Depuis 2012, la journée mondiale de la langue arabe, est célébrée le &_ décembre de chaque année, conférant ainsi à cette langue sémitique une stature de langue de communication internationale. La date du 18 décembre a été retenue pour commémorer le jour où l’arabe est devenue langue officielle et de travail de l’ONU en 1973.
Cette journée offre l’opportunité de reconnaître la richesse culturelle et linguistique portée par l’arabe. Au Sénegal, la célébration de cette journée revêt une signification particulière. Le français, héritage du passé colonial, a été imposé comme langue officielle dominante dans l’administration, reléguant au fil du temps l’arabe au statut de langue exclusivement associée au domaine religieux.
Cette orientation a conduit à ignorer sa contribution historique à l’édification des connaissances écrites au Sénégal.
Ce papier tente d’analyser les perspectives et les défis actuels de la langue arabe au Sénégal. Il ne sera pas question de dresser les francophones contre arabophones, mais, d’oeuvrer au remembrement de notre héritage culturel, en mettant en valeur tous ces aspects occultés ou peut-être méconnus de la trajectoire intellectuelle du Sénégal qui est loin d’être unilingue, mais essentiellement plurilingue.
Enjeux et défis d’une valorisation
Au Sénégal, l’empreinte du passé colonial a considérablement redessiné le paysage linguistique attribuant au français le rôle prééminent de langue officielle dans l’administration et au sein de l’élite. Ce processus historique a fini par reléguer l’arabe au rang de langue associée à la pratique religieuse, dépourvue de toute considération intellectuelle. Alors qu’au Sénégal, et pendant longtemps, l’enseignement de l’arabe a été la première étape dans la fabrication des savoirs écrits.
Ce qui se manifeste à travers ce qui est convenu d’appeler la littérature sénégalaise d’expression arabe et ajami (Ajami désigne les populations non arabes de la communauté musulmane et par extention la littérature produite dans les langues africaines avec les caractères arabes).
S’agissant de l’introduction de l’arabe dans l’école laïque sénégalaise, l’on peut dire que bien que présent à l’élémentaire depuis 1963, son enseignement a connu une longue période d’incertitude, dans la mesure où il n’existait aucun texte règlementaire fixant son programme et ses horaires.
Cependant, l’an 2002 marque une date charnière dans l’histoire de l’enseignement de l’arabe dans le système éducatif au Sénégal.
A partir de cette année, le temps alloué à cette offre éducative passe d’une heure à quatre heures par semaine, selon nos entretiens réalisé auprès de la division de l’enseignement arabe. Cette dynamique positive a été accompagnée d’une politique de recrutement d’enseignants en langue arabe au même titre que leurs collègues des autres disciplines.
Le nombre d’enseignants en arabe qui était de 8 en 1962 passera à 13.358 en 2020 à l’élémentaire (classique et franco-arabe), selon Ousmane Ba, chef de la division de l’enseignement arabe.
Pour le moyen-secondaire, leur nombre actuel est de 2307 professeurs. En ce qui concerne l’encadrement, les inspecteurs en langue arabe étaient de 19 en 2000, contre 108 en 2022.
Ces différentes réformes intervenues dans le secteur de l’éducation ont mis fin à une précarité professionnelle, doublée d’une injustice sociale de l’enseignant en langue arabe, dépourvu de toute protection sociale, juridique et statuaire.
Quel avenir ?
Aujourd’hui, l’arabe est non seulement la langue officielle de 22 États, dont des puissances économiques et diplomatiques. Elle est également enseignée dans les plus grandes universités du monde, tout comme elle est utilisée par les plus grands médias du monde.
L’arabe fait aussi partie des langues de travail de l’Organisation des nations unies (ONU). Cet état de fait est loin d’être anodin, conformément au principe d’égale authenticité des versions traduites qui ont la même valeur juridique.
En service à l’ambassade du Sénégal en Russie, où presque tous les pays arabes sont représentés, Ndiaga Bèye souligne comment la langue arabe lui sert beaucoup dans le cadre de ses activités professionnelles, en tant que Premier conseiller, pour nouer des contacts à l’occasion de réceptions diplomatiques. Selon lui, la langue arabe contribue à la diversification de ses sources d’information en lui permettant également d’avoir une bonne grille de lecture.
De nos jours, les critiques ne manquent pas sur le modèle éducatif hérité de la colonisation.
On reproche très souvent à cette école d’être élitiste et rigide, agnostique et peu respectueuse des coutumes africaines. La réinvention de cette école tant réclamée ne se fera pas sans une institutionnalisation de l’offre éducative dite arabo-islamique.
A ce propos, nous proposons une harmonisation maîtrisée des deux offres éducatives ou la mixité, en lieu et place d’une séparation.
Cette séparation serait synonyme de ghettoïsation de l’enseignement arabe au sein de la République sénégalaise. De ce point de vue, l’espace scolaire devrait constituer le lieu le plus adéquat pour donner de la valeur et de la légitimité scientifique et sociale à une langue et aux personnes qui la pratiquent.
Laisser l’enseignement de la langue arabe aux seules initiatives privées reviendrait à en faire davantage une langue subversive et de la fermeture, une langue passéiste et de la peur, une langue suspecte et de la honte.
Au Sénégal, la langue arabe dispose d’un passé glorieux, d’un présent rassurant et d’un avenir prometteur.
Pour s’en convaincre, il suffit juste de rappeler qu’elle ne cesse de progresser se diffuser à la faveur des initiatives des pouvoirs publics en sa faveur (création d’écoles publiques arabes, Baccalauréat arabe, accès des diplômés en arabe au concours d’entrée à l’École nationale d’administration, recrutement de professeurs et d’inspecteurs…).
Cependant, sa principale contrainte est le contexte politique et social dans lequel son enseignement a toujours évolué.
Ce contexte a favorisé une sorte de confrontation avec la culture occidentale dont la domination s’est traduite par l’adoption du français comme langue officielle. Toutefois, l’enseignement de l’arabe a pu résister face à cette concurrence à la faveur de son ancrage social et territorial ainsi que la détermination salutaire des intellectuels arabophones qui, curieusement ne sont pas très souvent considérés comme tels par une certaine élite au Sénégal.
Aussi, devant l’idée d’une marginalisation supposée ou réelle de l’élite arabophone dans l’espace public sénégalais, les arabisants doivent également travailler à la maîtrise des autres langues de communication comme le français, la langue officielle, et accessoirement l’anglais, pour donner plus de valeur à leur compétence.
The Conversation Africa.