts ont été entrepris pour restaurer ses anciens écosystèmes, indique son conservateur, le capitaine Didier Kabou, à l’entame d’une visite de terrain de plus de deux tours d’horloge.
Sur la plage de l’AMP, des traces de pattes d’oiseaux sont visibles. Au milieu de la réserve, des limicoles se pavanent allègrement.
Les espèces végétales endémiques comme le « paspalum » et le prosopis y poussent naturellement. Au fur et à mesure qu’on progresse dans ce foyer écologique, on découvre diverses plantes qui jalonnent les pistes sablonneuses et une bande de filaos à perte de vue.
Ces végétaux foisonnent sur le relief de l’AMP et forment de jolis tapis verts agréables à contempler.
L’AMP abrite une importante ressource avifaune composée de pélicans blancs (Pelicanus onocrotalus), de sternes caspiennes (Sterna caspia), de balbuzards pêcheurs (Pandion haleaetus), de goélands bruns (Larus fuscus), de mouettes à tête grise (Larus cirrocephalus), et de grands cormorans (phalocrocorax carbo).
Créée 2004, cette aire protégée s’étend sur 49 600 hectares dont 527 constitués essentiellement d’écosystèmes littoraux.
107 hectares de filaos reboisés dans l’AMP
Elle est limitrophe aux communes de Saint-Louis, Gandon et Ndiébène Gandiole et vise trois objectifs : la conservation de la biodiversité marine et côtière, la restauration des habitats marins et côtiers, et l’amélioration des revenus des ménages autour de l’AMP.
« Depuis 2012, nous sommes à 107 hectares de filaos reboisés dans l’AMP. Nous avons également mis en place un dispositif qui permet de reconstituer le sable et le cordon dunaire de la langue de Barbarie », fait savoir son conservateur.
Vêtu d’un tee-shirt noir et d’un pantalon kaki militaire, Didier Kabou parait plus jeune que son âge malgré ses 50 ans.
Le natif de la Casamance est un habitué du terrain pour avoir servi au Parc national de Niokolo Koba, une aire protégée qui se distingue aussi par la richesse de sa biodiversité et de ses écosystèmes.
« L’autre problème de l’AMP né de l’ouverture de la brèche, est l’ensablement du fleuve à l’origine de beaucoup de problèmes de navigation », signale-t-il, se réjouissant de la réaction positive apportée par « les pouvoirs publics dans la restauration des écosystèmes détruits par l’ouverture du canal de délestage ».
L’AMP de Saint-Louis compte 41 espèces d’oiseaux et reçoit en moyenne jusqu’à 10 000 oiseaux, selon les opérations mensuelles de décompte des oiseaux d’eau.
Les grandes vagues de migrations d’oiseaux arrivent en période de froid dans l’hémisphère nord correspondant ici à la période entre les mois de novembre et d’avril. C’est à cette période que l’AMP enregistre des pics d’arrivées d’oiseaux migrateurs.
L’AMP compte également des zones de reproduction dont celle dédiée aux tortues marines, et d’expérimentation de la reconstitution du cordon dunaire et de lutte contre l’érosion côtière.
Le conservateur indique qu’après cartographie de l’AMP, neuf unités de gestion ont été mises en place dont des unités dédiées à l’écotourisme et au maraîchage.
Cette brèche réalisée en 2003 a connu une dynamique allant vers le sud de la langue de Barbarie, explique-t-il, relevant une érosion côtière au nord et une sédimentation au sud.
Concernant la lutte contre les effets de la brèche, « nous avons expérimenté dans l’AMP les pièges à sable réalisés avec les plantes de typhas et des palissages pour piéger le sable et reconstituer le cordon dunaire de la langue de Barbarie », explique-t-il.
Il indique que des actions de reboisement pour fixer les dunes et reconstituer le cordon protecteur de la langue de Barbarie ont été déroulées dans les villages environnants, à l’embouchure en rapport avec les populations locales.
« En amont de ces villages, il y avait la langue de Barbarie qui jouait un rôle de cordon naturel protecteur pour les villages de Doun Baba Dièye, de Ndiébéne Gandiole et Gandon », rappelle-t-il. Selon lui, « c’est ce rôle du cordon de la langue de Barbarie qu’on avait perdu avec l’ouverture de la brèche, en 2003 ».
Il signale qu’à côté des actions de reboisement, l’AMP a accompagné avec des dons d’intrants et de matériels, les populations des villages dans la mise en place de blocs maraîchers. « Aujourd’hui, à Doun Baba Dièye, un village rayé de la carte par l’ouverture de la brèche, des actions de reboisement et d’aménagement de maraîchers sont en cours, pour permettre aux populations de vivre de leurs activités de maraîchage », dit-il.
Des maraîchers réalisent 1,2 million de FCFA de chiffre d’affaire par campagne
Il rappelle que les populations de ce village et environs s’adonnent à des activités de maraichage pour ravitailler en légumes la ville de Saint-Louis.
« Malheureusement, avec l’ouverture de la brèche, elles ont abandonné à un moment donné le maraîchage pour se reconvertir dans la pêche », déplore-t-il, avant de se réjouir de la restauration du cordon dunaire de la langue de Barbarie.
L’activité de maraîchage rapporte énormément aux maraîchers avec 1,2 million de francs CFA de chiffre d’affaires par campagne, selon des enquêtes menées auprès de maraîchers, fait-il savoir.
Le capitaine Kabou lance un vibrant appel aux partenaires pour qu’ils viennent accompagner l’AMP dans la restauration de la langue de Barbarie, seule barrière qui protégeait la ville de Saint-Louis de l’avancée de la mer.
« Avec les activités économiques qui se profilent à l’horizon dont l’exploitation du pétrole et du gaz, c’est sûr qu’il y aura beaucoup de structures qui vont s’installer à Saint-Louis. Donc, c’est le moment d’anticiper sur la conservation de la langue de Barbarie, le dernier rempart qui protège Saint-Louis des rigueurs de la mer », fait-il valoir.
Au Parc national de la langue de Barbarie (PNLB), limitrophe de 17 villages riverains du fleuve Sénégal, l’ouverture de la brèche et l’érosion côtière menacent aujourd’hui l’ilot aux oiseaux, a alerté l’adjoint au conservateur du PNLB, le lieutenant Bélal Diédhiou, à l’entame d’une visite du PNLB à bord d’une vedette.
« Cette brèche de Saint-Louis, dans sa progression du nord vers le sud sous l’effet des courants, risque de faire disparaître l’ilot », prévient-il.
Explications du Lieutenant Belal Diedhiou sur l’avancée de la mer au niveau parc national de la langue de barbarieQuelques oiseaux trouvés au Parc National de la Langue Barbarie
Le lieutenant Bélal Diedhiou expliquant l’avancée de la mer au Parc national de la langue de Barbarie
Le point focal du PNLB est représenté par l’ilot de reproduction. Il avait 2 ha de superficie, mais a perdu 1/3 de sa superficie sous l’effet de l’érosion côtière. Cet ilot, dit-il, est un point important du parc qui reçoit chaque année des milliers d’oiseaux migrateurs.
Bélal Diédhiou rappelle qu’avant la réduction de sa superficie, 10 espèces d’oiseaux se reproduisaient sur le site. ‘’Ce nombre est maintenant passé à quatre espèces d’oiseaux’’, déplore-t-il.
Le long de la plage, les dégâts de la brèche sont toujours visibles avec notamment la disparition de filaos ravagés par la salinité et la forte érosion du rivage. Au fil des années, le parc a gravement subi les affres des changements climatiques, entraînant une disparition progressive des écosystèmes forestiers.
Il est environ 16h. Un vent frais caresse les visages tandis que le soleil darde ses rayons.
Après 20 minutes de navigation, la vedette arrive sur l’îlot de reproduction des oiseaux où se concentrent plus de 10 mille espèces avifaunes entre les mois novembre et d’avril.
Des actions menées avec des partenaires ont permis de mettre en place, un cordon pierreux destiné à protéger l’îlot, confie M. Diédhiou. Il signale que ce cordon a lâché au bout de quelques jours seulement, sous l’effet des submersions marines et des grandes marées.
Au milieu du fleuve, à bord de l’embarcation, une vue large des côtes où on peut constater facilement les impacts du canal de délestage s’offre aux visiteurs : l’érosion côtière des sites abritant des campements et hôtels qui se trouvent sur le rivage du fleuve et la dégradation progressive du cordon pierreux érigé pour empêcher la disparition de l’ilot de reproduction des oiseaux.
Bélal Diédhiou renseigne que les nouvelles options envisagées pour sauver l’îlot d’une disparition portent sur une restauration, un aménagement en hauteur ou encore la création d’un îlot artificiel sur la partie nord.
« Mais nous craignons que les oiseaux migrateurs qui ont l’habitude d’être sur l’îlot de reproduction n’acceptent pas l’îlot artificiel », redoute-t-il, soulignant que la réflexion se poursuit pour voir la meilleure option à prendre à ce niveau.
Il assure que des solutions durables contre la brèche sont en cours d’étude, montrant du doigt la zone de reproduction des tortues marines du parc située entre l’océan Atlantique et le fleuve Sénégal.
Créé en 1976, le PNLB s’étend sur 2000 hectares entre les communes de Ndiébéne Gandiole (Saint-Louis) et Léona (Louga).
Sa création vise d’abord la protection des milliers de colonies nicheuses qui quittent chaque année l’Europe à cause de l’hiver pour se reproduire ici et la protection des tortues marines dont quatre espèces évoluent au PNLB.
Le PNLB est constitué d’un écosystème marin, fluvial, et lagunaire
L’adjoint au conservateur souligne que le PNLB est confronté également à une perte des surfaces de plage de la langue de Barbarie où se trouvent des sites de pontes de tortues marines.
Sur une petite bande de terre qui sépare la mer et le fleuve du Sénégal, se dressent des filaos à perte vue. « Vous voyez, ces écosystèmes forestiers ont été reboisés avec l’appui des partenaires, c’est pour fixer le sol », souligne-t-il.
Sur la plage apparait un fort rétrécissement de la côte.
« Cette plage fréquentée par des tortues marines est actuellement menacée par l’avancée de la brèche et l’érosion côtière. Une situation qui met en péril ces sites de ponte des tortues marines au point que l’année dernière on n’a pas eu de remontée de tortues », regrette-t-il. Il signale qu’en 2023, il y a eu seulement quatre remontées de tortues au niveau du parc.
Concernant la lutte contre la remontée de la salinité, relève-t-il, les dunes sont fixées avec les filaos qui jouent aussi le rôle d’abri des oiseaux.
« Nous faisons des activités de reboisement de la mangrove qui joue un rôle écologique important, notamment la séquestration du carbone. Nous reboisons aussi au niveau du parc des espèces qui résistent à la salinité des sols et à l’érosion côtière », fait-il savoir, annonçant la mise en place d’une pépinière de ces espèces pour la restauration de terres dégradées par la salinité.
Le lieutenant Diédhiou reconnaît que la remontée de la salinité n’a pas été entièrement mauvaise pour les populations des 17 villages limitrophes du PNLB.
Selon lui, « grâce à la remontée de la salinité, des arches, des huîtres, et des coquillages sont apparus dans le Gandiole, à cause du bouleversement de l’écosystème marin, poussant les populations riveraines, en majorité des femmes, à se lancer dans l’élevage de fruits de mer ».
Moussa Niang, éco-garde et ressortissant de la commune de Ndiébène Gandiole, souligne que la remontée de la salinité de la nappe phréatique et des terres, avec l’ouverture de la brèche, a transformé cette zone d’horticulture.
« Les activités touchées par les effets de la brèche sont l’horticulture, mais les femmes s’adonnent maintenant à l’ostréiculture, la récolte des arches et des fruits de mer », renseigne M. Niang. Il rappelle que ces espèces y avaient été observées en 2008.
Ce changement de l’écosystème a permis aux femmes qui avaient perdu leurs terres de se reconvertir dans l’ostréiculture et l’élevage de fruits de mer, s’est-il réjoui.
Pape Aldiouma Cissé, chargé de projet technique senior à l’Agence de développement municipal, (ADM) indique qu’avec l’appui de la Banque mondiale, le gouvernement du Sénégal a initié une étude de modélisation hydrodynamique de l’embouchure du fleuve Sénégal.
« Cette étude en cours nous permettra de voir comment va se comporter cette brèche durant les 50 prochaines années et d’apporter des solutions durables de stabilisation de la brèche », ajoute M. Cissé, par ailleurs coordonnateur du Projet de protection côtière à Saint-Louis (PPCS).
(APS
4 commentaires
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