C’est à se demander si l’État du Sénégal a un quelconque contrôle sur l’agenda des multinationales devant exploiter le gaz et le pétrole. La plupart des informations concernant les gisements en phase de développement, viennent directement des multinationales et les Sénégalais sont souvent au courant grâce à des médias étrangers. L’État, la plupart du temps, a tenté, au départ, de nier ce qui sonnait comme des évidences.
« Soit il était le seul à ne pas en être informé, soit il savait, mais ne veut pas dire la vérité aux citoyens sénégalais », expliquent certains experts. « EnQuête »
Cette fois, c’est Reuters qui donne l’information. « Kosmos Energy a déclaré lundi, que le démarrage du projet gazier Greater Tortue Ahmeyim (GTA) au large du Sénégal et de la Mauritanie, opéré par BP, pourrait être reporté au deuxième trimestre 2024 », informe l’agence de presse.
C’est en rappelant qu’une semaine auparavant, BP qui est l’opérateur majoritaire avec 56 % des actions, avait déclaré « que le projet était achevé à 90 % et qu’il devrait commencer à produire au premier trimestre, un peu plus tard que prévu à l’origine, après que BP a remplacé le contractant pour son système de pipeline sous-marin ». Des affirmations qui sont totalement remises en cause par les dernières informations fournies par Kosmos, qui détient 26,8 % des actions
Selon la compagnie américaine, le FPSO pour le projet GTA est en route vers le champ et devrait arriver au premier trimestre de l’année prochaine.
« Kosmos a précisé que la date de démarrage de la production dépend maintenant de l’arrivée, du raccordement et de la mise en service du FPSO, ainsi que de l’installation flottante de gaz naturel liquéfié (FLNG). La livraison du premier gaz au premier trimestre 2024, dépend de l’exécution de ce chantier, qui a le potentiel de glisser jusqu’au deuxième trimestre 2024 », renchérit Reuters, qui soutient que BP « a refusé de commenter la mise à jour de Kosmos ».
Ce cafouillage devient une habitude pour les Sénégalais, qui ne savent plus à quelle voix se fier en ce qui concerne l’exploitation des hydrocarbures qui, selon l’article 25 de la Constitution, leur appartient.
Mais quand il s’agit d’être informé, c’est souvent les compagnies étrangères qui les informent. Ni l’État ni la compagnie nationale Petrosen, qui détient 10 % des actions, ne daignent porter à leur attention la bonne information.
Il y a quelques semaines, les Sénégalais apprenaient avec beaucoup de surprise, que la compagnie anglaise BP était en pourparlers avec son partenaire américain pour quitter le projet Yaakaar Teranga. Jusqu’à une époque très récente, les autorités gouvernementales ont feint de ne rien comprendre, s’abstenant d’éclairer la lanterne des Sénégalais sur cette question cruciale.
Ce n’est qu’avant-hier, que l’État a finalement pris la résolution de donner sa version des faits, à travers un communiqué qui soulève plus de questions qu’il n’en résout.
Pendant que Kosmos parle de 90 % qui tombent dans sa besace, le gouvernement tente de faire croire qu’il détiendrait au démarrage du projet, pas moins de 34 %, gratuitement, devenant ainsi l’actionnaire majoritaire dudit projet.
Auparavant, il y a eu le cas des reports multiples répétitifs depuis 2021. À chaque fois, ce sont les compagnies qui ont eu l’honneur et le privilège d’informer leurs opinions publiques d’abord, les Sénégalais bien après. La dernière en date, c’est l’épisode du report du « First Oil » et du « First Gas ».
Jusqu’au dernier moment, le gouvernement faisait un gros tapage sur d’hypothétiques recettes attendues de l’exploitation des hydrocarbures pour l’année 2023. D’ailleurs, si l’on se fie à certains observateurs avertis, il ne serait pas non plus surprenant que Woodside, qui opère à Sangomar, suive les mêmes travers.
En effet, il y a quelques semaines, à l’officialisation du report du « First Oil », le journaliste spécialisé dans les industries extractives, Abdou Diouf Junior, évoquait déjà cette hypothèse d’une « nouvelle déchéance » à propos de Sangomar.
Dans un article publié par le média en ligne « Africa Pétromine », le président de l’Association des journalistes pour la transparence dans les industries extractives et la préservation de l’environnement (AJTREPPE), qui avait déjà prédit ce premier report, réaffirmait : « Nous soutenions, depuis janvier 2022, que le premier baril de pétrole ne pouvait pas être commercialisé en 2023 ; que le premier report était justifié, mais le nouveau délai (qui fixait l’échéance en 2023) restait court. Ce n’est « pas sorcier », beaucoup le savaient.
À l’époque, tous les signaux étaient au rouge, mais le gouvernement a maintenu sa pression (inutile) sur l’opérateur Woodside, en dépit des effets Covid, de la situation économique et de la géopolitique pétrolière. Il n’y a aucune surprise ! Aujourd’hui, l’étau se desserre pour des raisons évidentes. 2024 reste, tout de même, l’année de tous les (im)possibles ».
À en croire le spécialiste, la nouvelle échéance fixée par le gouvernement, risque de se traduire en nouvelle déchéance.
Parlant d’une « communication désastreuse » et d’une « pression inutile sur Woodside », Abdou Diouf dénonçait un véritable problème dans le management des attentes des Sénégalais.
On ne jure pas pour l’incertitude. Pourtant, c’est le jeu dangereux auquel le gouvernement s’est prêté dans sa communication sur les attentes.
Les autorités sénégalaises ont trop insisté sur 2023. Il devrait y avoir de la place pour le conditionnel. Il ne faut ni être trop euphorique au point de créer les mirages d’un pays sorti de l’ornière, tout de suite, ni trop pingre en ’vérités factuelles, afin de maintenir un climat de confiance et des attentes raisonnables », soutenait le journaliste, presque sûr que Macky Sall ne verra pas « le baril du mandat ».
leral